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Lacascade nous plonge dans « Les Bas-Fonds »

par Jacques Moulins
"Les Bas-fonds" de Maxime Gorki, mis en scène par Eric Lacascade. © Brigitte Engerand
Arts vivants Théâtre Publié le 10/06/2017
C’est pour les marginaux, les exclus, les déclassés qui peuplent nos rues, que Maxime Gorki a écrit « Les Bas-Fonds ». Dans une mise en scène percutante, créée au Théâtre national de Bretagne et repris au Printemps des Comédiens, Eric Lacascade sert leur humanité.

Ils sont là sur scène. Ceux que, dans la vraie vie, on voit assis sur le macadam la main tendue, ceux qui font la manche, ceux qui ne tiennent plus debout sur le pavé tant ils ont bu, fumé, abusé jusqu’à l’inconscience… D’habitude, on n’a pas le temps de leur parler, à peine le temps, quand on a un peu de fraternité humaine, d’écouter trois phrases répétées mécaniquement dans les rames de métro ou sur ces places de grande ville où les passants pressés les rendent invisibles.

Les sans domicile fixe, les marginaux, les paumés de la vie. Ceux-là que quelques-uns encore appellent la fange de l’humanité, qui n’ont plus beaucoup de dignité, juste une agressivité qui pourrait passer pour. Pas de respect pour nous, pas de respect pour eux, notion trop confortable pour eux, le respect. Les Bas-fonds, c’est pire qu’une condamnation, on descend de plus en plus.

 

Gorki, si peu joué. Là, sur scène, va bien falloir les écouter. Ou plus exactement écouter les répliques que Maxime Gorki a écrites, en 1902, données par une troupe d’acteurs merveilleusement dirigée par Eric Lacascade. On lui doit nombre de mises en scène d’auteurs russes, et particulièrement le Platonov de Tchekhov donné dans la Cour d’honneur du Palais des Papes en 2002.

Maxime Gorki, auteur peu joué, même en cette année de centenaire de la révolution d’octobre. Ecrivain révolutionnaire plusieurs fois emprisonné, compagnon des bolcheviks et de Lénine, il quitte l’URSS en 1921, autant pour des raisons de santé que par désaccord politique, et n’y reviendra définitivement qu’en 1932, quatre ans avant une mort restée suspecte, à l’invitation de Staline, qui impose un culte de Gorki comme il l’a fait avec Lénine. Ce culte stalinien lui colle encore à la peau, passant avant ses écrits. C’est dommage, car l’écriture de Gorki est riche et percutante. Elle est ici traduite par André Markowicz qui a déjà rendu à nombre d’auteurs russes leur langage originel, populaire. Et c’est ici essentiel.

 

Accidents de la vie. Car cette bande de paumés, que l’on rencontre chez le marchand de sommeil Kostylev, parle sans cesse. Elle s’insulte, s’invective, prend soin d’ôter tout espoir, tout rêve, à celui qui a un instant d’égarement. Si la jeune fille, sans doute déshonorée, s’invente une histoire d’amour, les autres ont tôt fait de se moquer d’elle. Si l’acteur la ramène avec sa gloire passée, le rire de ses confrères et consœurs en malheur est là pour le dégriser. L’espoir, le rêve, c’est avant tout d’avoir quelques kopecks pour se payer une bouteille de vodka et boire jusqu’à plus soif. Et Pepel, le voleur, est le roi de cette bande de gueux puisqu’il a encore l’énergie d’en ramener, de ces foutus kopecks.

On apprend peu à peu la tragédie personnelle qui les a conduits chacun là, qu’ils soient coupables ou victimes. Un accident de la vie que la société tsariste ne pardonne pas aux pauvres et aux déchus. On pensait qu’il en allait autrement chez nous, fière société démocratique à la protection sociale élevée, mais comme chez les gueux, la réalité nous rattrape sans cesse.

 

Sans espoir. On a du mal à imaginer à quel point ces Bas-fonds restent actuels. Le jeu précis, physique, des quinze acteurs n’y est pas pour rien. Tant dans les déplacements où les corps se heurtent, se cherchent, se dégoûtent, que dans la diction spectaculaire de présence et de distance, et dans les mines, les expressions de visages, les mises en scène de la vulgarité qui finissent par rendre leur humanité à des personnages dont on doutait un peu. Voilà donc une humanité dans un milieu social vieux de plus d’un siècle mais hélas sans une ride. Des femmes et des hommes qu’un rien fait espérer. Le poète y peut sans doute quelque chose qui se fait politique pour donner corps à l’envie de s’en sortir, de se grandir, de prendre « l’ascenseur social » comme disent les sociologues. Peine perdue, aucun ne s’en sortira seul. Ce n’est pas qu’ils rêvent d’une position, de l’argent, d’une maison, aimer, être aimé, respecter, pouvoir rêver serait déjà beaucoup.

 

 

Les Bas-Fonds de Maxime Gorki, mis en scène Eric Lacascade. Au Printemps des Comédiens du 8 au 10 juin. Avec Pénélope Avri, Leslie Bernard, Jérôme Bidaux, Mohamed Bouadia, Laure Catherin, Arnaud Chéron, Arnaud Churin, Murielle Colvez, Christophe Grégoire, Alain d’Haeyer, Stéphane E. Jais, Eric Lacascade, Christelle Legroux, Georges Slowick et Gaëtan Vettier.

Tournées au Grand T de Nantes du 5 au 13 octobre, A la Passerelle de Saint-Brieuc les 17 et 18 octobre, au Théâtre MC à Amiens les 7 et 8 novembre, à Caen les 15 et 16 novembre, au TNS de Strasbourg du 23 novembre au 1er décembre, au Gymnase de Marseille du 5 au 9 décembre, à l’Apostrophe de Cergy-Pontoise les 14 et 15 décembre, au Théâtre MC2 de Grenoble du 9 au 13 janvier 2018, à la Coursive de La Rochelle les 16 et 17 janvier 2018, puis au CDN de Rouen et à Perpignan en 2018.

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