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Jean Varela : « Le service public est une idée neuve »

par Véronique Giraud
Jean Varela, directeur du festival Printemps des Comédiens © Pierre Yves
Jean Varela, directeur du festival Printemps des Comédiens © Pierre Yves
Arts vivants Théâtre Publié le 24/05/2016
S’il est un festival qui se réclame de la décentralisation, c’est bien le Printemps des Comédiens. Entièrement financé par le Conseil départemental de l’Hérault, il est dirigé depuis six ans par Jean Varela. Celui qui est également directeur du théâtre de Béziers Sortie Ouest explique  sa ferveur pour le service public.

Les places publiques sont occupées par la jeunesse. La culture institutionnelle est-elle en péril ?

Les jeunes de Nuit debout mettent en cause un certain fonctionnement de la représentativité, des choix économiques. Le financement de la création par l’argent public n’est pas remis en cause. Au contraire. La parole des artistes, le financement de la création par l’argent public, cette richesse commune, sont des pistes pour demain. Je pense que le service public est une idée neuve. Depuis trop longtemps on nous fait croire que la sécurité sociale est une idée dépassée. Je pense que c’est une des plus grandes idées révolutionnaires du XXe siècle. Le financement de la création par l’argent public en découle. A partir du moment où les directeurs de l’institution publique sont libres, peuvent promouvoir une exigence, une singularité, et tenter de la faire partager au plus grand nombre, on est dans cette mouvance.

 

La dernière création de Joël Pommerat « Ça ira… » fait justement référence à la Révolution…

Il y a une parenté entre l’élan de la jeunesse de Nuit debout et la révolte des jeunes députés qui, sentant qu’un monde s’écroule et qu’un autre va naître, parviennent à persuader, lors de Etats généraux de 1789, de créer une Assemblée constituante pour construire un nouveau monde. C’est un beau miroir à ce qu’on vit aujourd’hui.

 

Vous rencontrez beaucoup d’artistes de théâtre, que vous disent-ils ?

Artistes et directeurs de théâtre me font part des difficultés actuelles dues à la baisse de dotation des théâtres, de la difficulté à monter des projets, à les faire tourner, à maintenir l'exigence du théâtre d’art - pour distinguer l’industrie culturelle, le divertissement - que nous faisons dans la limite de la décentralisation née en France au tournant de la seconde guerre mondiale. Celui-là connaît de grandes difficultés, liées à la baisse des dotations, qui affectent en premier lieu nos budgets artistiques. Il y a une grande précarité des artistes. Il y a aussi chez certains élus un renoncement à défendre cette exigence, cet élitisme pour tous, pour aller vers des formes plus divertissantes.

Ce n’est heureusement pas le cas du département de l’Hérault. À Béziers, le Front National nous attaque sur des prétextes financiers, mais ce qu’il veut mettre à mal c’est le cœur de notre action, notre exigence, le travail qui nous permet d’accueillir des artistes de renom.

 

Pour les trente ans du festival, vous convoquez de grandes figures du théâtre…

Pour cet anniversaire, il y a à la fois les maîtres et la transition. Parmi ces maîtres, le Picolo teatro de Georgio Strehler, qui est aussi un hommage à l’Europe. Le picolo a été créé en 1947, l’année où Vilar créait le Festival d’Avignon. Sur les décombres de la seconde guerre mondiale, une ancienne prison de Mussolini, Strehler crée un spectacle, Arlequin, qui lui-même au XVIIIe siècle participe à la renaissance du théâtre italien. A l’époque, l’art de la comedia dell’arte est épuisé et c’est un grand acteur, Antonio Sacchi, qui va chercher Goldoni pour qu’il écrive une comédie qui va donner l’invention d’un nouveau genre.

Le programmer c’est une façon de réfléchir à ce que ce nouvel art du théâtre a généré. De voir aussi comment la domesticité a évolué : de l’Arlequin soumis à son cousin Sganarelle, émancipé, pré-révolutionnaire, voir comment les œuvres ont circulé. Figaro apparaîtra, dans le cadre d’une soirée opéra et, Avec Ça ira, La fin des Louis, ce sera l’effondrement d’un monde et les balbutiements de la démocratie que nous connaissons aujourd'hui.

 

Sur quels critères avez-vous choisi les spectacles du festival ?

Le travail de programmation consiste à montrer des artistes au travail exigeant, qu’il s’agisse de Sivadier face à Molière, Strehler face à Goldoni, le collectif OS’O face à Shakespeare pour traiter de la dette mondiale et de la violence. Simon McBurney, en utilisant d’une façon géniale le son en 3D, propose aux spectateurs un livre qui raconte comment le théâtre sait utiliser depuis très longtemps les dernières technologies de son temps. Il me semble que l’expérience sensorielle sonore en trois dimensions crée la même sensation pour nous aujourd’hui qu’un spectateur dans la Salle des machines de Mazarin au Louvre quand il a vu le premier vol baroque ou que les premiers spectateurs du Train arrivant en gare de La Ciotat. Il y a une filiation de l’émotion au service de la cage de scène.

L’évolution dramaturgique se fait aussi en fonction de l’évolution architecturale. Au Printemps des Comédiens, je suis confronté à cela. On ne programme pas la même chose dans l’amphithéâtre d’O, qui est un lieu ouvert de 1800 places, que dans le théâtre d’O de 200 places. La question que je me pose est : quel metteur en scène aujourd’hui propose un théâtre ample, généreux, populaire, exigeant. Jean-François Sivadier, avec son théâtre de tréteaux tout de poésie et de grands textes, peut s’imposer comme une évidence. C’est aussi pour cela que j’ai proposé à Joël Pommerat de recréer pour cet endroit le Ça ira…. La forme hémicycle, qui rappelle par exemple celle d’une assemblée nationale, et la puissance de jeu du spectacle, avec l’affrontement entre les députés dans la salle et ceux au perchoir, me semblaient plus judicieux dans l’amphithéâtre.

 

Comment avez-vous eu envie de faire venir le collectif OS’O ?

Je les ai rencontrés l’été dernier à Avignon, la façon dont ils m’ont parlé de leur travail, cette idée d’être en collectif et d’inviter pour chacune des productions un metteur en scène différent m’a semblé quelque chose qui pouvait régénérer l’économie du théâtre. Il me semblait que leur présence, en miroir avec la grande présence cette année de l’Ecole nationale d’art dramatique (ENSAD) de Montpellier avec des productions conçues par quatre metteurs en scène de générations différentes, pouvait être une belle découverte. Les mettre sur la même affiche qu’une production de Strehler, qu’on peut considérer de muséale, était aussi enrichissant. L’énergie se transmet de l’un à l’autre.

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