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Valérie Dreville : « Je trouve nécessaire que le texte passe par le corps. »

par Véronique Giraud
Valérie Dréville est artiste associée au Festival d'Avignon 2008 ©Giraud/NAJA
Valérie Dréville est artiste associée au Festival d'Avignon 2008 ©Giraud/NAJA
Arts vivants Théâtre Publié le 25/01/2008
Les deux directeurs du Festival d'Avignon, Hortense Archambault et Vincent Baudrillier, ont demandé à deux artistes d'être associés à l'édition, Romeo Castellucci et Valérie Dreville, que nous avons rencontrée. La comédienne explique en quoi consiste sa tâche d'artiste associée au festival et, par delà, partage sa vision du théâtre.

Comment êtes-vous devenue artiste associée du plus grand festival de théâtre ?

A ma grande surprise j’ai été contactée par Hortense Archambault et Vincent Baudrillier, les deux directeurs du festival. C'est intelligent et courageux de leur part le principe de l’artiste associé, j’ai appris par la suite que c’est aussi leur manière de fonctionner. Bien sûr un acteur ou une actrice n’a pas toujours l’expérience de la mise en scène, par contre il ou elle a une vision sur le théâtre ou la pratique du théâtre qui est irremplaçable. C’est là la singularité de leur demande, de leur démarche et maintenant que je suis dans l’aventure je comprends la raison de leur démarche.

 

Quel effet cela fait-il ?

J’ai été effrayée, je ne me sentais pas capable de penser un festival, de l’organiser en collaboration avec l’autre comédien associé et les deux directeurs.

 

En quoi consiste la préparation du festival ?

Depuis un an, on avance de relais en relais. On s’approche, les choses sont de plus en plus concrètes. Au début, on s’est mis à parler à bâtons rompus de notre pratique, moi avec Hortense et Vincent, Roméo de son côté, et puis tous les quatre. Et c’est comme un matériau de pensées sur le théâtre, de l’intérieur. Hortense et Vincent ont besoin de penser le festival à travers la pratique des artistes. Au début, cela ne ressemble absolument pas à une réunion en vue d’une programmation. C’est tout sauf ça. On parle du théâtre qu’on aime, des spectacles, etc. L’idée de programmation vient comme naturellement nourrie de toutes ces idées, des lignes qui ont été creusées. Il en découle des choix, puis d’autres, comme en rebonds. Les directeurs ont un rapport professionnel, technique, nous on est là pour créer un sol, un milieu où vont pousser les choses. On apporte les choses de l’intérieur, on amène ce dont a besoin le théâtre, dans sa pratique quotidienne, dans son rapport à l’artisanat.

 

Comment vous êtes-vous préparée ? Avez-vous fait le tour des théâtres ?

Évidemment, parce qu’il m’est demandé, à la place où je suis, d’élargir mon champ de vision. Cela nécessitait de me comporter d’une certaine manière. Quand je vais voir un spectacle, je pense maintenant à Avignon. A chaque fois que je découvre quelque chose que je ne connaissais pas et que j’aime, je me dis : ça serait bien de le montrer à Avignon, que les gens connaissent ça. Je le transmets, mais la programmation ne m’appartient pas, ce n’est pas mon rôle ni ma compétence.

 

Y a-t-il des auteurs que vous avez découverts et aimés ?

Bien sûr. Ma rencontre avec Romeo Castelluci par exemple que je connaissais mal. Sa façon de voir le théâtre, d’être dans cette écriture singulière. Plus je le connais plus il est une énigme. Et cette énigme-là me questionne à mon endroit de travail. Ce qui est passionnant c’est que cette place d’artiste associée me fait me travailler moi comme actrice, me permet d’apprendre et d’élargir les instruments. On a une infinité de moyens qu’on ignore et qu’on découvre à travers les autres. Je crois beaucoup aux rencontres, je mise dessus. On ne peut pas inventer quelque chose au théâtre sans le partager. Habituellement, le travail de l’acteur vient de l’intérieur, on est pris en charge en travaillant avec le metteur-en-scène.

 

Comment définiriez-vous le festival ?

L’an dernier cela concernait beaucoup le texte, l’écriture contemporaine. Cette année, c’est plus mélangé. Il y a de nouveau plus de danse. Ce qui est assez présent c’est un besoin de raconter les choses par le corps. Pour tous les deux, c’est une évidence. Depuis mon travail avec Anatoli Vassiliev, j’ai le désir de faire tomber les frontières entre le théâtre de texte et le théâtre physique, de mélanger les choses le plus possible. Je trouve nécessaire que le texte passe par le corps. Que nous, acteurs, nous nous inspirions de la danse comme les danseurs s’inspirent du théâtre, peut-être parce que le langage du corps est plus universel. Or en France, on a tendance à privilégier le sens. C’est un endroit de résistance, c’est un endroit où on a un peu plus de mal. Le travail du théâtre est aussi là pour assouplir, on travaille sur ses propres clichés, c’est l’endroit de ses propres clichés et de la destruction de ses propres clichés. Il ne faut pas y aller de main morte, c’est très important. Je travaille beaucoup en Angleterre en ce moment. Là-bas, on trouve que le théâtre français est intellectuel.

 

Dans la querelle du texte et de l’image, prenez-vous parti ?

Je pense qu’il n’y a pas d’opposition. Il faut convoquer tous les moyens du théâtre. Tout dépend de la manière dont on les utilise. Je ne veux pas choisir entre Romeo et Claude Régy. Je veux les deux. Bien qu’ils utilisent des instruments extrêmement différents. On peut aussi dire qu’il y a de l’image dans le texte, que l’image est reliée au mot. Pour moi, ce ne sont pas des choses incompatibles. On peut regarder les choses par strate. Il y a les mots, il y a les corps. Dans le travail de Vassiliev avec les acteurs, il y a trois choses principales : le travail sur le mouvement général du texte, sur la mise en scène (qu’est ce qu’on fait avec le corps), puis sur la parole. Après, tout cela est mis ensemble et les choses sont des contre-points les uns aux autres. C’est très lié à l’école russe. C’est très différent pour le théâtre français, il est difficile de le relier à une quelconque tradition. Il y a des éléments de tradition mais ils sont comme dispersés. Avec un œil exercé, on pourrait trouver les fils de la trame mais c’est difficile.

 

Quel est le théâtre que vous défendez ? Que vous revendiquez ?

Depuis l’après-guerre jusqu’à maintenant, l’histoire de la mise en scène a beaucoup évolué. Avec mai 68, le jeu, les notions d’emplois ont été bouleversés. Il y a eu beaucoup d’expériences. Aujourd’hui, le laboratoire d’expérience tend à disparaître. Il existe de manière paradoxale des gens qui parviennent à garder un espace. François Tanguy à l’Eldorado en est un exemple, marginal. Il ne faudrait pas que cela tende à disparaitre. Avignon est un endroit d’impulsion de la recherche, de l’expérience, de la tentative, de l’idéal du travail qui est très important pour réintroduire toujours cette idée comme nécessaire. Romeo Castelluci est un laboratoire permanent. Liège aussi avec Ricardo Cardis, grand pédagogue et metteur en scène argentin, dont l’expérience est très liée à l’école. C’est une dimension à laquelle je suis très attachée. Sans doute à cause des maîtres que j’ai eus, Claude Vitez, Vassiliev et même Claude Régy dans un autre registre. Je pense que la pédagogie, l’école reste encore un endroit pour les acteurs, pour les metteurs en scène. Moi-même dans mon métier j’ai toujours essayé de garder l’école dans mon activité professionnelle, de garder un endroit pour l’école, pour moi-même en tant qu’élève. Ces quinze dernières années j’ai pu me former en Russie. En France, cela n’existe pas mais on peut organiser, si on le veut,  comme un repli, un endroit, comme un laboratoire de recherche.

 

Formée par Antoine Vitez à l’École de Chaillot, puis au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique dans les classes de Claude Régy, Gérard Desarthe et Daniel Mesguich, Valérie Dreville débute sa carrière en 1984. Après Électre, en 1986 au Théâtre national de Chaillot, elle se retrouve dans la cour d'honneur du Palais des Papes au Festival d'Avignon 1987 pour Le Soulier de satin de Claudel. En 1989, Antoine Vitez l'engage à la Comédie-Française en tant que pensionnaire, elle y reste pendant quatre saisons. Depuis quelques années, elle travaille régulièrement en Russie avec Anatoli Vassiliev et sa troupe. Leur spectacle, Médée-Matériau de Heiner Müller, a été créé en 2001 à Moscou et tourne depuis dans le monde entier. Il a été présenté au Festival d’Avignon 2002. La comédienne travaille avec de très nombreux metteurs en scène, et apparaît au cinéma, notamment sous la direction de Jean-Luc Godard, Philippe Garrel, Alain Resnais, Hugo Santiago, Arnaud Desplechin, Laetitia Masson et Michel Deville.

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