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« Rester vertical » d’Alain Guiraudie

par Véronique Giraud
"Rester vertical" : Damien Bonnard, India Haïr, Raphaël Thiery. DR
Cinéma Film Publié le 19/08/2016
Alain Guiraudie préfère à la route droite la sinuosité des chemins inconnus. Avec "Rester vertical", le cinéaste nous fait suivre Léo parti dans un causse de Lozère à la recherche du loup. Cette quête, en forme de rêve éveillé, conduira à une multitudes de rencontres initiatiques qui nous interrogent sur notre modernité.

Dans son dernier long-métrage, Alain Guiraudie emmène le spectateur aux côtés de Léo qui, sans idée préconçue, part à la recherche du loup dans un causse. Parcourant en voiture les routes sinueuses de Lozère, on aborde avec lui un jeune garçon aux beaux yeux de biche apparu au bord d’un chemin, on s'interroge sur la présence d'un vieillard immobile non loin, on admire les paysages vallonnés d’un causse, on s’arrête pour observer un paisible troupeau de brebis, une jeune bergère armée d'un fusil. On marche en Léo, pénétrant furtivement puis sexuellement cet environnement rural, animal, peuplé de solitudes humaines. une jeune femme aimante, ses enfants, son père imprévisible, un vieillard bougon, un adolescent. Toutes ces rencontres donnent lieu à des scènes brèves, abruptes, frontales. Les errements de Léo sont autant de rêves éveillés où il n’y a nulle place pour la séduction mais pour tous les possibles d’une première rencontre. La sexualité plane partout, entre hommes, entre femme et hommes. Le loup maintient lui aussi  les sens en éveil. Les agneaux paient le prix, les protéger semble vain.

Le rythme des séquences est rapide. Nombreuses, elles évoluent sans concession. Le choc est là, à chaque changement de cadre. La fragilité de Léo, scénariste désargenté en mal d'inspiration, réunit nos possibles et nos incertitudes intimes d’aujourd’hui. Les métaphores d’une thérapeute terrée dans les îlots inondés du marais. Alain Guiraudy nous dérange sans cesse dans nos retranchements, dans notre inconscient collectif convenu et plombant. Les nombreux va et vient rythment le film : la quête de Léo s’achève face au loup, rester debout, ne surtout pas tomber…

 

Un conte d’aujourd’hui. Tous les protagonistes du film sont seuls, souffrent en silence de leur isolement dans le causse de Lozère. Les rapports avec l’autre sont abordés par l’attirance, la pulsion charnelle, la sexualité. Les corps se rejoignent, les mains caressent, les mots sont rares et évoquent sans s’appesantir la souffrance de chacun. Le personnage principal, Léo, navigue à vue dans ces rencontres. Rien ne l’y prépare, le spectateur non plus. Ce dernier est secoué par tant de scènes crues, introduisant un rapport à l’humanité éprouvant, dans tous les sens. Les images de Guiraudie montrent sans éclipse les effrois dont notre humanité ne s’est pas débarrassée : la fin de vie, traitée ici de façon spectaculaire, le début de la vie avec un gros plan sur le sexe de la femme accouchant. La seule femme du film s’appelle Marie. Seule à exprimer des mots d’amour dans sa relation avec Léo, la jeune femme, devenue bergère un temps, n’endosse pas le rôle attendu de mère, refusant l’attachement induit au nouveau-né, obligeant le père à l’expérimenter.

La nature, très présente, offre une magnificence qui est loin d’être apaisante : dans l’horizon vallonné du causse, la présence du loup menace. Seuls les paysages inondés du marais offrent leurs reflets apaisants. Le bruit de l’eau, le clapotis de la barque mènent au fantastique d’une étrange cabane où vit terrée une thérapeute bienveillante. Ces images empruntent à la métaphore, comme celles de la fin du film empruntent au registre biblique.

Ces va et vient entre peurs intimes et dimensions mythiques donnent un ton guiraudien. Le réalisateur pose nos errements sur l’écran et nous laisse aussi désemparés que son personnage. Avec ce film, Alain Guiraudie continue son ascension dans le monde cannois du cinéma. Après L’inconnu du lac (2013), présenté à Un certain Regard, Rester vertical était cette année en compétition pour la Palme d’or.

 

Rester vertical, scénario et réalisation : Alain Guiraudie. Avec : Damien Bonnard, India Haïr, Raphaël Thiery, Christian Bouillette, Basile Meilleurat, Laure Calamy, Sébastien Novac. Sortie en France : 24 août 2016.

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