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Les liaisons numériques du CDN Montpellier

par Véronique Giraud
L'appel à projet de l'ENCAC a abouti à la sélection de cinq projets visant à développer le
L'appel à projet de l'ENCAC a abouti à la sélection de cinq projets visant à développer le
Arts visuels Numérique Publié le 10/11/2015
Un département art numérique a été créé au CDN de Montpellier. Daniel Romero, qui le dirige, nous explique comment le théâtre s'est lancé dans un programme international d'échanges et de recherches autour de la création audiovisuelle contemporaine.

En quoi consiste l’appel à projets de l’ENCAC (European Network for Contemporary Audiovisuel) auquel a participé hTh ?

Le projet de l'ENCAC est dirigé et coordonné par LABoral, centre d’art et de création industrielle basé en Espagne, dans les Asturies. Lorsque ce réseau pluridisciplinaire a été créé, l’idée était de trouver des partenaires pouvant apporter différents points de vue sur la création audiovisuelle contemporaine.

 

Comment y a été associée une structure comme Humain trop humain ?

Le nouveau modèle de CDN que Rodrigo García propose avec Humain trop humain a bien évidemment ouvert les portes du théâtre aux nouvelles formes de création. Le CDN possède désormais son propre propre département numérique, baptisé MÈQ, a organisé un festival de musique électronique, accueille des expositions, des concerts de musique électronique, des résidences de création, etc. Cette vision, très personnelle, est d’un grand intérêt pour les partenaires et apporte un éclairage tout à fait singulier sur la création au XXIe siècle. En particulier la création scénique et les relations que la scène entretient avec les nouveaux langages numériques.

 

Comment se positionnent les différents partenaires du projet ?

Si on est attentif, on se rend compte que chaque partenaire du projet a sa propre personnalité. Aux côtés de LABoral, qui dirige le projet en développant notamment le LEV Festival, un festival de musique électronique qu’elle coproduit et qui est devenu le plus intéressant d’Espagne, on trouve quatre lieux de diffusion. D’abord Ars Electronica (Linz, Autriche), sans aucun doute le festival le plus avancé au monde dans la création numérique, et qui depuis des années nous enseigne comment sera l’art de demain. Il y a aussi Resonate Festival (Belgrade, Serbie), une toute jeune manifestation qui s’est rapidement transformée en l’un des festivals les plus intéressants d’Europe, surtout pour sa manière de mêler création et éducation. Le Lieu Unique (Nantes, France), avec sa programmation incroyablement diversifiée, brillante et visionnaire, et dont on a beaucoup à apprendre. Que dire des partenaires allemands DISK (Berlin, Allemagne), responsables de Transmediale (CMT Festival), un classique à la réputation et au savoir-faire irréfutables. Les collaborateurs extra-communautaires, Avatar (Canada), ELEKTRA (Canada), MUTEK.MX (Mexique) et Mapping Festival (Suisse), apportent eux aussi leur vision personnelle et offrent à ce réseau une diffusion et une notoriété globales, au-delà des frontières européennes. ENCAC est une grande opportunité pour hTh. Pouvoir travailler avec les meilleurs festivals et les institutions dédiées à la nouvelle création contemporaine est vraiment très excitant.

 

Avec quelles idées innovantes le jury de l’ENCAC a-t-il été convaincu ?

Je fais partie du jury de l’ENCAC en tant que représentant de hTh. En réponse au premier appel à projets, plus de cinq cents dossiers ont été envoyés, dont une centaine pour une résidence à hTh. Nous avons reçu de très bons projets, le processus de sélection a été très difficile. Les cinq projets sélectionnés pour chacune des résidences sont bien sûr innovants, mais pas simplement au niveau technologique. Il s’agit davantage d’innovations poétiques, propres aux artistes : dans la façon de travailler le son, d’utiliser un software, de concevoir l’espace de l’installation, etc.

Nous avons tendance à considérer l’innovation technologique comme un élément indispensable à la création numérique, ce qui est parfois le cas, c’est vrai. Mais c’est le rôle de l’artiste de transformer ce qui pourrait n’être qu’une simple prouesse technologique en quelque chose de poétique, en une véritable expérience esthétique, ou de parvenir, grâce à l’usage de la technologie, à soulever de nouvelles questions, à inventer de nouveaux mensonges. La vérité technologique qui est derrière tout ça est en général le fait d’un scientifique, et non d’un artiste. L’artiste doit ensuite se servir et pervertir cette technologie pour parvenir à ses propres fins.

 

Pouvez-vous nous donner des exemples de projets ?

Je distinguerais ici le projet gagnant pour la résidence au CMT Festival 2016, Force Field d’Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand, avec Paul Prudence, est un projet très ambitieux qui repose sur la création d’une installation / performance centrée sur la « sono-lévitation ». Il s’agit de faire léviter des gouttes d’eau et d’en manipuler les formes grâce à des vibrations sonores. Il y a là une parfaite connexion entre l’art et la science du XXIème siècle. Je distinguerais également le projet gagnant de la résidence d’hTh : Liberating the digital crowd d’Alan Warburton. Ce travail repose sur l’usage d’un « logiciel de création de masses », ce type de logiciels qu’on utilise pour simuler au cinéma les batailles réunissant des milliers de soldats. Alan va utiliser ce logiciel pour créer une chorégraphie de masse, en prenant pour support les mouvements réels d’un danseur, avec lequel il travaillera à Montpellier, début 2016.

 

Il est question dans votre description de « spectacles dirigés par l’intelligence artificielle, avec des robots », quel peut être le système d’écriture et de pensée d’une telle création ? Cela paraît très technique.

La présence de ces termes, de ces « mots-clefs » (« spectacles dirigés par l'intelligence artificielle », « théâtre de robots », « performances basées sur la manipulation des données ») dans l’appel à projets, répond exactement aux préoccupations du département numérique de hTh concernant la relation entre l’art numérique et les arts de la scène. Arrêtons-nous un instant sur la façon dont on utilise aujourd’hui les ordinateurs : algorithmes de prédiction, manipulation et analyse de quantités exorbitantes de données (big data), ordinateurs qui apprennent tout seuls (machine learning, neral networks), robotique émotionnelle, tissus intelligents (SFIT – smart textiles et intelligent fabrics), tous ces systèmes émergents (emergence) qui imitent l’auto-organisation et la survie dans la nature, etc. Est-ce qu’un artiste pourrait utiliser toute cette technologie dans un environnement, disons, scénique ? Ma réponse est oui, même si je ne sais pas très bien pourquoi ni comment. Je suppose que c’est une question à laquelle il faut répondre par le projet lui-même.

L’obsession de l’homme à « créer de la vie » est évidemment l’un des principes fondamentaux de l’art numérique. Tout ce que l’on englobe depuis le siècle dernier sous le terme d’« art génératif », comme par exemple un ordinateur qui fait de la musique ou qui dessine tout seul, à partir de quelques règles simples ou d’un algorithme concret, tout cela a évolué au rythme de la science, et même s’il est vrai que l’intelligence artificielle n’en est encore qu’à ses balbutiements, il est normal de penser que toutes ces avancées conduiront un jour à un usage artistique de ces technologies.

Oui, tout cela est très technique. La technologie évolue très rapidement, à en devenir étouffante. Nous avons en permanence recours à la technologie, sans savoir comment elle fonctionne ni comment nous, humains, nous en sommes arrivés là. C’est un autre principe de l’art numérique : la réflexion sur notre propre existence.

 

Existe-t-il un art numérique spécifique à la scène ?

Pas vraiment. Je dirais que l’art numérique propre à la scène est celui qui est capable d’agir en temps réel. Il s’agit là de quelque chose de très large, et de pas très nouveau, mais j’entends par-là un art numérique capable d’analyser une situation ou de réagir à une stimulation, comme le ferait un acteur, ou comme s’il s’agissait d’un matériau de plus sur le plateau. On devrait parler de « physical comuting » : un ordinateur capable d’analyser ce qui l’entoure grâce à des capteurs, et capable d’agir quand il le faut. Quelque chose qui permette que la performance soit « vivante ». Regardez la Kinect, créée à l’origine pour les jeux vidéo. Beaucoup d’artistes ont aujourd’hui recours à ce capteur pour analyser les mouvements d’un danseur sur scène et pour créer des danses multimédias.

Il en va de même pour ce qu’on appelle la « scénographie numérique », ou d’autres techniques de vidéo-mapping, qui relèvent tout autant de l’installation que de la performance, et pourraient aussi bien s’envisager dans un environnement scénique que dans n’importe quel centre d’art. De même pour les smart textiles, les vêtements intelligents électroniques, qui semblent convenir parfaitement à la scène, pas seulement bien sûr puisque tout a commencé dans le milieu de la mode, avant un usage artistique pour la scène.

J’entends bien que les arts scéniques assimilent des concepts qui viennent d’autres arts, c’est logique. La plasticité propre à la sculpture ou à la peinture, l’appréhension spatiale propre à l’architecture, la musique, etc. Bien évidemment, la maîtrise des lumières, du son et de la vidéo est totalement assimilée par les arts de la scène, comme celle d’autres techniques plus récentes telles le vidéo-mapping ou l’utilisation de capteurs pour suivre sur le plateau des corps et des positions.

 

Comment la création de la résidence (en mars et avril 2016) va-t-elle être diffusée auprès du public ? Comment le public peut-il être associé à ces expérimentations ?

Notre idée est de présenter la création de la résidence d’Alan Warburton en septembre 2016, dans le cadre d’un nouveau festival d’arts numériques et scéniques à hTh. Un festival où il sera question de toutes ces recherches qui entourent le rapport entre le numérique et les arts de la scène.
Par ailleurs, l’un des objectifs de l’ENCAC est de créer un réseau de diffusion parmi les partenaires qui le composent. Les créations seront donc accueillies par les différentes institutions et festivals du réseau, afin que tout le monde puisse en profiter.

Mais notre travail au sein de l’ENCAC ne se résume pas à ces résidences de création. Nous organiserons dans les années qui viennent trois ateliers d’art numérique/scénique destinés aux professionnels, partie intégrante de la programmation de ce que nous avons appelé l’ « Ecole d’informatique poétique et d’arts numériques pour la scène », qui constitue la branche éducative du département d’art numérique de hTh.

 

L'ENCAC, réseau européen de création audiovisuelle, est un projet sur trois ans co-fondé par le programme de création européenne de l'Union européenne. L'initiative tend à favoriser les collaborations en recherche audiovisuelle, le développement technologique, et la création d'us nouvelle pratique artistique dans les zones hybrides entre son, art visuel, performance artistique et culture digitale. En juin 2015, le réseau a lancé le premier appel à projets pour cinq résidences audiovisuelles réparties dans plusieurs lieux et reçu 361 propositions provenant de 51 pays. Les projets gagnants sont : Force Field - Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand avec Paul Prudence (INT) pour une résidence au CTM / Guerrilla Spatialization Unit - Ganzfeld (US) pour une résidence à Avatar Québec - Liberating the digital crowd - Alan Warburton (UK) pour une résidence au hTh CDN Montpellier / autopsy.glass - Myriam Bleau (CA) pour une résidence au LABoral/LEV Festival / f ( )  and  STULTUS - Tomonaga Tokuyama (JP) pour une résidence au Lieu Unique Nantes.

 

Daniel Romero : créateur son et vidéo, l'artiste argentin collabore depuis longtemps aux spectacles de Rodrigo Garcia qui, devenu directeur du Centre national dramatique de Montpellier, a conçu pour le théâtre un projet de création qu'il a baptisé Humain trop humain. Daniel Romero est chargé d'en diriger le département numérique. 

 

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