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La Halle Saint Pierre, lieu singulier des mutations de l’art

par Véronique Giraud
Depuis 1986, la Halle Saint Pierre est le centre culturel parisien de l'art brut et de l'art singulier ©RIvaud/NAJA
Depuis 1986, la Halle Saint Pierre est le centre culturel parisien de l'art brut et de l'art singulier ©RIvaud/NAJA
Autodidactes virtuoses ou inconscients primitifs, les créateurs singuliers occupent l'espace. Rivaud/NAJA
Autodidactes virtuoses ou inconscients primitifs, les créateurs singuliers occupent l'espace. Rivaud/NAJA
La Halle Saint Pierre ouvre ses espaces aux créateurs exclus des circuits traditionnels. Ici,
La Halle Saint Pierre ouvre ses espaces aux créateurs exclus des circuits traditionnels. Ici, "La petite fille" (2015), une installation de Gilbert Peyre. ©Rivaud/NAJA
Arts visuels Arts plastiques Publié le 24/09/2015
Avec Martine Lusardy comme directrice et curateur des expositions, la Halle Saint-Pierre est l'un des rares lieux à défendre l'art singulier et l'art brut. Pas de collections, mais un combat acharné pour montrer des auteurs que l'histoire aurait voulu oublier.

Quand on demande à Martine Lusardy quel est son parcours, on entre tout de suite dans le vif du sujet : « quand on s’intéresse à l’art brut, d’où on vient ce n’est pas important ». Rappelant qu'en France, on est jugé par ses diplômes et qu'ailleurs, comme aux Etats-Unis, c’est ce qu’on fait avec son diplôme qui importe. "L’histoire de l’art revendique en France un art académique universitaire, c’est pour cela que je me suis intéressée à l’art brut". On l'aura compris, pour la directrice de la Halle Saint-Pierre, pas de temps à perdre avec les sentiers battus. Il est vrai que pour défendre l'art singulier il faut faire preuve de détermination en France où les musées, les galeries et les collectionneurs se tournent plutôt vers les juteuses fluctuations de l'art contemporain. " Je me suis toujours intéressée à ce qui est hors norme, au singulier, à celui qui n’est pas dans le discours dominant. Or l’art brut, pendant longtemps, n’était pas du tout un art officiel, légitime. L’art brut, puis ses dérivés, c’est une autre histoire de l’art, une autre histoire du rapport collectionneurs/artistes, des créateurs eux-mêmes (on dit créateurs et pas artistes), du rapport au marché, du rapport à la reconnaissance. Tout était à faire et à construire, c’est ça qui m’a intéressé."

Tout était à faire. Si l’art brut est maintenant dans sa phase de reconnaissance, s'il suscite l’intérêt du marché, la situation était tout autre lorsque, il y a tout juste vingt ans, Martine Lusardy a ouvert les portes de l'ancien marché parisien pour y installer des œuvres que le public ne connaissait pas et que les historiens et critiques avaient laissées dans l'ombre. " Le problème c’est que l’art brut n’est pas d’un accès facile. Ce n’est pas parce que ces artistes sont des autodidactes que cet art est fait pour des autodidactes. Au départ, il a été défendu par les artistes eux-mêmes, Dubuffet, les surréalistes. Ce ne sont pas des intellectuels, des critiques ni des collectionneurs qui l’ont reconnu. Pour qu’il soit maintenant reconnu d’un plus grand public en France, il a fallu qu’il soit reconnu par des gens d’une éducation savante."

Et reconnus par le marché… "Les artistes veulent être reconnus, ce sont des professionnels. Ils ont besoin de vivre et d’être stimulés par le goût de l’autre. Mais pour l’art brut, fait par des gens dont c’était le secret, c’était une affaire intime, personnelle, qui n’était pas destinée à être vue, ni à être transmise. Le fait que le marché s’en empare pose un problème éthique. Ce phénomène m’intéresse aussi". Force est de constater que peu de galeries défendent l’art singulier, trop compliqué et beaucoup moins porteur que, ces dernières années, l’art brut pour lequel les spéculations vont bon train. "Parce que l’art brut, que Dubuffet a permis de faire émerger, est un paradigme sur lequel on peut cristalliser une réflexion, un sens. Les singuliers ne sont pas un marché porteur, on vendra toujours les œuvres 20% en dessous du prix d’une œuvre d’art contemporain. Un galeriste ne peut pas vivre de ça. Il ne peut pas investir sur un artiste singulier qui, dix ans plus tard, sera vendu au même prix".

Martine Lusardy a donc relevé le défi en ouvrant, non pas un musée, il n'est pas question ici de constituer une collection, mais un centre d'art brut et d'art singulier. C'est elle qui en conçoit les expositions. En 1995, avec l'exposition Art brut et compagnie, la Halle Saint Pierre installait sa réputation de musée expérimental et précurseur. Cette dimension s'est affirmée avec un panorama mondial des cultures singulières : Art outsider (USA), Art brut japonais, British Outsider, Images de l'inconscient (Brésil), et tout récemment Banditi dell'arte (Italie). Actuellement, et jusqu'au 13 mars 2016, la directrice a confié la Halle à Anne&Julien, duo fondateur de la revue alternative Hey! Modern art & pop culture. L'engagement de ces deux activistes de la modernité a trouvé un écho évident dans ce lieu conçu pour l'art dans ce qu'il a de complexe, d'encore indéfini, à la marge. La singularité des 62 artistes internationaux de la contre-culture que le couple défend et fait, pour certains, venir pour la première fois en France, témoigne d'une magnifique capacité de leur imaginaire à résister.

 

Halle Saint-Pierre - 2 rue Ronsard - 75018 Paris -  Exposition actuelle Hey! Modern art & pop culture / Act III, du 18 septembre au 13 mars 2016.

 

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