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Alain Gresh analyse les révolutions arabes

par Jacques Moulins
Alain Gresh est l'auteur d'un dictionnaire raisonné du monde arabe Cent clefs du Proche-Orient (Fayard).DR
Alain Gresh est l'auteur d'un dictionnaire raisonné du monde arabe Cent clefs du Proche-Orient (Fayard).DR
Livre Sciences Humaines Publié le 07/03/2011
Le journaliste Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique et spécialiste du monde arabe. Il analyse pour nous les révolutions arabes.

Tant de pays arabes qui s’embrasent, comment cela peut-il s’expliquer ?

Le monde arabe est resté à l’écart de tous les mouvements de libération qui ont marqué la planète depuis 1970, la fin des dictatures d’Amérique latine, la chute du mur de Berlin, les libérations en Asie, Philippines, Thaïlande… Je crois que cela explique la rapidité du mouvement et sa capacité à embraser plusieurs pays.

 

Pourquoi un tel embrasement ?

Je vois trois raisons communes. Le caractère autoritaire et dictatorial de ces régimes a entraîné un mépris absolu, quotidien, du citoyen. On pouvait être arrêté pour n’importe quel motif. Bouazizi(*) avait le bac, pas de travail, il s’est fait vendeur des quatre saisons, et la police le harcelait tous les jours. C’est cet arbitraire qui explique la revendication de dignité humaine commune à toutes les couches de la société.

La seconde raison est économique et sociale. Il ne s’agit pas seulement de la pauvreté. Les politiques qui ont été mises en place ces dernières années, sous pression des pays du nord et du FMI, ont produit, d’une part, un enrichissement insolent des couches dirigeantes. Cela existait avant, mais c’était en millions de dollars. Là, c’est en milliards, et c’est visible. D’autre part, la remise en cause de ce qui existait d’Etats providences dans la santé, l’éducation, les subventions aux produits de première nécessité.

Enfin, il y a la question démographique. En 2010, 1,5 millions d’Egyptiens ont eu 20 ans. Des millions de jeunes arrivent sur le marché du travail, plus diplômés que leurs aînés, plus informés sur le monde. Mais il n’y a pas de travail.

 

L’embrasement a eu un effet domino…

Ce qui explique la rapidité de propagation, ce sont bien les points communs. Et puis, les réseaux sociaux et les chaînes satellitaires, particulièrement Al Jazira, ont montré dans l’instant ce qui se passait dans le pays voisin.

 

Une telle révolution ne vient pas d’un coup…

Il y a eu des luttes ouvrières importantes, particulièrement en Tunisie ou en Egypte ces dernières années. Ou des luttes de quartiers pour l’eau ou l’électricité. Il s’agissait de revendications sociales. Aujourd’hui la concentration des revendications sur le politique, contre le pouvoir, est évidente. Cela dit pourquoi ça explose à ce moment-là ? Personne ne peut le dire.

 

Le contexte international a-t-il changé ?

Ces régimes ont été soutenus bien au-delà de la realpolitik. Entretenir des relations avec les gouvernements n’oblige pas à faire les éloges de Ben Ali ou de Moubarak. Et quand les Européens vendent des gaz lacrimogènes, c’est bien pour le maintien de l’ordre. C’est pourquoi Américains et Européens ont été au-dessous de tout et ont mis du temps à se ressaisir. Les Américains, c’est le fameux discours d’Obama au Caire, avait pris conscience de leur affaiblissement dans la région. Ce qui va changer, ce sont les positions des Etats arabes face au conflit Israelo-palestininen. Des régimes démocratiques devront tenir compte de l’opinion publique qui est très sensible à cette question.

 

Ces mouvements sont-ils irréversibles ?

Oui. Les revendications sont politiques et elles resteront. La dissolution de la sécurité d’Etat en Egypte, la constituante en Tunisie… Personne ne se contentera de réformettes. Et pour la première fois, nous aurons des élections avec alternance. Dans le même temps, il faut penser à un mouvement sur le long terme et ne pas se faire d’illusions, les fronts très larges qui agissent ont des intérêts différents, cela se verra sur les questions sociales.

 

Et la place des islamistes ?

J’écris toujours islamismes au pluriel. Entre l’AKP, parti conservateur de droite en Turquie, et Al Quaida, il n’y a pas beaucoup de points communs. L’image qui m’a marqué, c’est une femme en niqab haranguant la foule au Yemen. En Egypte, les Frères musulmans sont très divisés, mais ils se sont prononcés pour le multipartisme. Sont-ils sincères ? Qu’est-ce que ça veut dire la sincérité d’un homme politique ? Est-ce que les nôtres sont sincères ?

 

Personnellement, comment avez-vous réagi ?

C’est inattendu, une véritable bouffée d’oxygène. J’espère que ça va contribuer à changer l’image de l’arabe et de l’islam en France. On a trop tendance à penser que dire arabe suffit à définir quelqu’un. Pour les Etats-Unis, c’est une question d’affaires étrangères. Pour les Européens, c’est aussi une question d’affaires intérieures.

 

(*) Le 17 décembre, Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu en Tunisie. Cet événement a déclenché les mouvements. Il est mort le 4 janvier 2011 des suites de ses blessures.

 

Bio :

Alain Gresh est né en 1948 en Egypte. Directeur adjoint du Monde diplomatique, président de l'association des journalistes spécialisés sur le Maghreb et le Moyen Orient, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le Moyen-Orient, l’islam et le conflit Israelo-palestinien. Il a notamment écrit L'islam en questions, Actes Sud, 2000 avec Tariq Ramadan. Il publie ce mois-ci un dictionnaire raisonné du monde arabe Cent clefs du Proche-Orient chez Fayard.

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