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Festival d’Aix : « Cosi fan tutte » en colonie fasciste

par Jacques Mucchielli
Despina (Sandrine Piau) servante dans une veille africaine pour
Despina (Sandrine Piau) servante dans une veille africaine pour "Cosi fan tutte" ©JeanLouisFernandez
Arts vivants Opéra Publié le 06/07/2016
Dans une remarquable interprétation musicale, le metteur en scène Christophe Honoré situe "Cosi fan tutte" dans une ville africaine sous colonie italienne pour accentuer la violence de l’opéra mozartien.

Les longues files de femmes en robe de soirée et d’hommes portant nœuds papillons remontant de la place de l’Hôtel de ville vers le théâtre de l’archevêché ont pu faire oublier ce fait : l’opéra est un art populaire. Le directeur du festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle, aime à le rappeler. Pour lui rendre ce public, le festival a non seulement modifié la politique tarifaire qui prévalait à la fin du siècle dernier, mais il a encore travaillé sur la mise en scène des œuvres lyriques, renvoyant les montages empesés aux oubliettes et convoquant les metteurs en scène de théâtre, plus habitués à doter l’intrigue et le texte d’interprétations en phase avec le monde contemporain. Bernard Foccroulle a ainsi confié à la britannique Katie Mitchell l’opéra de Debussy et Maeterlinck Pelléas et Mélisande,  au polonais Krzysztof Warlikowski le Trionfo del Tempo e del Disinganno de Heandel. Et au vidéaste et metteur en scène français Christophe Honoré l’ouverture du festival avec Cosi fan tutte.

L’opéra, dont les parties musicales très « bouffe » donnent déjà un air populaire à l’œuvre, possède en outre, comme souvent chez Mozart, un texte profond signé Luigi Da Ponte. Qualifié de marivaudage, puisque l’intrigue consiste en un jeu entre promis et promises qui recule les frontières des interdits sexuels et donc, au final, accroît la liberté des individus particulièrement de sexe féminin, l’opéra est recherché par les gens de théâtre. Il se prête à de multiples interprétations qui le ramènent à nos débats actuels.

 

Des corps à libérer. Christophe Honoré dit voir dans Cosi fan tutte l’œuvre la plus violente de Mozart. Admettons que la découverte de son corps, de ses désirs, de la lutte que cela implique pour deux filles de quinze ans si elles veulent en rester maîtresse et donc, acquérir une liberté inconnue, est en soi une violence. Ou encore que la raison comme régulateur des passions et des conflits individuels et sociaux est également une violence faite à l’individu. Mais le réalisateur, marqué par l’écriture cinématographique, a voulu aller plus loin. Pour échapper au « minaudage habituel » il a cherché dans l’œuvre écrite en italien des accents plus clivants capables d’offrir une mise en perspective accentuée. Son choix s’est porté sur l’épisode colonial fasciste, établissant de fait un parallèle entre la situation des femmes et celle des colonisés. Un asservissement par l’homme blanc du beau sexe et des populations noires que l’auteur fait afficher par une des deux sœurs sur les murs de la ville africaine : elle colle d’abord les portraits de Pie XII et de Mussolini avant d’y adjoindre ceux de leurs fiancés, soldats du Duce. Les deux fiancés, lorsqu’ils se déguisent pour séduire leurs amantes, le font en se noircissant la peau, un « blackface » dont Christophe Honoré rappelle le relent raciste.

Cette mise en perspective, qui ne jure pas avec le livret, n’en modifie bien sûr pas l’épilogue : Fiordiligi et Dorabella ont choisi sur les instances de Despina (interprétée superbement par Sandrine Piau) d’aimer « par plaisir et par caprice » avant que la raison, maître-mot des Lumières mais pas vraiment du fascisme, contraigne leurs fiancés Ferrando et Guglielmo, sous la conduite de Don Alfonso à accepter cette libération aussi douloureuse qu’inattendue.

Le chœur de l’opéra du Cap d’Afrique du sud intervient à merveille dans cette mise en scène où la découverte du désir de l’autre, voulue par le librettiste, impose en préalable sa libération. Signalons enfin que le chef mozartien Louis Langrée, qui n’avait plus dirigé Cosi fan Tutte depuis quinze ans, le fait à sa façon magistrale où les instruments sont voix et les voix instruments, un dialogue musical qui enrichit encore l’œuvre.

 

Cosi fan tutte de W. A. Mozart. Nouvelle production du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, les 2, 5, 8, 11, 13, 15, 17 et 19 juillet. Direction musicale : Louis Langrée. Mise en scène Christophe Honoré. Avec Lenneke Ruiten (Fiordiligi) Kate Lindsey (Dorabella) Sandrine Piau (Despina) Joel Prieto (Ferrando) et Nahuel di Pietro (Guglielmo) Rodney Gilfry (Don Alfonso) et le Cap Town Opera Chorus. Orchestre : Freiburger Barockorchester.

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