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Laetitia Guédon met en scène Les Plateaux Sauvages

par Véronique Giraud
Laetitia Guédon © Ingrid Mareski
Laetitia Guédon © Ingrid Mareski
Arts vivants Théâtre Publié le 28/03/2017
Laetitia Guédon a nourri son parcours personnel et son itinéraire de jeune metteure en scène pour construire un projet de gouvernance pour le nouveau lieu culturel de la Ville de Paris, Les Plateaux sauvages. Elle revient sur son processus créatif.

Qu’est-ce qui vous a conduit à vouloir mettre en scène ?

J’ai commencé par être comédienne. J’ai fait l’école du studio d’Asnières, où j’habitais. C’est là que j’ai fait la rencontre d’un auteur, Koffi Kwahulé, et d’un texte, Bintou. Je suis tombée amoureuse de ce texte, qui avait seize personnages. Je me suis dit, très naïvement, je vais monter cette pièce avec 16 acteurs, et même 17 puisque je voulais un musicien. J’ai monté ce projet à ma sortie d’Asnières. Ça m’a pris beaucoup de temps, j’avais 22 ans, personne ne me connaissait, je ne savais pas par où commencer. Christophe Rauck m’a accueilli trois semaines en résidence au théâtre Gérard Philippe. Marie-Pierre Bousquet et Greg Germain ont repéré le spectacle et l’ont programmé dans le OFF d’Avignon à la Chapelle du verbe incarné. Ce fut mon ancrage dans la mise en scène. J’ai ensuite voulu rencontrer d’autres metteurs en scène qui étaient dans la transmission et j’ai intégré l’unité mise en scène du Conservatoire national. Et, en 2006, j’ai fondé ma compagnie 0,10.

 

Quelle est la particularité de votre travail ?

J’ai passé une partie de mon enfance à Aubervilliers, dans la petite cité de la Maladrerie, à une époque formidable. C’était la fin des années 80, Jack Ralite faisait énormément de choses pour les artistes et a voulu réinventer la cité en mettant des artistes à l’intérieur, donc des ateliers. Mon père était artiste peintre et musicien, et nous avons vécu là. Quand j’étais petite, les enfants traversaient l’atelier, Danièle Mitterrand venait discuter avec mon père de ses œuvres, Claude Nougaro venait y faire un bœuf… J’avais l’image de la cité, ouverte, métissée, foisonnante. Un peu plus de vingt ans plus tard, je suis revenue pour travailler au théâtre de la Commune et je suis retournée à la Maladrerie pour voir si les fresques que mon père avait peintes sur les murs de la cité étaient toujours là. Tout avait été taggé, sauf les fresques de mon père. Je ne pouvais pas en tant qu’artiste ne pas me confronter au territoire dans lequel j’étais. Au théâtre de la Commune, j’ai donc commencé à mener des résidences qui venaient confronter ce qui faisait processus de recherche chez moi avec le territoire. J’ai commencé avec de petits ateliers dans des collèges, des lycées, dans la cité des 4000 à la Courneuve. Ces projets ont pris de plus en plus d’ampleur.

J’ai mis en scène, il y a deux ans, une adaptation des Troyennes et j’ai monté en parallèle un projet intitulé Du pays d’Argos à Aubervilliers. Il s’agissait de 7 villes grecques revisitées sous forme de happening au lycée Le Corbusier : il y avait l’épisode la pomme d’or à la cantine à l’heure de pointe, la guerre de Troie dans le stade de foot, l’odyssée d’Ulysse dans le bureau du proviseur, etc. Ces rencontres, dans lesquelles j’impliquais dramaturge, scénographe et chorégraphe, me renvoyaient à ma propre recherche. Avec le Théâtre des Quartiers d’Ivry, qui a corrodait ma dernière création, SAMO, a Tribute to Basquiat, j’ai mené un travail de ce genre sur le territoire de la commune. J’en garde des attaches fortes. C’est d’ailleurs un engagement qu’on essaye de tenir ici. Les Plateaux Sauvages, établissement culturel de la Ville de Paris, doivent rayonner jusqu’à Saint-Denis, Aubervilliers, et même ailleurs.

L’économie du spectacle vivant est de plus en plus précaire. L’idée est de se dire comment on peut se mettre ensemble, avec d’autres structures, d’autres régions. D’un côté, les théâtres en région ont besoin de visibilité à Paris, de l’autres les compagnies en résidence aux Plateaux sauvages ont besoin de quelques dates ou d’un petit apport en coproduction. On peut travailler comme ça.

 

À la rentrée prochaine, vous accueillez Clément Bondu…

Oui. Clément Bondu va rester un an et demi aux Plateaux Sauvages. Il va d’abord créer L’avenir au mois de février, puis va mener un projet de transmission avec un foyer de jeunes travailleurs tout près d’ici. Par ailleurs, il va écrire le texte d’une nouvelle pièce, qu’il a intitulée Pour un théâtre mort. Il l’écrit en pensant à une promotion de l’école supérieure d’art dramatique (ESAD) de la Ville de Paris. Il alternera entre écriture pour le plateau et recherche avec la promotion 2019 de l’ESAD, qui viendra ici travailler avec lui. Le spectacle sera représenté à la saison 2018-2019 par les élèves de l’ESAD. Toute l’année, il fera des lectures de ses textes, imaginera des happenings.

 

Vous dites vouloir travailler sur l’identité, pouvez-vous développer ?

C’est directement lié à mon dernier spectacle sur Jean-Michel Basquiat, SAMO (a Tribute to Basquiat). Il ne s’agit pas du Basquiat connu, dont les tableaux rentrent dans les musées. C’est le Basquiat des rues, fin des années 70, début des années 80, qui graffe sous le pseudonyme de Samo et se forge une personnalité d’artiste. C’est ce qui me travaille. Sa grande souffrance d’exister, d’être reconnu, sa relation très violente avec son père, ses fugues, sa vie dans la rue, son renvoi à sa condition d’homme noir et de précaire alors qu’il est issu de la middle-class américaine et est très cultivé. Cette question d’identité me travaille d’un point de vue personnel, à travers mon métissage, ma mère est juive marocaine, mon père est noir, et à travers mon ancrage, je me sens profondément française et très attachée aux valeurs de la République.

Ce métissage se retrouve aussi dans ma programmation. Ce qui m’intéresse ici c’est de mettre ensemble Clément Bondu, Joachim Latarget, avec Tatiana Spitakova qui sort du Conservatoire et n’a d’intérêt que pour les textes classiques.

 

"D’où je viens" est une question qui divise la société, c'est le fer de lance des nationalismes…

Oui. Tout dépend qui pose la question. Quand j’ai travaillé à Aubervilliers, j’ai été fascinée d’entendre dans les classes des gens maîtriser deux, trois langues, et à quel point c’était compliqué, sensible, pour eux d’utiliser leur langue maternelle pour le plateau. En même temps, c’est une revendication permanente d’un bled dans lequel ils ne sont jamais allés. Ça m’intéresse de rechercher ce trouble, dans mon travail et avec le public des Plateaux sauvages.

 

L’aménagement du lieu n’est pas achevé, il y aura bientôt une seconde phase de travaux…

Je veille avec les architectes à ce que le lieu ne perde pas complétement son identité, ne devienne pas complètement aseptisé. La cour intérieure n’a jamais été exploitée par les précédentes structures, ses murs ont été taggés. Nous allons l’ouvrir et faire travailler des artistes sur les façades. Nous avons établi un partenariat avec l'association Art Azoï, sur des ateliers de street-art. Nous espérons accueillir l’an prochain les artistes, Lek et Sowatt, les premiers à intégrer la Villa Médicis, pour travailler sur les murs et donner une place à cet art.

 

 

Les Plateaux sauvages, 5 Rue des Plâtrières
75020 Paris.

 

 

 

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