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Aix-en-Provence : Tcherniakov réenchante Carmen

par Jacques Mucchielli
Stéphanie d’Oustrac (Carmen), Michael Fabiano (Don José) et Elsa Dreisig (Micaëla) dans
Stéphanie d’Oustrac (Carmen), Michael Fabiano (Don José) et Elsa Dreisig (Micaëla) dans "Carmen" mis en scène par Dmitri Tcherniakov. ©festival d'Aix-en-Provence
Arts vivants Opéra Publié le 05/07/2017
Au festival lyrique d’Aix-en-Provence, la mise en scène de Dmitri Tcherniakov a créé l’événement. En déplaçant l’intrigue, le jeune metteur en scène russe a valorisé la musique et les voix et offert une interprétation inédite de l’opéra de Bizet.

Ce n’est pas l’ouverture de Carmen qui ouvre l’opéra de Bizet, mais un dialogue rajouté par Dmitri Tcherniakov. C’est pour ce genre de comportement hérétique à l’égard des textes que Tcherniakov crée la polémique sur les mises en scène d’opéra qu’il réalise depuis quelques années. Et ce dialogue nous explique comment l’opéra va être mis en scène. Une épouse amène son mari dépressif en thérapie. Le psy lui a préparé une méthode inédite : jouer un rôle dans une pièce.

Dès lors, les personnages sont des acteurs non de la scène théâtrale mais de la thérapie, ils s’amusent donc de leur rôle et ôtent toute intensité dramatique à la pièce. C’est la musique seule, et particulièrement, intensément, les voix qui assument le drame, créant ainsi une distanciation inattendue. Entre la mise en scène et le drame. Entre des personnages hyper connus et leurs nouveaux clones.

 

Déplacement de l’intrigue. Ce déplacement de l’intrigue propose une lecture d’abord inversée, avec un renversement des sentiments. L’épouse, qui a tenu à jouer Micaëla, est repoussée par l’acteur Don José lorsqu’elle lui donne un vrai baiser de femme amoureuse en lieu et place du chaste baiser d’une promise à son promis.

« Au souvenir d’autrefois », « au souvenir chéri » devient alors le temps heureux du couple avant la thérapie. Et l’épouse en pleure là où Micaëla se réjouissait d’être acceptée comme fiancée. Mais lorsqu’il va s’agir d’attacher, avec sa cravate, les poignets de Carmen, Don José tour à tour amusé et lassé, va devenir sensible au charme de sa camarade de plateau avant de ressentir une première émotion érotique lorsque le texte original est une nouvelle fois interrompu par l’entrée fracassante d’une brigade policière d’intervention rapide. L’homme s’agace ensuite, sans se rendre compte qu’il est déjà sous l’emprise de la séduction, qu’il devient déjà Don José. L’entrée du torero, et son insupportable prestance qui plaît tant à Carmen, va être fatale à l’indifférence affichée par l’époux.

 

L’amour fatal. Nouvelle interruption de Tcherniakov qui entre une troisième dimension ignorée du livret : l’actrice de Carmen profite d’un moment où ils sont seuls pour lui dire « tu dois continuer à jouer… Je t’expliquerai… Ils sont dangereux ». Cela avant que l’activité de contrebandiers des amis de Carmen soit révélée. Elle, « amoureuse à en perdre l’esprit » est prise à partie par les brigands. L’époux reprend son rôle pour le chant a capella de Don José arrivant à l’auberge de Lillas Pastia.

« Au quartier ? Pour l’appel ? ». La réaction cinglante de Carmen devant Don José qui veut la quitter, marque dans l’opéra originel le tournant de l’aveu de leur amour et de la désertion conséquente de Don José. Dans la mise en scène d’Aix-en-Provence, c’est également un tournant : les acteurs ne jouent plus, ils ont réintégré la scène théâtrale. La suite est alors attendue et inédite, mais à la hauteur de l’enjeu fixé par Dmitri Tcherniakov.

 

Le rôle du mâle. Cette mise en scène dans la mise en scène valorise fantastiquement la musique. Les voix vraiment superbes de Stéphanie d’Oustrac (Carmen), Michael Fabiano (Don José) et Elsa Dreisig (Micaëla) n’en sont que plus émouvantes. De même que leur jeu d’acteur, bien plus exigeant que lorsqu’il est seulement porté par la musique. La direction musicale de Pablo Heras-Casado avec l’Orchestre de Paris est en osmose avec la mise en scène libre.

Cette version interroge aussi la place de l’homme, du mâle, dans notre société. Don José n’est plus dans la contradiction entre succomber à la séduction de Carmen et défendre son honneur de soldat. Il est moralement perdu, trainé par sa femme chez un thérapeute, victime de la séduction qui doit le soigner, et finalement abattu par un jeu auquel il n’a rien compris.

Notons enfin le beau succès qu’est cette représentation par l’Académie de Provence, qui a été créé par Stéphane Lissner lorsqu’il dirigeait le festival. Stéphanie d’Oustrac et Elsa Dreisig en sont d’anciennes élèves.

 

Carmen de Georges Bizet. Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Au Grand théâtre de Provence les 4, 6, 8, 10, 13 , 15, 17 et 20 juillet. Direction musicale Pablo Heras-Casado, mise en scène Dmitri Tcherniakov. Avec Stéphanie d’Oustrac, Michael Fabiano, Elsa Dreisig, Michael Todd Simpson.

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