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Umberto Eco, l’ultime roman « Numéro zéro »

par Jacques Moulins
Le dernier roman d'Umberto Eco,
Le dernier roman d'Umberto Eco, "Numéro zéro". DR
Livre Roman Publié le 21/02/2016
L'écrivain et philosophe italien Umberto Eco est décédé vendredi soir à Milan. Érudit passionné par la culture populaire, l'auteur du "Nom de la Rose" a publié en 2015 son ultime roman "Numéro zéro" qui mêle les perversions de la presse, la théorie du complot et une histoire d'amour dans une énigme policière.

Ce n’est pas pour ses études linguistiques et esthétiques qu'Umberto Eco est connu dans le monde entier. C’est avant tout pour un roman Le nom de la rose qui fut un des plus fameux bestseller de son époque, avant d’être repris au cinéma par Jean-Jacques Annaud avec Sean Connery dans le rôle principal. Il fallait l'érudition du professore et son respect de la culture populaire pour bâtir une intrigue policière dans un monastère médiéval, autour d’un conflit religieux avec pour clé de l’énigme le second tome de la Poétique d’Aristote.

C’est dans ce grand écart entre culture populaire et érudition que réside tout le charme des œuvres d’Eco, même si ses romans postérieurs n’ont pas connu le même succès de librairie. Né à Alessandria en 1932, il s’est éteint vendredi 19 février dernier à Milan, la ville où il enseigna la sémiotique après avoir étudié la philosophie et l’esthétique à Turin. Sa création portera les signes de ces études et de ce sourire amusé, un brin désabusé, qu’il portait sur le monde. De sa thèse sur Le problème esthétique chez Tomas d’Aquin à son dernier roman Numéro Zéro, paru en Italie et en France (Grasset) l’an dernier, en passant par L’œuvre ouverte (Seuil 1965) et De la littérature (Grasset 2002) où il s’interroge sur une d’esthétique du roman, il toucha à tout, pour toucher surtout à cette énigme décourageante : l’humain. Assistant à la RAI, la télévision publique italienne, homme assumé de gauche mais refusant la littérature engagée, il collabore à de nombreuses revues et journaux. Son ultime roman en porte témoignage.

 

Numéro zéro. Le numéro zéro, c’est, dans la presse, le premier numéro d’un journal à naître, qui sert de répétition sans être jamais mis en vente. Le roman s’articule autour de l’équipe de loosers recrutés pour la rédaction, d’une énigme sur le décès de Mussolini et d’une relation entre un quinquagénaire et une trentenaire. Donc de sémiotique, de complot et d’amour, trois ingrédients qui façonnent notre monde. La presse (elle ne l’a pas volé) en prend pour son grade. Dès les premières lignes, on apprend que le journal n’est qu’un instrument de pression, donc de pouvoir, dans les mains de son propriétaire, lui-même mis sous pression par une entente peu scrupuleuse entre le directeur et le rédacteur-en-chef. Cédant à son grand plaisir, qui est aussi celui du lecteur, Umberto Eco décortique le travail du journaliste jusqu’au bout du clavier, du pouvoir d’insinuation au détournement d’informations. Car tout est soif de pouvoir dans ce livre, jusqu’aux recherches de scoop d’un des membres de la rédaction, ancien fasciste et journaliste de caniveau, qui veut démontrer un complot sur les conditions de la mort du Duce ayant fait grand bruit dans l’Italie de la fin de siècle.

 

Construire le lecteur. Dans un interview donné au journal Le Monde lors de la publication du roman, Umberto Eco définissait ainsi la presse actuelle : « Soit vous construisez votre lecteur, soit vous suivez son goût présupposé avec des études d’opinion ». Les rédacteurs de Numéro zéro tentent de faire les deux, partant du citoyen veule qui n’est guidé que par son intérêt personnel et prend la peopolisation comme utopie ultime, jusqu’à le conforter dans ce rôle qui nourrit les rapports de ces journalistes à l’information. Gag et coup de génie facétieux d’Eco, la ligne éditoriale du quotidien Domani (Demain) est de parler de ce qui va se passer, donc de l’imaginer plus que de le déduire de l’information présente. Parce que « les nouvelles de la veille, nous les avons déjà apprises par la télévision », la rédaction de ce journal sans grande déontologie se propose de « trouver quelqu’un qui sait quelque chose d’inédit sur les probables responsables, une chose que la police ignore, et échafauder un scénario de ce qui arrivera dans les semaines à venir… ». Le langage semble sorti du réel, enregistré et reproduit sans intervention, alors que la phrase une fois posée dans le roman révèle toute l’ineptie, voire la dangerosité du procédé. Comme toujours chez Eco, chaque mot est pesé, chaque mot délimite exactement une pensée cependant ouverte où le lecteur donne le sens qu’il entend aux informations reçues et multiplie ainsi les interprétations. C’est inutile de l’écrire, cependant Umberto Eco nous manquera.

 

Les Éditions Grasset annoncent pour le 13 avril un recueil de textes d'Umberto Eco qui sera publié sous le titre Écrits sur la pensée au Moyen Age. Il comprendra des textes inédits.

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