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Sylvie Blocher : « S’inventer autrement »

par Véronique Giraud
Dreams have a language 2015, videos tournées avec 100 personnes du Luxembourg et du grand Est, production Mudam et Tarentula Luxembourg ©Giraud/NAJA
Dreams have a language 2015, videos tournées avec 100 personnes du Luxembourg et du grand Est, production Mudam et Tarentula Luxembourg ©Giraud/NAJA
Dreams have a language 2015, videos tournées avec 100 personnes du Luxembourg et du grand Est, production Mudam et Tarentula Luxembourg ©Giraud/NAJA
Dreams have a language 2015, videos tournées avec 100 personnes du Luxembourg et du grand Est, production Mudam et Tarentula Luxembourg ©Giraud/NAJA
Libération 2013-2014, série de dessins sur les unes du journal Libération, peinture ardoise et craie sur papier ©Giraud/NAJA
Libération 2013-2014, série de dessins sur les unes du journal Libération, peinture ardoise et craie sur papier ©Giraud/NAJA
Change the scenario (Conversation with Bruce Nauman) 2013 - Avec Shaun Ross ©Giraud/NAJA
Change the scenario (Conversation with Bruce Nauman) 2013 - Avec Shaun Ross ©Giraud/NAJA
Speeches - A more perfect revolution 2012 - Slamé par Katia Bouchoueva, extrait du manifeste de Karl Marx et Friedrich Engels, 1848 ©Giraud/NAJA
Speeches - A more perfect revolution 2012 - Slamé par Katia Bouchoueva, extrait du manifeste de Karl Marx et Friedrich Engels, 1848 ©Giraud/NAJA
Speeches - A more perfect day, 2012 - Chanté par David Bichindaritz, extrait du discours
Speeches - A more perfect day, 2012 - Chanté par David Bichindaritz, extrait du discours "A more perfect union" de Barack Obama à Philadelphie le 18 mars 2008 ©Giraud/NAJA
Arts visuels Arts vidéo Publié le 02/02/2016
L’œuvre de Sylvie Blocher est rarement montrée en France. Le Centre régional d’art contemporain (CRAC) de Sète a accueilli, après le Musée d’art moderne de Luxembourg, une exposition rétrospective intitulée « S’inventer autrement ». Une quinzaine d’installations vidéo récentes, des dessins, un projet participatif réalisé avec des Sétois, éclairent l’initiative d’une artiste qui ne craint pas de s’exposer à la désapprobation du monde.

Qui n’a jamais eu envie de « S’inventer autrement » ? Pour l’artiste vidéaste  Sylvie Blocher, c’est presque une injonction, une intimation à résister. L’idée de résistance, elle la construit depuis 1991 en filmant des inconnus qu’elle est partie rencontrer d’un continent à un autre. Elle recueille leurs mots, leurs gestes, suscite en eux l’altérité, et avec eux perce un silence qui l’inquiète de plus en plus.

L’exposition que le Centre d’art contemporain de Sète a accueillie de décembre à janvier 2016 est en fait la seconde étape d’une rétrospective de l’œuvre de la vidéaste que le MUDAM Luxembourg a montée en 2015. Une exposition rare, l’artiste est peu montrée en France. Même si elle n’est guère encouragée, son énergie est intacte pour parcourir le monde, aller à la rencontre des gens, poursuivre un travail entrepris depuis les années 90. Pour ce travail, Sylvie Blocher a un modèle délicat, l’altérité. Elle la peint en posant sa caméra sur des individus qu’elle pousse, par divers stratagèmes, à lâcher-prise. Au fil  du temps, et quel que soit le stratagème, leurs corps, leurs visages, leur gestuelle, leur pensée sincère, répètent des quatre coins de la planète que la soumission et l’autorité sont un poison de la modernité. Dérangeant ?

En parcourant les salles du CRAC de Sète, suffisamment vastes et ouvertes pour accueillir ses grandes Living pictures, les images sont lentes, attentives. Fruits d’une expérimentation, elles recèlent un bien commun, le manque ou encore le sentiment d’appartenir à une communauté méprisée. Ailleurs, ce sont des portraits vidéo d’hommes et de femmes que l’artiste engage à exprimer ce qui distingue leur identité, à extérioriser voire scénariser le sentiment de rejet, à l’instar de Shaun Ross, un top modèle afro-américain albinos. Histoires courtes des différences. Des souffrances aussi, les nôtres ou celles perçues chez l’autre. Speeches est une série née d’une réaction de l’artiste au discours d’Obama le 18 mars 2008 qui, du coup, a incarné ou réactivé en elle la notion même de discours. Du coup, elle a souhaité revisiter plusieurs d’entre eux, fondateurs de notre contemporanéité (de Marx, d’Angela Davis, d’Edouard Glissant…) en les faisant dire, dans leur langue originelle, par des jeunes gens. Cela produit l’impression d’un déplacement de l’intention politique aguerrie, communicante, vers une absorption par ceux à qui, a priori, le discours s’adresse. Faisant étrangement passer de l’état de consommateur de l’expression politique à celui d’interprète de cette même expression.

Sur un grand mur, sont rassemblés des dessins sur papier avec lesquels Sylvie Blocher a recouvert les unes du quotidien Libération pendant un an, entre 2013 et 2014. De rares mots sont écrits avec de la peinture de tableau d’école, des images sont redessinées à la craie. Pour l’artiste, « dans les années 90, tout « horizon d’attente » a semblé quitter Libération. Ne sont plus restées que les images ».

 

Sylvie Blocher expérimente aussi dans les lieux qui l’exposent. Cela a donné pour le Mudam, musée du grand Duc Jean au Luxembourg, Dreams have a language. Répondant à une annonce postée sur Internet et publié dans la presse, une centaine de personnes se sont présentées avec une idée pour changer le monde. Les quatre écrans vidéos de l’installation Off the ground, présentés dans le grand hall du musée luxembourgeois, ont été installés au CRAC de Sète. Déroulant curieusement des images d’hommes et de femmes en état de suspension, à 12 mètres du sol, « afin de leur faire percevoir un moment de décrochement de leur quotidien, pour leur faire vivre le moment d’après comme une rupture avec celui d’avant ».

A Sète, Sylvie Blocher a convié à une autre expérience. En septembre 2015, des habitants de Sète et de la région Languedoc Roussillon ont répondu à l’annonce, intitulée cette fois « Qu’offrez-vous ? » Ils se sont présentés avec leurs cadeaux de paroles et de mots pour un entretien d’une quinzaine de minutes, en échange l’artiste leur a offert une phrase dédiée, écrite à la craie. Toutes ces phrases ont été inscrites sur un mur du musée, œuvre éphémère, en préambule de la vidéo que l’artiste doit achever et qu’elle montrera à Sète un jour prochain.

 

Mais que montre Sylvie Blocher pour que son œuvre soit censurée, rejetée ? En regardant ses vidéos, on ne sent aucune violence, aucun discours péremptoire. Alors qu’est ce qui gêne ? Ne sont-ce pas les conditions même dans lesquelles ces images sont réalisées qui entrainent une incompréhension, un déni du commanditaire ?

En 1991, l’artiste a fait connaître son œuvre. Les portes se sont vite fermées. Pourquoi l’œuvre est-elle boudée par les institutions françaises ? Pourquoi un travail, pourtant en réponse à une commande de la mairie de Sao Paolo, n’a finalement jamais été montré ? Pourquoi le conservateur du musée d’art du Texas a-t-il été limogé après qu’elle ait réalisé, à son invitation, un travail sur la communauté hispanique texane ? Et l’exposition déprogrammée ? Pourquoi ? Les êtres que montre Sylvie Blocher, qui attirent son regard et construisent sa pensée d’artiste, n’ont rien d’exceptionnel. Mais, sans être des icônes, ils réveillent en nous ce que la société tente de cacher. Ils apparaissent grandeur nature, sans parole, mais avec des gestes et des regards qui en disent long sur nous.

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