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Berlin, Sarajevo, Athènes, Birgit Ensemble met l’Europe sur scène

par Véronique Giraud
Julie Bertin et Jade Herbulot, les deux fondatrices de la compagnie Birgit Ensemble. © Pierre Grosbois
Julie Bertin et Jade Herbulot, les deux fondatrices de la compagnie Birgit Ensemble. © Pierre Grosbois
Arts vivants Théâtre Publié le 25/04/2017
Julie Bertin et Jade Herbulot ont moins de trente ans. Elles ont choisi le théâtre pour s'exprimer en tant qu'auteures, metteures en scène et comédiennes. Et fondé leur compagnie Brigit Ensemble, avec un magnifique appétit d'Europe.

Julie Bertin et Jade Herbulot se sont connues au Conservatoire National d’art dramatique de Paris. Ensemble, du haut de leur jeunesse, leur projet a été de mettre sur scène l’Europe. Une idée risquée, pour laquelle elles se sont entêtées à utiliser de grands moyens sténographiques. Ce fut Berliner Mauer : vestiges, une première production en 2015 de leur compagnie Brigit Ensemble, et un succès immédiat. Les deux années suivantes ont été consacrées à construire deux autres pièces du cycle, Memories of Sarajevo et Dans les ruines d'Athènes, qu’Olivier Py les a invitées à créer cet été au Festival d’Avignon.

 

L’idée de l’Europe rassemble autant qu’elle divise les politiques et les citoyens. Pourquoi s’en emparer pour la scène ?

Jade : Au départ, il y avait chez nous le sentiment d’appartenir à l’Europe, sans tout à fait savoir ce que signifiait le mot. En entamant ce cycle, on pensait trouver ce qui justifiait ce sentiment européen, l’aspect positif de ses causes. En fait, plus on a fait des recherches, plus on a été désabusé par la forme institutionnelle de l’Union européenne. C’est là que nous avons fait le travail de distinguer l’Europe comme concept, géographique, culturel, de sa forme institutionnelle. On s’est rendu compte qu’il y avait une confusion constante.

Nous avons reçu dans notre éducation le sentiment d’appartenance à un espace plus large que celui de 12, puis 27 et 28 pays.

 

Vous êtes nées en Europe, en tant qu’artistes vous êtes certainement sensibles à la circulation des œuvres et leurs créateurs. Mais le propos que vous portez est-il une revendication de l’Europe ou davantage un malaise ?

Julie : C’est plus un malaise. Nous sommes nées Françaises et Européennes, cela fait partie de notre éducation, nous avons l’habitude de circuler librement dans l’Union. Mais en grandissant, on se rend compte que ce sentiment européen-là est remis en question, en tout cas fortement troublé. Cela fait partie de notre point de départ avec Jade.

 

Quel est votre point de vue sur l’Europe ?

Julie : Nous sommes certes désabusées, désillusionnées, vis-à-vis de cette Europe institutionnelle, mais nous restons très attachées au fondement philosophique, à l’idée d’une Europe sans frontières. À la question posée : comment faire face aux grands défis mondiaux - notamment de nouveaux grands conflits - la réponse de l’Union européenne n’a été qu’économique, et a reconstruit d’autres frontières. Finalement l’Union européenne n’a pas de poids par rapport à la mondialisation. Nous en avons fait notre projet initial.

 

Tout cela vous a conduit à écrire une tétralogie, c’est très ambitieux…

Jade : Au Conservatoire, où nous étions élèves, nous nous sommes entendues pour faire quelque chose à deux pour monter un atelier en troisième année. Nous avons d’abord pensé à la chute du mur de Berlin et, à travers nos recherches, nous nous sommes rendu compte que c’était l’idée d’Europe qui nous intéressait. Dès les premières répétitions de Berliner Mauer, Vestiges, nous nous sommes dit qu’il fallait continuer, aller dans d’autres villes, traiter des années 90. Créer un cycle.

 

Pour écrire, vous êtes-vous imprégné d’œuvres d’écrivains, de cinéastes, qui ont fait de l’Europe leur sujet ?

Jade : Pour Berliner, nous avons utilisé des extraits du film de Wenders, Les ailes du désir, et la pensée de Heiner Muller nous a beaucoup guidé. Son esprit ironique et caustique, très ambigu, son esprit d’analyse, sa clairvoyance.

Julie : Pour Sarajevo et pour Athènes, nous avons voulu écrire davantage, même si nous nous inspirons de sources diverses, des entretiens que nous avons menés avec des habitants de Sarajevo et d’Athènes, avec une partie de l’équipe, comme d’archives, de discours politiques, de reportages. Il y a des figures, politiques ou d’habitants, que nous suivons de bout en bout, aussi bien dans Sarajevo que dans Athènes.

Jade : Nos inspirations sont assez éclatées. Toutes nos lectures, les expositions et les films que nous voyons, résonnent avec ce qu’on est en train de construire.

 

Cela risque d’être noir…

Julie : On aime beaucoup la citation de notre professeur de clown au Conservatoire, Yvo Mentens, qui nous disait : « Il faut à la fois être léger et profond ». C’est-à-dire à la fois oser embrasser ces sujets tragiques pleinement et les traiter radicalement, et à la fois avoir une distance pour être léger et parfois drôle. On utilise beaucoup la satire pour nos figures politiques. Nous sommes des Françaises, nous n’avons pas vécu le siège de Sarajevo, et même si on a pu aller en Grèce, on ne vit pas les mêmes choses qu’eux. Nous avons cette distance, cet humour, qui raconte qu’on ne va pas se faire croire qu’on a vécu ces histoires-là. Par contre, on va essayer de les raconter le plus sincèrement possible. Léger ne veut pas dire superficiel.

 

D’ailleurs l’humour des peuples révoltés est toujours très fort…

Jade : Quand on parle à Sarajevo avec des gens qui ont vécu le siège, ils disent eux-mêmes avoir développé un humour noir, d’une acidité à toute épreuve. Ils font des blagues sur les obus, et même sur la mort. Ça nous bouscule. Pour la pièce Sarajevo, nous avons noté des blagues qu’on n’aurait pas osé imaginer. Et ça donne une résonnance aux comédiens qui ont pu rencontrer les habitants.

 

Il y a donc un avant et un après. D’être allées à la rencontre de ces habitants d’Europe vous a sans doute changées ?

Jade : Oui. Nous avions écrit la structure dramaturgique mais ça a transformé le ton du spectacle. Effectivement, nous n’aurions pas écrit la même chose si nous n’y étions pas allées. En étant dans le paysage de Sarajevo, entourés de collines, on a compris très concrètement comment des snippers pouvaient tirer sur des gens à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau.

Julie : Et puis, on ne joue pas de la même façon quand on sait qu’on porte la parole de tel habitant, qu’on a rencontré, qu’on parle de tel pont qu’on a traversé, de telle colline. C’est aussi se construire un paysage mental plus sensible, et dense. Nous rapportons aux comédiens qui n’ont pas pu nous accompagner notre histoire, nous partageons des entretiens, des photos.

Jade : Nous voulons être fidèles à l’esprit rencontré, qui n’est pas forcément l’esprit attendu des Français.

 

L’Europe bouge. Quel effet a eu le Brexit sur vous ?

Julie et Jade : Le matin où la nouvelle est tombée, on avait l’impression d’avoir pris une grosse claque. À ce moment, nous travaillions sur le referendum, pour la première partie de Sarajevo, où il est question dans un parlement imaginaire de la sortie de la Bosnie-Herzégovine de la Fédération yougoslave. Avec Izetbegovic qui prône la position de l’indépendance et en face Karadzic qui veut le maintien dans la fédération yougoslave. En plus nous avons fait une présentation de cette première partie de Sarajevo début juillet au Vieux Colombier, en plein Brexit. C’est troublant comme cette pièce qui traite pourtant du début des années 90 résonne encore aujourd’hui. On s’est dit il est plus que jamais nécessaire de monter ces spectacles maintenant, et de dire ça maintenant. Parfois c’est compliqué, on fait face à des logiques de production, en pensant les spectacles deux, trois ans à l’avance. Ou on nous dit ce ne sera pas possible l’année prochaine mais dans deux ans, pour des logiques économiques. Ça n’a pas été évident de monter cette production parce que nous sommes très nombreux, mais, c’est maintenant qu’il faut la jouer.

 

Au Festival d'Avignon 2017 : Memories of Sarajevo à 17h et Dans les ruines d'Athènes à 20h30 au Gymnase Paul Giéra les 9, 10, 11, 13, 14, 15 juillet.

 

Etudiante en philosophie à Paris I, Julie Bertin obtient sa licence en 2009 et rentre, la même année, à l’Ecole du Studio Théâtre d’Asnières. En 2011, elle intègre le Conservatoire national supérieur d’Art dramatique, met en scène en 2012 une adaptation de L’éveil du printemps de Frank Wedekind.

Après des études de littérature à l’École Normale Supérieure de Lyon, Jade Herbulot se forme comme comédienne au Studio-Théâtre d’Asnières, et entre au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris en 2011. Elle poursuit également un doctorat sous la direction de Christian Biet en Arts du spectacle à l’Université de Nanterre.

Toutes deux fondent en 2014 Le Birgit Ensemble qui présente Berliner Mauer : vestiges, au Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis en février 2015, repris en 2016 au Théâtre des Quartiers d’Ivry, puis en tournée aux Transversales de Verdun. Parallèlement, le TGP invite le Birgit Ensemble à créer Pour un Prélude au Théâtre de la Parenthèse à Avignon en juillet 2015.

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