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Mot de passe oublié ?De nos jours, au moment où la Syrie s’enfonce dans l’interminable et forcément atroce guerre civile, lorsque les vestiges artistiques et architecturaux qui témoignent de l’imbrication des cultures occidentales et orientales passent de l’état de ruines savantes à des tas de grabats sans mémoire - et tant de personnes de la vie à la mort - un musicologue revit, au long d’une seule nuit viennoise, sa passion pour les musiques d’un territoire qui s’étend de Lisbonne à Kaboul en passant par Le Caire et pour une femme Sarah, dont les recherches littéraires vont du Portugal à l’Afghanistan avec quelques incursions jusqu’à l’Orient extrême.
Orient et Occident se mêlent sans cesse jusqu'à n’en faire qu’un, les emprunts orientaux de Pessoa répondant aux influences occitentales du poète Paviz. Tous les noms qui font notre culture sont convoqués, les plus grands, Mozart, Beethoven, Berlioz, Hugo, Rimbaud, Khayyam ou Flaubert, et les moins connus, Germain Nouveau (un des rares, le seul peut-être à avoir été « sorti » de la collection Pléiade), Alkan, Hedayat… Dans ce va-et-vient érudit, où l’on peut voir les fac-similés des publications originales de Balzac (La Peau de chagrin) et de Goethe (Divan) écrits en français, allemand et arabe, on découvre à nouveau que la modernité s’est construite d’Orient en Occident et vice-versa : « Mettre à jour les rhizomes de cette construction commune de la modernité. Montrer que les « Orientaux » n’en étaient pas exclus, mais que, bien au contraire, ils en étaient bien souvent les inspirateurs, les initiateurs, les participants actifs » explique Sarah.
Une seule littérature. C’est toute l’histoire de la littérature moderne et contemporaine, depuis Don Quichotte dont l’histoire, dit Cervantès, nous est racontée par Cide Hamete Benengeli (Sayyid Hamid Ibn al-Ayyil), qui est ici convoquée, avec les belles aventurières Annemarie Scharwzenbach, Alexandra David Néel ou Marga d’Andurain. La littérature, c’est-à-dire les histoires d’humains qui vont d’une rive à l’autre du Bosphore et de l’Euphrate, enrichies, agrémentées, renversées, et heureusement restituées par cet amoureux.
Ce roman n’est pas un livre d’histoire de la littérature et de la musique, c’est sur cette histoire qu’il se bâtit avec des orientalistes de notre époque, personnages improbables qui voyagent en Orient, rencontrent bédouins et diplomates, écoles de Téhéran ou de Damas, tous un peu liés à cet opium qui les enivre et que le médecin du narrateur, Franz Ritter, refuse à lui procurer. Un roman qui se lit lentement, donne envie à chaque page de noter les références pour en savoir plus long sur telle œuvre, tel auteur, ou tel épisode de la vie des artistes.
Du titre Boussole, Mathias Enard nous apprend qu’il provient de la boussole de Goethe et de celle offerte à Franz Ritter qui indique obstinément l’Est à la place du Nord. Celle d’un homme déboussolé par une humanité si peu respectueuse et par un amour infini, inédit, pour une femme que notre siècle bouleverse.
Bio
Mathias Enard, né en 1972, a appris le persan et l’arabe lors de ses études à l’INALCO et de ses longs voyages au Moyen-Orient. Il est l’auteur de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, qui romance le séjour de Michel-Ange à Constantinople sur invitation du sultan, de La Perfection du tir, de Zone et de Rue des voleurs (tous ces romans sont publiés chez Actes Sud). Il enseigne l’arabe à l’Université autonome de Barcelone, ville où il réside.