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Des festivals très politiques

par Jacques Mucchielli
"Ceux qui errent ne se trompent pas", un texte de Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy, d’après le roman "La Lucidité" de José Saramago, mis en scène par Maëlle Poésy et créé au Festival d'Avignon le 6 juillet © Jean-Louis Fernandez
Arts vivants Publié le 06/07/2016
Art et actualité ont toujours fait bon ménage. Notre siècle très bousculé interroge autant les artistes que les spectateurs. De Montpellier à Avignon, du théâtre à la danse en passant par la poésie, les éditions 2016 des festivals s’en font cet été l’écho.

Le 9 juin dernier, donnant au Printemps des Comédiens de Montpellier (jusqu’au 10 juillet) son Dom Juan, Jean-François Sivadier s’est permis de faire un « collage » dans le texte de Molière pour affirmer l’homme libre face à tous les moralismes. Dom Juan nous fait une lecture de quelques pages de La philosophie dans le boudoir de Sade. Dans ce passage, il est question de l’athéisme proclamé du marquis. Athéisme ? C’est un mot qui pourrait s’oublier dans le vacarme actuel des religions. Après l’ovation finale, Nicolas Bouchaud, qui campe un impressionnant et bien actuel Dom Juan, lit sur scène un texte où l’équipe rappelle son attachement au régime des intermittents, à la signature définitive de l’accord obtenu le 28 avril dernier et salué par tous, et dit son opposition à la loi travail. En un seul spectacle, le spectateur est plongé à la fois dans l’actualité immédiate et dans la réflexion intellectuelle sur ce monde perturbé et perturbateur.

 

Impuissance politique. Difficile de faire œuvre artistique sans se mêler des soubresauts du monde. Il n’y a de poésie que de circonstances a souvent rappelé Louis Aragon. Ce XXIe siècle ne déroge pas à la tradition, il l’amplifie même en la mondialisant. Toutes les cultures se réfèrent à leurs traditions et les interrogent en même temps sur leur pertinence à penser le monde d’aujourd’hui, sur les trésors qu’elles recèlent pour aller vers l’avenir plutôt que vers le passé. Les programmations des festivals, cet été, font largement écho à ce désir d’en savoir plus et d’y réfléchir. C’est sous ce signe qu’Olivier Py a placé la 70e édition du Festival d’Avignon, qu’il dirige. Pour lui, la scène est le premier acte de la reconquête d’une action politique aujourd’hui impuissante : « Les grands changements, les révolutions sont toujours le fait de forces collectives favorisées par le vent de l'histoire, mais comment vivre quand ce vent se tait ? Comment vivre quand la politique est sans espoir, oublieuse de l'avenir ? Comment vivre quand les idées n'ont plus de valeur, quand le corps social est écartelé, apeuré, réduit au silence ? Comment vivre une vie digne quand la politique n'est plus que manigances politiciennes ? Quand la révolution est impossible il reste le théâtre ». Le Festival d’Avignon (6 au 24 juillet) privilégie donc ce débat permanent qui agite le monde, ses idées et ses représentations en marquant la programmation du sceau de la peur de l’autre, de l’impuissance politique, de la montée des nationalismes. Dès l’ouverture dans la Cour d’Honneur, Ivo van Hove nous replonge dans le nazisme. Le directeur du Toneelgroep d’Amsterdam monte Les Damnés de Visconti avec la troupe de la Comédie française. Autour de cette époque également, Krystian Lupa revient avec Thomas Bernhard pour Place des Héros, cette place de Vienne où les Autrichiens acclamèrent les troupes nazies venues prendre possession de leur pays. La jeune Anne-Cécile Vandalem s’est elle aussi inspirée de la montée des nationalismes pour écrire sa pièce Tristesses, curieusement sous-titrée Comédie. Tristesses est le nom d’une petite île du Danemark où s’opère le retour d’une femme née là et devenue leader du parti nationaliste, un parti qui vient de remporter les élections… Ceux qui errent ne se trompent pas, la pièce de Kevin Keiss (éditée par Actes Sud Papiers) que Maëlle Poésy met en scène, traite précisément de l’impuissance politique, portant la récit au moment où, lors de l’élection nationale dans un pays imaginaire, la majorité des électeurs ont voté blanc.

La danseuse Lizbeth Grugez a voulu travailler sur les peurs et leur impact sur la respiration, tandis que la suédoise Sofia Jupiter adapte le texte de Gianna Carbunariu, Tigern (La tigresse). S'inspirant d’un fait divers : un bébé tigre échappé du zoo d’une petite ville de Roumanie, Gianina Carbunariu a interrogé les habitants à propos de la terreur que l’incident avait provoqué en eux. C'est un autre fait divers terrifiant qui a inspiré Angelica Liddell pour sa création Que ferais-je moi de cette épée ?, celui d’un étudiant japonais qui avait tué sa voisine pour la manger.

 

Toile de fond et didactisme. La politique est donc présente dans un grand nombre de pièces qui occuperont cet été nos festivals. Une présence latente, en toile de fond ou en cœur de sujet selon les auteurs. Ça ira… (fin de) Louis, que Joël Pommerat a présenté à Montpellier au Printemps des Comédiens est totalement politique : l’auteur et metteur en scène a décidé de sublimer le moment où le Tiers États crée l’Assemblée nationale en gommant les noms, le sexisme et un certain nombre de données historiques pour faire une pièce quasi didactique, copie édulcorée de Brecht. À l’inverse, le burkinabé Salia Sanou, invité par Montpellier Danse (du 23 juin au 9 juillet) sur la scène de l’Opéra Comédie, entraîne ses huit danseurs dans un Désir d’horizons inspiré de son atelier de danse dans un camp de réfugiés en Afrique. Les corps dansent la douleur comme la joie plutôt que l’injonction.

D’autres questions d’actualité brûlante traversent les scènes de Montpellier Danse. À l’heure où l’homophobie affiche toute sa violence, le festival interroge le genre dans les corps, dans les représentations, dans les préjugés et dans l’espace public. La sud-africaine Robin Orlin exprime son indignation des violations de droits et des effets différés de la colonisation par le corps du transsexuel Albert Ibokwe Khoza, en bousculant les représentations. Au Festival de Marseille (24 juin au 19 juillet), le belge Jan Goossens pose la question du multilinguisme et du multiculturalisme, lui qui vient de quitter son théâtre du KVS, dans une ville, Bruxelles, où les minorités devenues majoritaires s’interrogent sur le communautarisme. Il a invité l’Africain du Sud Brett Bailey pour un Macbeth de Verdi très africain et la Capverdienne Marlene Montero Freitas qui revitalise la danse contemporaine d’une énergie positive que les Européens discoureurs ont un peu perdu.

Les guerres et les conflits sont également présents à travers les textes. Les Voix vives de Sète (22 au 30 juillet), le plus international des festivals de poésie, fait ainsi une large place aux poètes arabes, de la Tunisie et la Lybie à l’Irak, la Syrie (avec la poétesse Hala Mohammad) et l’Iran en passant par l’Arabie Saoudite (avec Abdullah Thabet). Ils discuteront leurs mots, les maux et les joies de leurs sociétés en grands bouleversements avec ceux des poètes du nord de la Méditerranée.

Ce ne sont que quelques exemples d’un long débat qui va s’immiscer dans la langueur estivale, mais, vous l’avez compris, aucune excuse pour délaisser les gradins cet été.

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