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Le musée de l’histoire de l’immigration fait-il peur ?

par Véronique Giraud
L'exposition permanente REPERES du musée de l'histoire de l'immigration vient d'inaugurer son nouveau parcours                       © Mathieu Nouvel, EPPPD
L'exposition permanente REPERES du musée de l'histoire de l'immigration vient d'inaugurer son nouveau parcours © Mathieu Nouvel, EPPPD
Livre Sciences Humaines Publié le 07/10/2014
Sept ans après son ouverture à Paris, le musée de l'histoire de l'immigration n’a toujours pas trouvé son public. Avec une scénographie repensée, son nouveau président, l'historien Benjamin Stora, veut relever le défi.

« Le projet d’une Cité nationale de l’immigration a émergé parce que porté par des associations et des chercheurs qui estimaient que le paysage culturel français est sourd et aveugle à cette question participant pourtant de l’histoire nationale, » rappelle Jean-Barthélemi Debost, directeur réseau et partenariat de l’institution. Ce n’est pas la présentation d’une collection qui est à l’origine du musée mais les multiples itinéraires parcourus qui convergent vers la France depuis deux siècles, les récits de vie des migrants et de leurs descendants. Un lieu et un réseau donc.

Le lieu, c’est le Palais de la Porte dorée. Là, la tâche de figurer les flux migratoires et leurs apports est confiée aux conservateurs du patrimoine. Mais en France  l’immigration est loin d’être un sujet de fierté, plutôt de crispation. Un tel musée ne pouvait se passer de l’éclairage de travaux scientifiques pour conduire le récit d’une histoire en train de se faire, et sortir de l’ornière. Un tel musée a également besoin du soutien et de la légitimation du politique. Or le musée de l'histoire de l'immigration est le seul musée national n’ayant jamais été inauguré officiellement. Le gouvernement de François Hollande a annoncé qu'il le sera en décembre 2014.

 

Un héritage national. Ses collections, réunies dans l’exposition permanente Repères et dans la Galerie des Dons, ont été constituées grâce aux apports du réseau des associations du territoire, à l’origine du musée, et d’individus volontaires. Elles émergent d’un long oubli, prenant la forme d’un parcours qui porte la parole d’immigrés, met en scène des archives écrites et photographiques appuyées par les commentaires d’historiens, et montre des objets emportés par les migrants quand ils ont quitté leur pays. La Galerie des Dons, au cœur du musée, recueille les objets offerts qui témoignent d’histoires personnelles. C’est là que le dessinateur François Cavanna a déposé la truelle ayant appartenu à son père, venu d’Italie en 1912 pour trouver un travail en France. C’est là aussi que Sacko Fousseni a laissé sa carte de gréviste, témoignant de l’occupation de la Cité de l’immigration pendant plusieurs mois en 2010 par des centaines de travailleurs sans-papiers dont il faisait partie.

Pourtant, après sept ans d’activité, on ne peut pas dire que le projet a convaincu. Boudé par le politique, le musée national l’est aussi par le grand public. Tablant sur une fréquentation de 100 à 150 000 visiteurs, un objectif équivalent à celui du musée d’art et d’histoire du judaïsme ou du musée de la cité de la musique, il n’a accueilli depuis son ouverture que 500 000 personnes, très majoritairement des scolaires.

 

Les raisons du déni. L’immigration n’a pas pris sa place dans la mémoire collective. D’une part parce que le débat public des dernières années est essentiellement négatif et accusateur, nourrissant la peur de l’étranger. D’autre part parce « qu’il y a eu peu d’émigration en France, exceptés quelques groupes partis de l’ouest lors des grandes migrations transatlantiques », rappelle Marianne Amar qui dirige le département recherche du musée. « En Allemagne, ce sont des millions de personnes, en France quelques centaines de milliers. Comme il n’y a pas de culture de la mobilité, de l’émigration, il n’y a pas de gens, de liens familiaux qui racontent les migrations. Sinon comme un drame, comme celui des rapatriés dans l’urgence. » Cela pèse évidemment sur les perceptions de l’immigration. Les Français ont du mal à appréhender « ceux qui, arrivant en France, ont une double appartenance ». Alors qu’en Italie et en Espagne, la double nationalité est donnée aux descendants de natifs partis vivre aux Etats-Unis.

Benjamin Stora, pour qui le musée peut changer l’image de l’immigration, veut la faire porter aussi par des célébrités de la mode, du sport, de l’art. Mais bien qu’il soit précédé d’une belle réputation d’historien spécialiste du Maghreb, le nouveau président est confronté à une double difficulté. Culturelle d’abord : « La peur de l’autre, de l’étranger, c’est une vieille histoire française » explique-t-il. Politique ensuite : le budget est limité et le soutien du politique manque, comme l’a illustré encore une fois l’absence de représentants de l’Etat à l’inauguration de la nouvelle exposition permanente du musée le 15 septembre dernier. Un cruel manque de repères pour l’établissement qui a pour objet, dans son décret de création, de rendre compte « des parcours d’intégration des populations immigrées dans la société française et ainsi contribuer à changer les regards ».

L'historienne Marianne Amar rappelle que « contrairement aux enjeux de politique ou de vulgarisation, les chercheurs s’occupent aujourd’hui d’un monde globalisé. Les immigrations sont prises dans leur totalité. Un immigré ce n’est pas quelqu’un qui quitte un pays pour s’installer dans un autre. Cela n’existe pas. Les gens quittent leur pays s’installent dans un autre, reviennent dans leur pays, partent dans un troisième, reviennent… Ce que peuvent apporter les chercheurs c’est sortir d’une conception très étatique et linéaire de la migration. La science ouvre donc des voies pour aller vers la réalité ».

Et la réalité change dans ce domaine, les nouvelles générations bougent. Les jeunes Français sont eux aussi plus nombreux à pratiquer plusieurs langues, à partir étudier dans d’autre pays, à s’installer hors de l’hexagone. Ceux-là reviennent, repartent parfois, et comprendront dans leur propre histoire celle qui a inspiré la création du musée de la Porte dorée.

 

Musée de l’histoire de l’immigration - 293 Avenue Daumesnil, 75012 Paris. Du mardi au vendredi de 10h à 17h30. Le samedi et le dimanche de 10h à 19h. 

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