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Pascal Keiser : « La notion de fierté est fondamentale »

par Véronique Giraud
Pascal Keiser ©Alexandra de Laminne
Pascal Keiser ©Alexandra de Laminne
Arts visuels Numérique Publié le 25/01/2017
En installant une Micro-Folie à Sevran, en Seine-Saint-Denis, le président de la Villette Didier Fusillier a pris le contre-pied des lieux culturels ostentatoires. Pascal Keiser, à qui il a confié la mise en œuvre du projet et le commissariat artistique de ce musée numérique nouvelle génération, explique comment Micro-Folie change la donne. Non seulement en produisant une scénographie d'avant-garde mais en instaurant une fierté des usagers.

Pourquoi le président de la Villette a-t-il fait appel à vous pour mettre en œuvre le projet numérique de Micro-Folie à Sevran ?

Didier Fusillier m’a contacté fin juin 2016 parce qu’il avait réussi à avoir l’accord du ministère de la culture et des directeurs ou présidents de huit musées nationaux pour mettre à disposition une partie de leurs collections numérisées dans le but de faire un centre culturel nouvelle génération qu’il voulait faire en dehors de Paris. En prenant la présidence de la Villette, il avait déclaré ne pas vouloir amener les jeunes des cités dans le parc de l’établissement national, mais aller vers eux et réaliser quelque chose où ils vivent.

Nous nous connaissons depuis 2003, à travers CECN (Centre des écritures contemporaines et numériques), un programme transfrontalier que j’avais monté alors que Didier Fusillier dirigeait la scène nationale de Maubeuge, qui a permis de former en dix ans des centaines d’artistes et de techniciens des arts vivants français et belges aux nouvelles pratiques du numérique.

Puis, dans le cadre de Mons Capitale européenne de la culture, à travers le projet Café Europa, premier réseau de lieux connecté dans douze pays européens avec un système de mur écran qui permettait de faire des activités partagées entre deux pays. C’était l’antithèse du grand lieu ostentatoire et figé. Il visait un public autre que celui habitué aux lieux culturels. Ça avait très bien fonctionné et c’est sur cette idée que Didier Fusillier m’a recontacté pour repenser le projet et adapter le système de mur écran au projet de Micro-Folie en qualité de commissaire artistique.

 

Comment avez-vous monté le projet ?

J’étais à Avignon, j’avais peu de temps. Aux festivals d’Avignon et d’Aix 2016, j’ai fait un projet de captations à 360°, une première mondiale en matière d’art vivant. Pour cela, j’avais travaillé avec la société de production avignonnaise Bachibouzouk. Leur réalisation sur les captations 360° a été excellente et rapide, les projections à l’église des Célestins d’Avignon ont eu un énorme succès. Je leur ai proposé d’organiser une réunion de travail avec les équipes de la Villette sur le projet Micro-Folie. Elle a eu lieu en août et en quatre mois et demi le projet a été monté.

 

En quoi consiste le mur écran de Micro-Folie ?

Une partie des collections numérisées de chacun des musées et les captations de concerts à la Philharmonie nous ont été remises. Sur 250 œuvres, 150 ont été utilisées. Elles ont été scénographiées et un dispositif a été trouvé pour naviguer à travers ces contenus disparates. Il s’agit d’un écran monumental 16/9, composé de 25 grands écrans. Ce mur, de 6 mètres de long, est greffé à 20 tablettes synchronisées, grâce à une application dédiée développée en trois mois. Le fonctionnement se base sur ce qui a été réalisé pour le musée-mémorial du Camp de Rivesaltes. Alors qu’il s’agissait pour ce lieu de susciter l’émotion, il s’agit à Sevran de passer des Sex-Pistols en concert à la Philharmonie à La Joconde au Louvre et à Picasso au Centre Pompidou. En appuyant sur la tablette, le spectateur peut avoir, à son rythme, un contenu enrichi par des conservateurs des musées nationaux, voire par des jeux pour les enfants.

Pour les scolaires, c’est différent. Leur enseignant peut aller sur l’application Micro-Folie ou le site web pour choisir un des musées ou une thématique et, à partir de là, sélectionner le parcours qu’il veut faire faire à ses élèves. Sur le modèle d’une playlist. Ensuite il réserve une place du musée numérique et lorsqu’il s’y rend avec sa classe le musée lui est réservé. Il peut alors démarrer son cours, et les œuvres apparaissent.

 

Mais vous n’avez pas amené seulement les chefs d’œuvre des musées nationaux dans le musée de Sevran…

En effet. Pour casser l’idée de culture dominante, il était pour moi important qu’on ait des référents qui parlent aux jeunes des cités. En l’occurrence leurs stars de la culture underground, du hip hop, du slam, du street-art. Nous avons donc référencé une cinquantaine d’artistes issus de Sevran ou de la région, qui ont une reconnaissance régionale, nationale, voire internationale. On leur a proposé de les interviewer sur une question très basique : quelle est la première œuvre d’art qui vous a interpellé ? Nous avons fait de leurs réponses des capsules vidéo de 2 ou 3 mn, qui arrivent de manière aléatoire dans le parcours, viennent le perturber, l’arrêtent, et on voit parler sur l’écran monumental un jeune rappeur, un street-artiste.

 

Il y a des extensions possibles à ce dispositif déjà très innovant ?

Oui. Plus tard, ce seront des visites du musée à distance avec des technologies qu’on appelle ubiquitaires. Ce système de robotique, nous l’avons utilisé au festival d’Avignon en 2015, dans la cour d’honneur. Il a permis à des enfants hospitalisés au CHU de Rennes d’assister à distance au festival, en choisissant l’orientation des caméras, en zoomant. Cette technologie a muri et va nous permettre depuis Sevran de visiter des musées à distance, des musées du monde entier. Réciproquement cela permettra de diffuser ailleurs des événements, des rencontres programmées à Sevran.

Nous travaillons aussi sur un espace vr (réalité virtuelle), qui n’est pas dans le musée numérique. Nous récupérons des contenus d’Arte en 360° immersif et ceux réalisés au Festival d’Avignon l’été dernier afin de permettre à des jeunes d’avoir une première expérience avec un casque immersif.

Nous avons une autre expérimentation en cours, cette fois de la société marseillaise Black Euphoria, fondée par Mathieu Rozières. Testée par la ministre de la culture le jour de l’inauguration de Micro-Folie, leur application Kandinski VR permet, équipé d’un casque, de naviguer dans une œuvre de Kandinski en 3D. C’est une sensation très particulière : on peut se promener entre les traits du tableau, voire peindre entre les traits.

 

Quel est pour vous l’enseignement d’un tel lieu ?

La notion de fierté est fondamentale. Après les attentats du 13 novembre, des femmes et des hommes de culture se sont posés beaucoup de questions sur ce qui n’avait pas été fait en termes de médiation. La Micro-Folie est un outil peu cher, où le numérique permet de mettre à disposition les chefs d’œuvre de la nation, et c’est un outil puissant, en tout cas très viral. Dans ce lieu, ouvert tous les jours, il y aussi Little Villette pour les enfants, et un café bar tenu par les mamans de la cité qui viennent avec du thé, des gâteaux.

J’y étais le week end qui a suivi l’inauguration. Voir des femmes portant un foulard, rester une demi-heure ou 3/4 h dans le musée numérique et montrer à leurs petits enfants de 6, 7 ans des statues, des œuvres très représentatives, était très émouvant.

Dans ce lieu je me suis rendu compte que même sur ce que nous avons fait avec le collectif La Manufacture à Avignon, on est sur un public qui tourne sur lui-même. Cela ne va pas à la racine du mal de notre société qui génère beaucoup de mal-être et de non intégration. Ce projet pose énormément de questions. Et en même temps c’est un outil génial, très viral. Il existe, il est maintenant lui-même une réponse à quelques-unes de ces questions.

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