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Alain Mabanckou : « On a besoin de la voix du Congo »

par Véronique Giraud
Alain Mabanckou © Hermance Triay
Alain Mabanckou © Hermance Triay
Livre Roman Publié le 16/12/2015
Alain Mabanckou est le premier écrivain nommé professeur au Collège de France. 2015 est une année cruciale pour l'auteur franco-congolais dont le dernier opus Petit Piment est sorti en août et qui est l’un des 34 auteurs à engager sa plume dans un recueil vendu au bénéfice des réfugiés. Rencontre avec celui qui porte la littérature par delà les frontières de la langue.

Vous êtes né au Congo et votre langue originelle est le lingala. Quelle résonnance a cette langue dans votre écriture ?

Dans mon écriture, le lingala est toujours en arrière-plan. Je pense même que je réfléchis dans cette langue du Congo et qu’il y a toujours une bataille entre cette langue et la langue française. La langue française me donne la structure, le lingala me donne le rythme et je puise les ingrédients de cette langue africaine. Je prends cela comme une richesse parce que si je n’avais qu’une langue je n’aurais pas la possibilité de faire de gymnastique dans le style. Le lingala a la force de l’oralité, donne le souffle de ce que je vais raconter. Pour moi, la langue française a sa petite rigidité, elle est enjolivée par le caractère très imagé du lingala. J’ai peu de synonymes dans ma langue de lingala, j’essaie d’en inventer, j’essaie d’imager de plus en plus ma langue française en m’appuyant sur la force des langues africaines.

 

Vos livres sont situés en Afrique mais leur force évocatrice est universelle. Comment le percevez-vous ?

Mon pays d’origine, le Congo, est la source de mon inspiration. Un écrivain a toujours besoin d’un rattachement quelque part. Il trace les frontières d’un pays, d’une contrée, voire d’un continent. Dans ce sens, je suis toujours subjugué d’aller en Colombie quand je lis Gabriel Garcia Marquez, d’aller en Russie quand je lis Dostoïevski. L’écrivain a toujours ce petit territoire qu’il construit, qu’il déconstruit, qu’il arrange. Pour moi, c’est vraiment le Congo. La plupart de mes textes partent du Congo. Je pense que pour atteindre l’universalité il faut toujours partir de son territoire et ramener la petite chanson de son pays dans la grande musique mondiale. On a besoin de la voix du Congo. Les écrivains sont des artistes qui font entendre la voix d’un pays, même le plus petit. Le Congo n’est pas grand mais la littérature donne l’impression que c’est un vaste pays. C’est le pouvoir de l’imaginaire : rendre immense ce qui paraîtrait petit aux yeux de tous.

 

Vous êtes né au Congo, vous avez vécu en France, vous enseignez maintenant aux Etats-Unis, le lien n’est-il pas distendu ?

Le lien n’est jamais distendu parce que l’écrivain est en quelque sorte greffier de la nostalgie, c’est-à-dire qu’il a un sentiment de vide, de perdre, et se met à chroniquer presque toute sorte de sentiment d’absence qu’il ressent en lui. Le fait que je sois très éloigné du Congo me permet aussi de mieux tracer le contour du pays. Je reste persuadé que c’est la distance qui crée l’objet de la littérature. Quand nous n’avez pas le sentiment de manque, vous avez le sentiment d’avoir tout de façon naturelle. C’est parce que de loin je regarde mon pays que de près je l’écris avec une certaine précision. Les écrivains sont des êtres inquiets de voir disparaître les derniers éléments qui leur donnent les raisons de vivre sur terre. Quand j’écris j’ai en tête l’urgence que je risque de tout perdre et, avant que je perde tout, il faut que je chronique tout. Dans ce tout il faut que je choisisse les éléments qui vont devenir substantiels, qui donneront la couleur de mon pays.

 

Dans le recueil Bienvenue (34 auteurs pour les réfugiés) conçu au bénéfice du HCR*, vous parlez du Congo en disant : " il est ma source, le lieu de mon apaisement ». C'est loin d’être un pays apaisé, que voulez-vous dire ?

C’est peut-être cet espoir qui est au fond de moi que le Congo redeviendra un pays démocratique, un pays libre, qu’il ne sera pas dirigé pendant trente ans par un seul homme comme c’est le cas actuellement, que ce pays gardera toujours ce côté poétique que je lui affecte quand je pense à lui. Je pense que malgré la politique détestable du Congo actuel, il reste toujours l’espoir que toute nation qui souffre finira par voir le bout du tunnel. J’ai toujours pensé que c’est dans les périodes les plus délicates, dans les souffrances du peuple, que l’écrivain devient de plus en plus important. Parce qu’il reste la seule respiration de ce peuple qui souffre, qui manque de liberté d’expression, qui manque aussi de démocratie. Mon pays n’est pas libre, mon pays souffre mais il m’apaise parce que quand je pense que c’est dans les pays les plus en difficulté qu’ont jailli les grandes littératures. Je pense à la Colombie avec Marques, au Mexique avec Octavio Paz. Le rôle de l’écrivain est d’accompagner le peuple contre vents et marée, et de lui dire de ne pas perdre l’espoir. Je fais une littérature en quête de l’apaisement.

 

Vous écrivez aussi dans votre contribution au recueil Bienvenue ! : «  je ne suis pas un homme de couleur en colère, mais tout simplement un être humain indigné par le spectacle des grandes puissances qui larguent des manuels de natation à des populations en train de se noyer »…

Oui, je pense que quand un peuple souffre, il faut cesser les discussions byzantines, les grands principes, il faut sauver ce peuple. On l’a vu sur la question des migrants en Europe, il y a eu de grands débats mais concrètement les gens continuent à souffrir. Pour  un futur noyé, ce n’est pas le moment de commencer à lire les principes de la natation. Il faut d’abord le sauver et par la suite lui montrer ce qu’il faut faire.

 

L’humanité a donc perdu les moyens de sauver l’autre ?

Non seulement l’humanité a perdu les moyens de sauver l’autre, l’humanité est incapable d’offrir une solution à celui qui est en train de souffrir. Pourtant notre degré de civilisation, nos avancées technologiques devraient nous aider à ne plus tolérer les population souffrir. Malheureusement le genre humain est lié à la théorie, à la discussion.

 

* Le recueil Bienvenue ! (34 auteurs pour les réfugiés) est vendu en libraire 5 au bénéfice du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR).

Bio : Alain Mabanckou est né en 1966 à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville). Grand Prix littéraire de l'Afrique noire en 1999, il est l'auteur de nombreux recueils et romans, dont Lumière de Pointe-Noire (Seuil, 2013), Mémoires de porc-épic (Seuil, 2006) pour lequel il a obtenu le Prix Renaudot, Verre Cassé (Seuil, 2005), African psycho (Le Serpent à plumes, 2003). Ses œuvres sont traduites dans une douzaine de langues. Il est professeur titulaire de littérature francophone à l'Université de Californie Los Angeles (UCLA).

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