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Mot de passe oublié ?Ai Weiwei compose avec les gilets de sauvetage de migrants
De loin, l’effet est impérial. De grands cerclent flottant, tels des fleurs de lotus, colorent joliment la surface de l’immense bassin du Belvédère, où se reflète le magnifique château baroque de la capitale autrichienne, autrefois résidence d’été du prince Eugène, aujourd’hui musée d’art. En s’approchant, ces fleurs se révèlent être des gilets de sauvetage. Rouges, jaunes, bleus, agencés en cercles, ils flottent paisiblement. La conscience du spectateur est vite ramenée aux images des migrants traversant la Méditerranée sur des embarcations surchargées avec pour seule armure ce gilet. Le trajet tourne souvent mal, comme en témoignent les corps et les gilets retrouvés sur les rivages de l’île grecque de Lesbos. C’est là que l’artiste chinois Ai Weiwei les a collectés pour en faire cette gigantesque installation, inscrivant dans ce paysage bucolique les horreurs de la tragédie humaine qui se joue actuellement. "C'est peut-être la dernière chose qu'on agrippe avant de mourir", a souligné l'artiste chinois qui multiplie depuis 2015 les actions pour attirer l'attention du monde sur le drame des migrants. Composée de 1005 gilets, l’œuvre s’intitule F Lotus. Son élégance colorée contraste avec la noirceur de sa symbolique.
Tragédie maritime et mythologie astrale. Autour du bassin, Ai Weiwei s'est fait sculpteur et a disposé douze têtes animales du zodiaque de l’horoscope chinois. L'installation Circle of Animals/Zodiac Heads est basée sur la réinterprétation des sculptures en bronze (figures humaines assises et vêtues à tête animale crachant de l'eau) d'une fontaine horlogère du Jardin du Palais d'été (Yuanming Yuan) de l'Empereur Qianlong, situé près de Pékin. Cette fontaine a été réalisée au XVIII° siècle par des jésuites italiens et français, avec l'aide des artisans chinois. Le Palais a été pillé par les occidentaux en 1860. Sept têtes ont été vendues aux enchères dans le monde et ont été réclamées par le gouvernement chinois : cinq ont été rapatriées. Ai Weiwei a pour sa part réalisé la série complète des douze têtes, en se basant, pour celles disparues, sur les estampes conservées représentant la fontaine originelle : Rat, Buffle, Tigre, Lapin, Dragon, Serpent, Cheval, Chèvre, Singe, Coq, Chien et Cochon. La première des six versions a été exposée à la Biennale de Sao Paulo en 2010, puis a fait le tour du monde des musées. Réalisées en bronze et dominant le visiteur du haut de leurs socles, les têtes dirigées vers le visiteur encerclent étrangement F Lotus.
Exposition Ai Weiwei dans les jardins du Belvédère à Vienne (Autriche), jusqu'au 20 novembre 2016.
Né à Pékin en 1957, Ai Weiwei compte parmi les artistes majeurs de notre époque. Il a grandi en exil après que son père, poète, fut dénoncé pendant la révolution culturelle. La répression par le gouvernement du premier mouvement d’avant-garde, dont il est membre, l’incite à quitter la Chine en 1981 pour étudier aux Etats-Unis. En 1993, il rentre en Chine, ouvre en 1999 son propre studio à Pékin, organise à Shanghai la première Biennale indépendante, Fuck Off, regroupant ses œuvres et celles d’artistes chinois de la nouvelle génération. En 2008, The Chinese Contemporary Art Awards lui remet un prix couronnant l’ensemble de sa carrière. Ai Weiwei expose dans les endroits les plus prestigieux du monde entier. En parallèle, il mène un combat acharné pour la défense des victimes du tremblement de terre du Sichuan et, plus généralement, exprime sur les réseaux sociaux son engagement sur des sujets comme la liberté, le mensonge, la mémoire... Le travail d'Ai Weiwei emprunte souvent des formes à la culture classique chinoise et à l’environnement populaire occidental, imitant le vocabulaire visuel à travers des systèmes de logique qui tout à la fois en dénient et en rappellent le contexte original et en utilisent les valeurs dans un contexte actuel. AI Weiwei a été arrêté en 2011, officiellement pour évasion fiscale, et libéré sous caution après 81 jours d’enfermement. L’artiste s'est vu décerner par Amnesty International le prestigieux prix "Ambassadeur de la Conscience 2015 ". Le 22 juillet 2015, son passeport lui a été rendu par les autorités chinoises.
