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À Milan, « La terra inquieta » met la migration face à l’art

par Véronique Giraud
À droite : Adel Abdessemed,
À droite : Adel Abdessemed, "Hope" (2011-2012) ©Mucchielli/NAJA
Au sol :
Au sol : "Mer morte" Kader Attia / Au mur : "Map" Alighieri Boetti ©Mucchielli/NAJA
Francis Alyïs, Selection of ephemera from Don’t Cross the Bridge Before You
Get to the River (Strait of Gibraltar, Morocco–Spain), 2007-2008 All above works Courtesy Francis Alÿs and David Zwirner, New York/London
Francis Alyïs, Selection of ephemera from Don’t Cross the Bridge Before You Get to the River (Strait of Gibraltar, Morocco–Spain), 2007-2008 All above works Courtesy Francis Alÿs and David Zwirner, New York/London
"Mer montée " (2011) Thierry De Cordier. Huile sur toile @©Mucchielli /NAJA
El Anatsui New World Map (Nouvelle carte du monde) 2009 ©Mucchielli:NAJA
El Anatsui New World Map (Nouvelle carte du monde) 2009 ©Mucchielli:NAJA
Andrea Bowers
Andrea Bowers "Papillon Monarque" (Migration Is Beautiful), 2015. ©Mucchielli/NAJA
Liste des réfugiés victimes. ©Laura Facco P&C
Liste des réfugiés victimes. ©Laura Facco P&C
"SAUVETEUR (Passport vendor 2) [The Rescuer]", 2011, Pascale Martine Tayou ©Mucchielli/NAJA
Arts visuels Arts plastiques Publié le 17/07/2017
Le Palazzo dell'Arte de Milan, habituellement dédié à l'utile corrélation entre design et industrie, offre cet été un ample parcours d'œuvres d'une soixantaine d'artistes inspirées par l'idée de migration. Voyage voulu ou forcé, espéré ou désespéré, le mouvement des populations fait ici une halte mémorielle pleine de dignité, dont on ne ressort pas indemne.

Depuis ces trois dernières années, l’Italie fait face à la prise en charge régulière d’embarcations précaires remplies plus que de raison de migrants et dérivant vers ses côtes. L’afflux de bateaux et les naufrages sont de plus nombreux, le nombre de noyés se multiplient et, aux portes d’une Europe désaccordée et majoritairement inhospitalière, la situation est devenue un drame humanitaire international que quelques ONG et leurs navires sont parvenus à amoindrir en portant secours aux hommes, femmes et enfants prêts à tous les sacrifices pour fuir la violence. Pourtant, ces derniers jours, ces mêmes ONG sont en prise avec les États d’Europe qui les accusent de complicité avec les passeurs. L’ONG Navire en Méditerranée a tenu tête, démontrant la transparence de ses actions, subordonnées aux autorités en place. Si tout le monde s’accorde à considérer cette situation intolérable, l’accord ne se fait pas pour agir et le rejet fait loi. Un navire a même été affrété pour empêcher les secours des ONG en Méditerranée. Si les images de naufrages et d’accostages envahissent nos écrans, l’accueil ne s’organise pas et la situation empire.

Art et réalité de la migration. À Milan, les immenses espaces du Palazzo dell’Arte, lieu de la Triennale dédiée aux expositions d’art décoratif, de design et d’art contemporain, ont été occupés cet été par plusieurs expositions directement liées à cette actualité. Au milieu d’un parc magnifiquement boisé, dans une capitale de l’industrie et du design bien éloignée des rives de la Méditerranée, pour l’une d’entre elles le curateur Massimiliano Gioni a rassemblé une soixantaine d’artistes de trente-neuf pays, décrivant dans des formes esthétiques et des univers les plus disparates, les secousses, les terreurs, les drames qu’a traversé et que traverse encore le monde. Le titre de l’exposition La Terra inquieta (La terre inquiète) reprend celui de l’un des premiers poèmes de l’écrivain, poète et philosophe Édouard Glissant, dont l’œuvre a contribué à concevoir l’idée de cohabitation entre les cultures.

Les œuvres présentées disent sans mots les douleurs de l’exil, les dangers de la mer, l’incohérence de desseins politiques. Certaines créations conduisent le visiteur via la fiction à des peurs d’aujourd’hui, telles les grandes peintures de la série Mer de Thierry De Cordier, dont les flots noirs menaçants préfiguraient en 2011 les naufrages d’aujourd’hui, les collages de Thomas Hirschhorn exprimant les conséquences du drame syrien, l’œuvre vidéo d’Isaac Julien reprenant des images du palais de dernier prince de Lampedusa, rendu fameux par Visconti et son Guépard, ou une autre vidéo d’Adrian Paci, celle-là tournée avec des migrants. D’autres œuvres mettent le visiteur face à la réalité contemporaine, tel le bateau pneumatique rempli de sacs plastiques noirs d’Adel Abdessemed, Hope (2011-2012), les sweat bleus de La mer morte de Kader Attia sont installés au pied de la carte d’Alighiero Boetti, ou encore le terrible alignement de la liste des réfugiés qui, après avoir affronté le terrible parcours jusqu’à l’Europe, ont trouvé la mort sur leur terre d’exil, leur noms, prénoms, lieu de provenance, enfin les circonstances de leur décès résumées en une phrase lapidaire : suicide après l’annonce du refus de l’obtention du statut de réfugié, asphyxie après avoir inhalé la fumée créée par l’incendie de leur baraquement dans un camp, etc. Plusieurs artistes expriment le sujet des migrations par la géographie du monde, telle la New World Map (Nouvelle carte du monde) d’El Anatsui, qui traduit les mouvements des populations spécialement pendant les périodes de colonisation, de globalisation, de migration. Le grand papillon sur lequel Andrea Bowers a repris le slogan des communautés activistes de Californie « Migration is beautiful ». Il ressort de l’ensemble une passionnante généalogie de l’art et de la migration.

Cette dernière est sous-tendue par plusieurs mots : diaspora, réfugiés, exilés… Chacun reflétant  une réalité distincte, de désespoir mais aussi de contextes apaisés et de richesses à venir. Depuis les portraits des Italiennes (Italian woman) qu'August Sherman réalisa en 1906 ou la Mère migrante, photographiée en 1936 par Dorothea Lange lors de la Grande Dépression aux Etats-Unis aux récentes séries Lybia-Europe-Migrants d'amis Messinis, à la peinture Refugees de Liu Xiaodong, ou aux clichés que Henk Wildschut réalisa à Calais en 2015-2016, les mouvements de population animent toujours les continents mais les situations ne se ressemblent pas. Les populations forcées, celles fuyant délibérément la misère économique sûres de trouver un travail, aussi dégradant soit-il, les populations délaissées d’aujourd’hui, ne trouvant qu’un terrain vague en guise d’accueil.

 

La Terra inquieta / The Restless Earth, à La Triennale di Milano, Palazzo dell’Arte. Exposition soutenue et produite par la Fondazione Nicola Trussardi et la Fondazione Triennale di Milano. Jusqu’au 20 août.

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