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Avignon : la danse contemporaine d’Afrique en héritages

par Véronique Giraud
Tichèlbè © Christophe Raynaud de Lage
Tichèlbè © Christophe Raynaud de Lage
Figninto, l'œil troué  © Christophe Raynaud de Lage
Figninto, l'œil troué © Christophe Raynaud de Lage
 Repères © Christophe Raynaud de Lage
Repères © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Danse Publié le 10/07/2017
Le focus Afrique subsaharienne de cette 71e édition du Festival d’Avignon fait la part belle à la danse contemporaine. À travers des créations très diverses, on cerne mieux le processus créatif de jeunes auteurs et combien leur écriture des corps fait trace dans le monde et dans les esprits. Héritage de chorégraphes engagés, la danse contemporaine raconte par le corps l’histoire de l’Afrique.

Trois jours après l’ouverture de la billetterie du Festival d’Avignon, son directeur Olivier Py faisait remarquer que les premières demandes de réservation s’étaient dirigées cette année vers le spectacle Unwanted de la chorégraphe Dorothée Munyaneza. L'information conforte le choix des organisateurs de cette 71ème édition du festival d’un focus de l’Afrique subsaharienne et d’une programmation qui fait la part belle à un nouveau féminisme. Avec Unwanted, Dorothée Munyaneza fait se rejoindre les deux thématiques, créant pour la scène « un espace féminin » des victimes de viol lors du génocide rwandais. Or si ce le viol est reconnu comme crime de guerre, la société pèse de tout son poids pour imposer le silence aux victimes du monde. À ces milliers de femmes silencieuses, le corps de Dorothée donne la parole. « Quand la parole ne suffit pas, comment le corps peut-il continuer à raconter », cette question que Dorothée Munyaneza s'est posée résume le processus de sa création et sa nécessité de raconter ce pan de l’histoire du Rwanda, tue par les hommes, par les autorités en place et par les acteurs étrangers impliqués.

La nécessité de dire l’Afrique par le geste du danseur habite de nombreux auteurs. Et si dans ce continent, immense et éclectique, les conditions de créer et de produire les arts vivants ne sont pas chose aisée, les chorégraphes de la diaspora partis poursuivre leur formation en Europe ou aux États-Unis n’oublient pas leur pays. Leurs allers-retours laissent trace, que ce soit une compagnie ou un festival. Le vœu de Dorothée Munyaneza, dont la pièce va faire le tour du monde, serait de présenter Unwanted au Rwanda. Le chemin est peut-être tracé, les créations contemporaines d’Afrique sont de plus en nombreuses depuis ces dix dernières années à être montrées en Occident. Elles apparaissent aussi dans quelques pays d’Afrique où des festivals sont nés et, même si la danse contemporaine reste encore très à l’écart de la culture dansée dominante, même si l’imposer demeure un combat individuel, elle fait école en plusieurs lieux. C’est précisément la réalité de la transmission de ce patrimoine contemporain que le festival d’Avignon propose cette année, réunissant trois spectacles et trois auteurs au théâtre Benoît-XII. Les chorégraphes, Kettly Noël, Nadia Beugré avec Nina Kipré, Seydou Boro avec Salia Sanou, ne sont pas sur scène, œuvrant eux-mêmes pour la transmission en passant le relais de leur pratique à la toute nouvelle génération.

Kettly Noël, native de Port au Prince et vivant à Bamako, a choisi de reprendre son emblématique Tichèlbè, une pièce inspirée par le machisme qu’elle a créé en 2002 dans le cadre du Festival du Théâtre des Réalités. Elle l’a depuis interprétée très souvent. Pour Avignon, assurant la chorégraphie, la scénographie et les costumes, Kettly Noël parvient à une lecture très actuelle de Tichèlbè, à travers les corps de deux jeunes danseurs, un garçon et une fille, qui s'’affrontent et se séduisent tour à tour, leurs gestes sous-tendant la sourde violence qui oppose et réunit les sexes.

La chorégraphe Béatrice Kombé, décédée il y a dix ans, avait l’Afrique et la femme ivoirienne dans sa ligne de mire. Elle a consacré sa vie à inventer une pratique contemporaine de la danse, à l’imposer dans son pays, à la faire connaître ailleurs, aux Etats-Unis en particulier où elle enseignait, et à former au sein de Tché-Tché, une compagnie exclusivement féminine qu’elle a fondée à Abidjan en 1997, de jeunes danseuses ivoiriennes. Nadia Beugré et Nina Keupré sont deux d’entre elles. La première s’est installée en France et mène une brillante carrière d’interprète et d’auteure en Europe, la seconde a pris la relève de Béatrice Kombé en dirigeant Tché-Tché. Les deux jeunes femmes ont choisi de témoigner de l’héritage artistique de celle qui a transformé leurs vies en transmettant sa pièce emblématique Repères à quatre danseuses. L’œuvre, créée en 1999 et couronnée de nombreuses récompenses, exprime, telle une profession de foi de l'engagement de la chorégraphe, l’expression d’une jeunesse africaine en quête d’identité et de valeurs à travers une esthétique urbaine universelle.

Seydou Boro et Salia Sanou se sont connus à Montpellier en tant qu’interprètes des créations de Mathilde Monnier, puis ont créé en duo de 1996 à 2010. Ensemble aussi, ils ont fondé au Burkina Faso, leur pays natal, le premier centre de développement chorégraphique en Afrique, La Termitière. Pour le focus d’Avignon, les deux auteurs reprennent Figninto - L’œil troué, une pièce suscitée par l’émotion liée à la disparition brutale d’un de leurs amis. La disparition, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, guide les gestes des trois jeunes interprètes à qui ils ont transmis la pièce. Entre énergie vitale et poésie des corps, cette interprétation dessine une nouvelle ligne d'horizon.

 

Tichèlbè, chorégraphie de Kettly Noël, Bamako / Sans repères, chorégraphie de Béatrice Kombé reprise par Nadia Beugré et Nina Kipré, Abidjan / Figninto - L’œil troué, chorégraphie de Seydou Boro et Salia Sanou, Ouagadougou. Théâtre Benoît XII, les 9, 10, 11, 13, 14 et 15 juillet à 15h.

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