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Une première ministre contre la censure Facebook

par Jacques Moulins
À la Collection Lambert en Avignon,
À la Collection Lambert en Avignon, "Cri" d'Adel Abdessemed, d'après la photo de Nick Ut "La petite fille au napalm" (1972) © Mucchielli / Naja
Hors-Champs Politique Publié le 19/09/2016
Chaque jour, la firme Facebook censure des informations selon un code établi par elle-même, appliqué par elle-même. Jusqu’à ce que la première ministre norvégienne s’en mêle…

Qu’est-ce qu’un média ? Un organe sensé publier des informations vérifiées, corrélées, contextualisées ? Notre corporatisme journalistique a beau se réjouir de la énième déclaration de Mark Zuckerberg affirmant que Facebook est « une entreprise tech, pas un média d’information », il est bien difficile d’y croire. Les chiffres tout d’abord : par minute, Facebook génère 500 gigaoctets de données. Sur le 1,71 milliard de comptes que dénombre le réseau social, nombres de données sont assez dignes d’être catégorisées comme informations pour que déjà des gouvernements autoritaires se soucient de les censurer.

Le 9 septembre dernier, Facebook a inscrit une nouvelle première mondiale à son palmarès : la censure d’un chef de gouvernement. Ce n’était certainement pas en raison de l’information publiée sur le compte de la première ministre norvégienne Erna Solberg puisque Facebook n’est pas un média d’information. Ce n’était que pour une photo de 1972, mondialement connue il est vrai, représentant une jeune Vietnamienne nue après un bombardement au Napalm de l’armée américaine. La première ministre norvégienne n’est pas innocente dans cette affaire. Et elle le revendique, car son post visait à provoquer Facebook qui, quelques jours auparavant, avait censuré la même photo postée par l’écrivain Tom Egeland. L’auteur de romans policiers réalisait un travail sur les photos de guerre qui n’ont pas été jugées publiables par les algorithmes de la firme californienne.

L’intervention d’Erna Solberg. Le soutien de la première ministre n’a pas été vain. Dans un communiqué à l’AFP, Facebook s’est défendu en usant d’un langage emprunté aux codes puritains : « Nous essayons de trouver le bon équilibre pour permettre aux gens de s'exprimer tout en préservant une expérience sûre et respectueuse pour notre communauté ». Plus prosaïquement, l’éditeur d’on ne sait plus exactement quoi a excusé la limite de ses logiciels : « il est difficile de faire une distinction et d'autoriser la photo d'un enfant nu dans un cas et pas dans d'autres ». Puis le géant américain a rouvert le compte de la première ministre contenant la photo controversée : « Nous avons décidé de rétablir l'image sur Facebook là où nous sommes au courant qu'elle a été retirée. Nous ajusterons aussi nos mécanismes d'examen (des publications sur le réseau) pour permettre le partage de l'image à l'avenir ».

« J'espère que Facebook saisira cette occasion pour examiner sa politique rédactionnelle », a réagi Erna Solberg dans un nouveau post. Nous revoilà donc devant le même problème : Facebook n’a pas de politique rédactionnelle puisque le réseau social n’est pas un « média d’information ».

 

« Nous limitons, nous interdisons, nous supprimons ». Le 17 septembre, Le Monde révélait un autre cas de censure. Là encore la dame était malveillante. La française Delphine Colin s’évertue depuis quatre ans à « défier Facebook », dit le journal en publiant des photos très sexy de femmes signées de grands noms de la photographie. Les gardiens algorithmes, qui ont pour ordre de traquer les mamelons des seins féminins interdits sur Facebook, ont à nouveau sévi, bloquant le compte.

Des milliers d’autres anonymes font chaque jour les frais de ce qui s’apparente bien à une morale maison. Car si les contenus mis en avant par l’éditeur sont hiérarchisés par leur nombre de vues, personne ne peut donner son avis sur les règles de publication de Facebook. C’est bien là le problème. « Nous avons mis au point un ensemble de Standards de la communauté (…) Ces règlements vous aideront à comprendre le type de contenu pouvant être partagé sur Facebook, et celui susceptible d’être signalé et supprimé » peut-on lire sur le site au chapitre conditions d’utilisation. « En vue d’établir un équilibre entre les besoins, la sécurité et les centres d’intérêt d’une communauté diversifiée, nous pouvons supprimer certains types de contenu sensible ou en restreindre l’accès ». Cela semble de bon sens. Et force est de reconnaître que le « média » Facebook s'arroge ainsi des libertés que nombre de journaux par le monde se sont aussi octroyées. Mais ces derniers restent encadrés par les lois sur la presse de leurs pays de publication. Du moment que des règles de censure sont éditées et appliquées sans aucun contrôle extérieur, comme aux temps où le censeur public pouvait faire fi de la justice, il n’y a pas de limite aux « standards » de Facebook qui reconnaît « nous limitons, nous interdisons, nous supprimons ». Il s’agit bien d’une morale imposée. Et donc de la liberté du citoyen, de la culture des sociétés, de l’histoire des démocraties… Vaste programme. Mais comment y échapper ?

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