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Cédric Ramadier, un auteur qui s’amuse comme un enfant

par Véronique Giraud
Cedric ramadier ©MIRA/NAJA
Cedric ramadier ©MIRA/NAJA
Livre Littérature de jeunesse Publié le 29/10/2015
Vous pensez qu'un livre pour enfants est écrit pour les enfants ? Cédric Ramadier, auteur de nombreux albums pour tout petits, contredit cette idée et c'est tant mieux.

Quel parcours vous a mené vers l’univers des livres pour les tout petits ?

J’y suis arrivé par hasard. Après des études de publicité, je suis parti à Londres faire les beaux-arts dans une démarche artistique, pas de l’édition. A mon retour à Paris, je savais que je ne voulais pas devenir artiste. Cela ne m’amusait pas et je trouvais qu’il y avait trop de relations publiques, de vente de soi-même. J’avais envie de continuer à m’amuser, comme aux beaux-arts où je faisais plein de choses, du dessin, des installations, de la gravure… Une personne m’a mis en contact avec Albin Michel Jeunesse et, comme je parlais couramment anglais, on m’a demandé d'assurer les contacts avec l'Angleterre et les Etats-Unis pendant un salon du livre. On m’a rappelé quelques mois après et là, l'équipe de la direction artistique d’Albin Michel Jeunesse m’a demandé quelle était ma formation. Quand je leur ai dit que j’avais fait les beaux-arts à Londres, ils étaient étonnés que je ne leur ai pas dit. Du coup, je suis passé de l’autre côté de la barrière, j’ai fait un stage avec eux et le me suis fait embaucher comme assistant du directeur artistique. Après trois ans, je suis parti avec le directeur artistique fonder un studio de création qui s’appelait Double. Cela a duré dix ans.

Mais mon travail pour les tout petits est né de ma rencontre avec Vincent Bourgeau. Nous sommes devenus amis. Un jour, quand j’en ai eu marre du métier d’éditeur et de directeur artistique, il m’a dit : " pourquoi tu fais faire des livres aux autres, pourquoi ne pas les faire toi ? Moi ça m’intéresse ". Or dans mon carnet, beaucoup de choses correspondaient aux plus petits.

 

Qu’avez-vous dans votre carnet ? Des dessins ? Des écrits ?

Des idées. Nombreuses. J’ai un carnet bien rempli. C'est en le montrant à Vincent qu'est venue l’envie d’en faire quelque chose. Pour lui aussi, l’enjeu n’est pas d’écrire un texte d’un côté, qu’on envoie à l’illustrateur, et ensuite on met tout ça ensemble. L’enjeu c’est de faire des livres à deux. Il peut y avoir un ou trois mots seulement, ce n’est pas important, même si j’aime les mots. C’est l’articulation des idées, l’inventivité, l’objet, qui importent. Et en le faisant tous les deux c’est vraiment marrant.

 

Tous ces ingrédients rendent le livre pour enfants complexe…

Oui. Cela paraît simple mais, sachant que j’en fais trois ou quatre par an avec Vincent, je peux vous dire qu’on travaille tout le temps. On travaille à mi-temps pour faire trois livres qui font quinze pages. Il y a une petite mécanique très huilée qu’il faut mettre en place.

 

Comment débute cette mécanique ? L'idée ? Un personnage ?

C’est l’idée. On fonctionne à peu près toujours de la même manière : on échange régulièrement, par Skype ou par mail, moi j’ai un carnet que je remplis sans cesse, avec une idée, un jeu de mots, un titre, une envie. Nous nous voyons une fois par mois, et à ce moment, je lui lis toutes mes nouvelles envies, plus exactement je les lui raconte, qu’elles soient poussées ou pas. Il faut que ça déclenche en lui de l’enthousiasme. Le même que celui que j’ai eu en écrivant mes idées. En les relisant, parfois mon enthousiasme peut être encore plus fort et j’insiste sur certaines idées. Mais s'il ne le sent pas, n’a pas envie de ça à ce moment-là, on ne le fait pas. On se fie beaucoup à notre instinct, à notre enthousiasme commun. On sait que nos meilleurs livres on les a faits quand on était le plus heureux. Ca, je pense qu’on arrive à le transmettre.

 

Quel est votre processus de création ?

Il y a plusieurs manières de faire. Parfois, j’arrive avec des choses très abouties. Par exemple, pour Au secours voilà le loup, je me suis réveillé un matin avec l’idée en tête, j’ai dessiné sept double pages où on voyait le loup avec le livre qui se penche, on voyait le livre qu’on retourne, c’était la mécanique du livre. J’avais envie d’un loup qui arrive et dont on essaye de se débarrasser. J’ai appelé Vincent, l’idée lui a plu, j’ai débarqué chez lui à Marseille dans la journée et on a fait le livre en quelques heures. Il y avait une évidence, il a trouvé tout de suite le dessin et moi, en le voyant faire, j’ai ajusté ma mécanique, j’ai fait la conclusion du livre (qu’on doit refermer pour se débarrasser du loup définitivement). On l’a envoyé à l’éditeur qui a trouvé ça génial. Rien n’a bougé. Pour d’autres, j’ai juste un embryon d’idée, je lui soumets, j’attends sa réaction, parfois il me suggère un animal, je dois imaginer comment m’adapter. D’autres débutent avec un texte, là il faut voir quelle mécanique on fait avec et comment Vincent réagit.

Trois de nos livres sont nés d’envies de Vincent. Par exemple, Debout, couché est un livre sur les contraires, qui fonctionne comme un petit cinéma. Vincent avait l’idée du burlesque. Ma première idée a été de trouver ce mécanisme avec le rabat qui s’ouvre comme un petit cinéma (par exemple quelqu’un est debout, se prend un arbre, puis est couché par terre). J’ai essayé d’écrire une histoire avec un personnage qui se retrouve dans ces situations, ça ne marchait pas. J’ai donc fait des petites saynètes, avec plein de personnages. Je me suis servi de leurs physiques, de leurs aptitudes pour me guider, c’est là que les contraires sont devenus une évidence. C’est devenu un livre sur les contraires, grâce au burlesque demandé par Vincent.

Pour l’album C’est qui ?, il avait envie de dessiner un père Noël. J’étais un peu embêté, ce n’est pas un personnage que j’aime beaucoup. Vincent s’est un peu fait avoir parce qu’on ne le voit pas dans le livre. C’est un livre sur le père Noël mais le mystère reste entier. Pour le troisième livre, il voulait dessiner un personnage calme alors que moi j’avais l’idée du loup. Il s’appelle Qui donc a vu passer le chat ? C’est un livre doux dans lequel je décris par de petits textes le parcours d’un chat dans une maison. On le loupe à chaque page, on arrive toujours après lui. Donc la pièce est vide et je décris ce qu’il a fait avant de disparaître, léché le robinet, joué sur la table. L’enfant est censé suivre des yeux le parcours et à la fin, en regardant bien, le bout de sa queue est dans un coin, il est en train de disparaître de la pièce. Pour celui-là j'ai proposé de faire tous les dessins puis d’écrire par-dessus.

 

Toutes ces mécaniques ont été faites à deux…

Nous pourrions chacun de notre côté faire des livres pour tout petits, avec d’autres personnes, mais ce ne serait pas les mêmes livres. Même si mes idées sont parfois très précises, le livre ne serait pas le même. Si nous signons Ramadier/ Bourgeau c’est que nous faisons vraiment des livres à deux. Le dessin et le texte appartiennent à tous les deux.

 

Que pensez-vous que l’enfant emporte de vos livres ?

Je pense que c’est la mécanique du livre. Par exemple avec Qui donc a vu passer le chat ? Les enfants cherchent le chat, c’est ça qui les amuse. Après, sans s’en rendre compte, d’autres choses leur plaisent, plus poétiques, ou juste regardées. Mais la mécanique des flap, des choses qu’on ouvre, qu’on cherche, ils adorent ça. Moi je m’en sers. Dans Qui donc a vu passer le chat ? Je me sers de ce petit jeu et en même temps je fais passer autre chose puisqu’à la fin le chat retrouve sa compagne. On le cherche parce qu’il va retrouver l’amour, je pense que ça lui plaît mais je ne vais pas le dire comme ça à un enfant de trois ans.

La plupart de nos livres fonctionnent parce qu’on offre une "mécanique" qui attire et fait un peu peur. L’idéal est quand à côté de la mécanique il se passe quelque chose. Un livre que j’aime beaucoup s’appelle Au creux de la main. C’est juste une main qui s’ouvre et se ferme, à chaque fois une question : au creux de la main, j’ai quelque chose de doux, de rond, de collant, etc. En tournant la page, l’enfant doit deviner ce que c’est. Un petit jeu mais la dernière question l’est moins : au creux de la main, j’ai quelque chose de précieux et, sur la page suivante, c’est la main de l’enfant. Là je pense que j’arrive à faire passer de la tendresse, à montrer qu’un parent aime son enfant.

Je ne fais pas de livres pour les enfants. Je ne teste pas mes livres auprès de mes enfants. Je fais peut-être des livres pour l’enfant que j’étais , ou l’enfant que je suis encore. Je ne cherche pas à transmettre, je cherche d’abord à m’amuser, en me disant : si moi je m’amuse, les enfants s’amuseront derrière. J’aime aussi faire passer de la tendresse.

 

Quels sont vos projets ?

Au secours voilà le loup est notre plus gros succès en France et à l’étranger (c'est un énorme succès au Japon), je me suis demandé si je devais faire une suite. J’ai eu une longue discussion avec notre éditeur Grégoire Solotareff pour estimer le bienfondé d’une telle idée. Il m’a rassuré en me disant que quand un livre est bien c’est une bonne idée, mais il faut que le livre soit pertinent tout seul.

 

Un numéro deux, c’est plus compliqué que de créer à partir de rien…

Oui, j’ai fait une dizaine de versions de celui-là. Il devrait sortir au printemps 2016. Il s’appelle Au secours, sortez-moi de là. Ce n’est plus Au secours voilà le loup, j’ai inversé les rôles. C’est le même loup qui, en voulant manger un enfant, est tombé dans un trou et demande au lecteur de l'en sortir. Du coup, le lecteur s’amuse avec, le cogne contre les bords, le renverse. A la fin, on l’éjecte. Le livre fait le même format qu’un IPad.

 

Vous avez fait vos études à Londres, cela a changé la vision de votre art ?

En sortant de mon école de pub à Grenoble, je voulais faire les arts déco à Paris. Un prof m’a dit : tu devrais aller voir à Londres, les écoles d’art y sont plus ouvertes. Toi qui fais plein de choses différentes, à Paris tu seras obligé de te fermer. Aujourd’hui je constate que j’ai fait tous les métiers au sein du secteur de l’édition jeunesse.

Quand j’ai fait mes études, je n’ai pas voulu me fermer, j’ai tout essayé. Et j’ai découvert que les écoles d’art anglaises sont un croisement entre les arts déco et les beaux-arts. Tout est au sein du même établissement. En France, on doit choisir très tôt ce qu’on veut faire et changer de voie c’est compliqué. En Angleterre, c’est très facile. A partir du moment où on est capable de faire des études supérieures, on considère qu'on peut faire des tas de choses. Anglais du moyen-âge pendant quatre ans puis les beaux-arts par exemple, si on est doué en dessin. Et on ne va pas vous regarder de haut. Dans mon école, les peintres croisaient les graphistes et les potiers, et tout le monde se fichait de ce que faisait l’autre. Cela donne envie de faire ce qu’on veut. Mon professeur référent en seconde année de la Camberwell School of Arts m’a dit : « ici on n’est pas là pour former un graphiste ou un dessinateur, on est là pour développer votre personnalité. Si on la développe bien, vous ferez des choses c’est évident ». Entre étudiants, chacun parlait de ses envies, ne cherchait pas à épater l’autre. Ca apprend l’humilité, on retombe vite de son piédestal de génie qui fait les beaux-arts, on fait des études comme les autres. Ca m’a beaucoup ouvert et, comme cette école avait beaucoup de moyens techniques, j’ai pu explorer beaucoup de choses, le jugement des autres est devenu beaucoup moins important. Ca a changé certainement ma perception des choses.

 

 

L’auteur : Cédric Ramadier est né en 1968 à Toulouse À vingt-cinq ans, diplômé de la Camberwell School of Arts de Londres, il entre dans l'édition parisienne pour sa maîtrise de la langue de Shakespeare. Heureux hasard ! Seize ans plus tard il est tour à tour directeur artistique, graphiste, éditeur et publie entre autres à L'Ecole des loisirs, Seuil Jeunesse, Albin Michel...

L’éditeur : célèbre auteur de livres pour la jeunesse, Grégoire Solotareff a créé en 1994 pour l’école des loisirs la collection pour les tout-petits loulou et Compagnie. C’est dans cette collection que Cédric Ramadier et Bougreau sont édités.

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