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Kaurismäki face au drame syrien

par Jacques Moulins
Sherman Haji, Mohamed Awad et Sakari Kuosmanen dans le dernier film d'Aki Kaurismäki
Sherman Haji, Mohamed Awad et Sakari Kuosmanen dans le dernier film d'Aki Kaurismäki "L'autre côté de l'espoir". DR
Cinéma Film Publié le 30/03/2017
Que sommes-nous, que faisons-nous face au drame syrien ? Aki Kaurismäki, dans son dernier film « L’autre côté de l’espoir », nous entraîne sans bavardage et grande déclaration sur les chemins de la fraternité où passent déjà ses personnages inutiles.

Décors froids et nus, dialogues minimaux, scènes silencieuses comme un arrêt sur image, groupes de papis rockers finlandais… Ce n’est pas parce qu’il fait un film sur un réfugié syrien qu’Aki Kaurismäki va changer son esthétique. D’autant que celle-ci va à merveille à sa nouvelle œuvre L’autre côté de l’espoir, aussi froide qu’un port du nord. C’est d’ailleurs là que tout commence, un cargo arrivant au port. Dans son précédent long métrage Le Havre (2011), il y avait déjà le port et un réfugié, celui-là venu d’Afrique. Déjà un homme à la situation incertaine pour aider le clandestin. Mais les deux films diffèrent autant par l’histoire qu’ils se ressemblent par la signature.

Car il faut une sacrée esthétique pour faire aujourd’hui un film sur un réfugié venu d’Alep, qui ne redonde pas avec l’actualité, qui parle à nous, les nantis de la paix, et de lui, la victime d’une guerre atroce qu’il n’a pas voulue, en faisant se rencontrer par la magie de l’écran une solidarité jamais énoncée, toujours pratiquée. Une véritable fraternité, mot républicain désuet à qui Kaurismäki donne une belle flamme.

Khaled est arrivé clandestinement, parqué dans un foyer, arrêté avant d’être renvoyé chez lui où, estiment les pouvoirs publics, il ne se passe rien de dangereux, séparé des siens morts et de sa sœur disparue lors d’une bousculade avec les policiers dans les Balkans.

Le génie de Kaurismäki, c’est de mêler cette tragédie humaine à une autre, locale celle-là, banale même, celle de Wikström qui quitte sa femme vissée à sa bouteille de Vodka au tout début du film. C’est d’entremêler l’intrigue simple de scènes secondaires, de détails improbables qui transgressent les non-dits : le chien interdit de restaurant, la partie de poker, la grosse berline sur le quai, le majordome inutile, la vente du stock de chemises, la demande d’avance sur salaire. On peut rire, on ne peut pas pleurer, parce que cette fraternité n’est ni compassion, ni naïveté, ni exaltation humaniste. Elle est brute, évidente, multiple. Et muette : elle se fait, elle ne se gargarise pas.

Pour un tel film, il faut sans doute une direction d’acteur implacable, une scénographie précise, une soucis méticuleux du plan. Pas de hasard, pas d’improvisation, c’est l’apanage des grands.

 

L’autre côté de l’espoir d’Aki Kaurismäki. Sortie en salle le 17 mars en France, le 30 mars en Allemagne. Avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, Ikea Koivula, Kati Outinen, Tommi Korpela, Mohammed Awad.

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