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Aurélien Lemonier : « aborder l’histoire de l’immigration du point de vue de la mondialisation »

par Véronique Giraud
Aurélien Lemonier © EPPPD, 2017
Aurélien Lemonier © EPPPD, 2017
Hors-Champs Institution Publié le 20/01/2017
Aurélien Lemonier est depuis janvier le directeur du Musée national de l'histoire de l'immigration. L'architecte et conservateur livre ses réflexions sur une institution qui traite d'un sujet très actuel, les migrations, que la nouvelle génération souhaite dégager de la culpabilité et de la victimisation de la nouvelle génération.

Vous êtes architecte, vous avez travaillé pendant plusieurs années parmi les collections du Centre Pompidou, pourquoi postuler pour un musée d’histoire ?

J’ai un parcours relativement atypique dans le milieu de la conservation, puisque je ne suis pas initialement conservateur du patrimoine mais architecte et historien de l’architecture. Par les hasards de la vie, je suis arrivé au Centre Pompidou, d’abord en 2004, puis en 2008 en tant que conservateur. J’ai effectivement travaillé sur la collection d’architecture et sur plusieurs opérations importantes, dont Modernités plurielles en 2013, avec Catherine Grenier commissaire générale. Les problématiques de l'architecture et de la transformation des territoires, qui concernent davantage la transformation des sociétés, ne sont pas tout à fait les mêmes que celles de l’art moderne ou contemporain. La question de la transformation des territoires par la modernité, puis par la mondialisation, est vraiment l’objet de mon travail.

À partir de 2013, mes deux axes de travail prioritaires étaient la question du paysage et celle de la mondialisation. Dans la mondialisation, on intercepte d’une part la colonisation, d’autre part des études post-coloniales. Je me suis rendu compte que ces territoires de recherche sont fondamentaux pour la question des musées, leur rôle. C’est ce qui a constitué mon positionnement au sein du musée de l’histoire de l’immigration. Au Centre Pompidou, comment aborder la question de la présence de la colonisation ou de la décolonisation en Algérie ? Frontalement, on ne le peut pas. Par contre, en passant par des figures comme des architectes, en travaillant sur les transformations de la ville, là la question devient beaucoup moins polémique qu'en l’abordant frontalement sur la guerre d’Algérie.

 

Le mot polémique vient en effet assez vite quand on évoque l’histoire de l’immigration, c’est sans doute pour cela que le musée national, ouvert en 2007, n’a été inauguré officiellement en présence du Président de la République qu’en 2014. C’est aussi un musée qui peine à trouver son public. Vous-même, à quelle occasion avez-vous visité le musée national de l’histoire de l’immigration ?

J’ai visité le palais de la Porte Dorée en 2002, alors que l’Institut français d’architecture y était provisoirement implanté. Ensuite, en 2009 j’ai réalisé une exposition sur l’histoire du musée d’art moderne en France au XXe siècle, à l’occasion de l’ouverture du Centre Pompidou Metz. Je dois reconnaître que le musée de l’immigration n’était pas vraiment dans nos radars. Il est assez juste de dire qu’au sein des institutions de musées nationaux, le musée national de l’histoire de l’immigration a mis du temps à être visible, et qu’il est encore en peine de visibilité pour différents facteurs. C’est une vraie question.

 

Le musée est en train de renouveler ses équipes, avec un nouveau responsable de la communication, un directeur du bâtiment. Ses expositions temporaires ont fait entrer l’art moderne et contemporain (avec Fashion Mix, les graffeurs lors de la semaine contre le racisme, l'exposition Vivre ! autour de la collection d’Agnès B), vous-même introduisez votre expérience en architecture. Quel est l’avenir du musée ?

Le sujet est en train de se faire, c’est ce qui m’a attiré à venir ici. C’est assez extraordinaire de créer l’identité d’une institution. Nous sommes le symétrique inverse du quai Branly, ex musée des ATP (Art et traditions populaires). Le projet du musée des ATP était la constitution d’une collection sur une culture en train de disparaître, la ruralité. Nous ne sommes pas du tout ça. Nous sommes au contraire un musée qui collecte les traces et qui essaie de parler d’une culture qui est en train d’advenir. On ne sait pas ce qu’elle sera mais sur toutes ces mutations, ces migrations, sur la base d’une histoire de l’immigration mais surtout sur la transformation du monde.

 

Mais le musée de l’immigration a encore besoin de remémorer l’histoire du XXe siècle pour parler du XXIe…

Le début de l’histoire on ne veut pas l’entendre et la fin de l’histoire on ne la connaît pas. En même temps, on voit bien que toute une famille d’intellectuels d’une nouvelle génération ne parle que de ça. Quand vous regardez l’actualité littéraire, avec L’histoire mondiale de la France dirigée par Patrick Boucheron, la moitié du livre parle des migrations. De ce point de vue-là, nous sommes l’inverse du Quai Branly qui se présente dans son identité comme étant la culture de l’autre. Tandis que le musée national de l’histoire de l’immigration présente lui notre culture transformée par la présence de l’autre.

 

Ce sujet suscite beaucoup de crispations sur le plan politique…

C’est la raison pour laquelle il faut prendre beaucoup de distance par rapport au sujet. La question que je me pose c’est : quel serait l’axe neutre de l’immigration ? Un musée c’est une boîte à outils, aujourd’hui elle est fortement prise dans des tabous. Si le Palais de la Porte dorée est peu visible dans le paysage des musées c’est que son identité n’est pas détachée de toutes les connotations liées à la période coloniale. Or il y a un vrai appel des gens de ma génération pour pouvoir sortir de la culpabilité et de la victimisation de l’autre côté. Ce que l’on pointe, c’est d’aborder la question du point de vue de la mondialisation. Tenter de devenir un dénominateur commun plus abstrait qui permet de dire : nous sommes l’observatoire des transformations du monde à venir.

 

De quelle manière ?

Nous sommes précisément un lieu de création et d’hospitalité parce que notre rôle et notre devoir c’est d’essayer de donner une lisibilité de l’histoire relativement récente, des 150 dernières années, mais aussi et tout autant de donner la parole aux acteurs qui expriment, problématisent, s’interrogent sur les transformations actuelles du monde. C’est pour cela que nous sommes un musée dédié et très ouvert à la création contemporaine. L’architecture, le design, les arts appliqués, le paysage, sont des créations qui interrogent sans pour autant porter le poids d’une responsabilité. L’enjeu c’est d’ouvrir les portes. C’est aussi d’identifier, de laisser la parole, de poser la création pour interroger les transformations massivement liées aux circulations et aux immigrations.

 

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