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L’art africain-américain à Paris

par Véronique Giraud
"Origine of universe", Mickalene Thomas. DR
"Woman in Green", Jacob Lawrence. © Adagp, Paris, 2016
Arts visuels Arts plastiques Publié le 20/10/2016
Ce n’est pas chose fréquente au XXIe siècle à Paris de créer l’inédit en art contemporain. C’est pourtant le cas pour les œuvres de l'art africain-américain qui font pour la plupart leur première apparition en France au musée du Quai Branly avec l'exposition "The Color Line".

L’exposition The Color Line offre une vraie découverte au public. Ce n’est pas chose fréquente au XXIe siècle à Paris de créer l’inédit en art contemporain. C’est pourtant le cas pour l’art africain-américain dont le musée du Quai Branly présente plus de deux cents œuvres, depuis les longues années de la ségrégation jusqu’à aujourd’hui. Si les artistes font pour la plupart une première apparition en France, on comprend qu’il était nécessaire de montrer le contexte dans lequel ont été créées les 213 œuvres présentées. L’éclairage historique et sociologique d’une période méconnue, celle vécue par la communauté noire après que l’esclavage ait été aboli, accompagne donc les dessins, tableaux et vidéos, prêts des musées, des collections et autres fondations. L’exposition The Color Line, portée par le commissaire et critique d'art Daniel Soutif, est présentée jusqu’au 15 janvier 2017 au musée du Quai Branly.

Une mise en perspective historique. Ces œuvres de la fin du XIXe siècle seraient difficiles à apprécier si on ne rappelait pas les perspectives heureuses qu’ouvrait aux États-Unis l’abolition de l’esclavage en 1865, treizième amendement porté par le président Lincoln. Un élan qui fait bien vite place au désenchantement car, si la communauté noire est libérée de l’asservissement, elle est vite écartée d’une population blanche qui n’est pas prête à lui accorder tous ses droits. Une ligne invisible va peu à peu mais brutalement séparer noirs et blancs, désignée « The Color Line » dans un article du leader noir Frederick Douglass datant de 1881.

Dans les salles du musée, la scénographie de Laurent Fontaine parvient à mettre en regard la double ambition, artistique et historique, de l’exposition, tout en évitant l’interférence entre ces deux aspects. Concentrée sur un seul mur, la documentation historique permet de plonger en elle, mais aussi de lui tourner le dos pour ne plus voir que les œuvres d’art, sujet central de l’exposition.

Pour mener à bien cette exposition dense et très documentée, Daniel Soutif a travaillé avec une jeune femme qui connaît bien la question. Diane Turkety, qui fut son assistante pendant deux ans, est pour beaucoup dans les nombreuses recherches documentaires effectuées ensemble pendant quatre ans. Après ses études en France, l’historienne de l’art est partie aux Etats-Unis, a travaillé au musée d’Indianapolis, et est devenue une des rares connaisseuses sérieuses de ce sujet. L’article qu’elle signe dans le catalogue de l’exposition, sur la difficulté à traiter des Blackface et des vaudevilles, est remarquable.

Dans le documentaire diffusé sur la chaine Arte, Daniel Soutif évoque l’histoire des Africains-Américains comme l’histoire de désillusions successives (de l’esclavage à la ségrégation, l’égalité mais avec la séparation, de l’élection d’un Président noir mais dans le contexte de l’acharnement policier contre la communauté noire, etc.). « Si on regarde les 150 ans d’histoire qui viennent de s’écouler c’est un phénomène de genre qu’on observe. À chaque fois on croit que c’est fini, mais ça continue ou ça recommence de plus belle. Le dernier épisode est absolument flagrant : au moment même où l’art africain entre dans les collections muséales, et est salué de manière de plus en plus claire et franche aux Etats-Unis, vous avez les meurtres dont la presse parle. Vous ouvrez le New-York Times un jour pour lire que le Metropolitan a acheté un grand tableau de Aaron Douglas et le lendemain vous l’ouvrez pour apprendre qu’un gosse a été tué dans la rue. »

« L’esthétique est une affaire de comparaison. J’ai été très déstabilisé quand j’ai découvert les artistes noirs américains. Quand on est déstabilisé, on peut fuir la déstabilisation, ou travailler sur elle », commente Daniel Soutif. Son exposition s’achève dans une salle consacrée exclusivement aux artistes contemporains. L’ultime tableau est signé de Mickalene Thomas, il s’intitule Origine of the Universe (L'origine du monde).

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Entretien avec Daniel Soutif, commissaire de l'exposition The Color Line.
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