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Judith Depaule, metteuse en scène de L’atelier des artistes en exil

par Véronique Giraud
La menteuse en scène Judith Depaule, à l'origine des Ateliers d'artistes en exil. DR
La menteuse en scène Judith Depaule, à l'origine des Ateliers d'artistes en exil. DR
Hors-Champs Croisement Publié le 22/09/2017
Ces artistes viennent de Syrie, d'Afghanistan, du Soudan, et d'autres pays qu'ils ont été contraints de quitter. Venus se réfugier en France, ils doivent faire face, seuls, aux arcanes du système culturel national. Judith Depaule a choisi de les accompagner en créant à Paris L'atelier des artistes en exil. Elle retrace ici le chemin qui l'a menée à cet engagement.

Vous êtes metteuse en scène, comment avez-vous été amenée à créer un lieu comme L'atelier des artistes en exil ?

Créer un projet de cet ordre, c’est comme créer un projet artistique. En tout cas, j'y mets la même passion et la démarche est assez similaire. La différence c’est que ce n’est pas vous que vous mettez en avant. Là vous donnez les moyens aux autres de faire, et c’est tout aussi enthousiasmant.

 

Vous avez sans doute puisé dans votre propre expérience pour mettre en œuvre ce projet…

Evidemment. Quand un artiste s’adresse à un autre artiste, il comprend les besoins, les doutes, les questionnements. Je leur demande simplement ce dont ils ont besoin, je n’ai pas besoin d’introduction, je comprends ce qu’est un besoin quand on est artiste.

 

Avez-vous déjà eu cette expérience avec des artistes professionnels français ?

Oui. À Confluences, un lieu de création indépendant dans le 20e, qui a malheureusement fermé ses portes en novembre dernier. Je fréquentais ce lieu depuis longtemps en tant qu’artiste et artiste associée, avant d'en prendre la direction artistique pendant un an et demi. C’est là qu’est venue l’idée de créer un atelier des artistes en exil : on y a accueilli et logé des réfugiés syriens pendant 18 mois. J’ai également programmé le festival Péril(s) Syrie, et croisé à ce moment-là beaucoup d’artistes en exil.

Par ailleurs, j'étais très attachée à aider les artistes débutant. Étant aussi enseignante, je suis toujours attentive à ce que deviennent les étudiants après leur sortie de l’école. J’ai essayé de les accompagner au sein de Confluences, avec notamment le festival Péril(s) jeunes, qui portait une attention particulière aux projets qui débutent, aux jeunes ayant peu d’expérience. C’est un milieu où on est peu accompagné. En tant qu’artiste, cela m’a toujours manqué.

 

Vous montez là une structure inédite : lieu de visibilité, de pratique, d’accompagnement administratif, de plateforme internet multi-langues…

J’ai l’impression qu’il n’y a pas l’équivalent en France. Nous avons bénéficié d’un concours de circonstance très heureux et d’un soutien très fort de l’ONDA qui, à travers sa directrice Pascale Henrot, a marrainé le projet et assuré l’adhésion d’un grand nombre de professionnels dans le réseau du spectacle vivant public, un soutien du ministère. Et nous nous sommes assurés que les gens subventionnés par la Mairie de Paris suivent ce projet.

 

Comment s’est constitué le groupe de ces artistes en exil ?

De façon organique. À Confluences, nous avions organisé avec ONDA un premier salon d’artistes en exil qui consistait à faire rencontrer une dizaine d’entre eux à des professionnels, pour leur exposer leur projet en cours. Ça a été un grand succès puisque la plupart d'entre eux ont trouvé un accompagnement, des dates de diffusion, ou une production. À cette occasion, je suis entrée en relation avec pas mal d’artistes et, avec Ariel Cypel, l’ancien directeur de Confluences qui maintenant travaille avec moi sur le projet, nous avons systématiquement demandé aux artistes s’ils en connaissaient d’autres. Nous les rencontrions, leur posions la même question, afin de constituer un répertoire. Ensuite, les artistes se sont cooptés entre eux, les réseaux sociaux ont fait leur travail. Les personnes avec lesquelles nous travaillons, associations, avocats, assistants sociaux, nous envoient les artistes qui croisent leur chemin. Cela fonctionne tout seul maintenant.

 

Qui sont ces artistes ?

Ce sont des personnes, soit en demande d’asile soit ayant le statut de réfugié, qui prennent rendez-vous ou passent spontanément. Avec eux, on fait un tour de leur situation à la fois administrative et artistique, puis nous agissons en fonction de leurs demandes. A priori tout artiste en exil peut se présenter à nous. Nous privilégions bien sûr les personnes qui en ont vraiment besoin.

 

Quelles sont les obligations pour ces artistes ?

Pour l’instant, nous avons laissé les choses se faire. Si ça se démultipliait trop il faudrait réfléchir à une façon de faire tourner les espaces, les partager davantage.. Nous avons monté le projet à deux, nous sommes trois maintenant puisque nous avons engagé un webmaster, un Soudanais lui aussi exilé qui, en contrat d’apprentissage, reprend ses études en master.

Les artistes adhèrent à la structure pour un euro symbolique, afin d’avoir la carte d’adhérent. Soit ils ont besoin d’un espace permanent, écrivains, plasticiens, soit  d’un espace de répétition, musiciens, metteurs en scène, chorégraphes, et là on gère un planning. Le lieu appartient à tout le monde.

Nous tenons de nous écarter du système financier habituel : à part l’adhésion d’1 euro, rien ne passe par de l’argent. On ne loue pas les salles mais on peut pratiquer l’échange, d'un workshop, de matériel…

 

Parlez-nous de ce lieu…

C’est un lieu intermédiaire provisoire. Il est voué à la démolition. Il  nous a été cédé par Emmaüs Solidarité, puis le gestionnaire du lieu et le propriétaire ont été séduits par le projet et ont décidé de nous accorder plus que ce qui avait été convenu au départ.

 

Ateliers d'artistes en exil aura une première visibilité en novembre au sein de Welcome ! au musée national de l'histoire de l’immigration. Comment avez-vous programmé votre festival Visions d’exils ?

Je voulais qu’on parle du chemin de l’exil, j’ai donc centré la programmation autour de cette question et choisi les artistes entrant dans cette thématique, et dont les créations avaient la qualité pour être exposées.

 

Le projet occupe beaucoup de votre temps, il en reste pour votre travail personnel ?

J’essaye de réserver du temps pour moi. Je pars en résidence régulièrement pour faire des spectacles. D’où la nécessité de renforcer le collectif. Le monde artistique ne fait pas de cadeaux, il ne faut pas que je disparaisse non plus.

 

Que tirez-vous de cette aventure personnellement ?

J’ai l’impression d’avoir une grande famille. J’ai beaucoup de nouveaux enfants. Pour les artistes, c’est un repère. Ils y sont en confiance. Ariel et moi-même nous pouvons aussi compter sur eux. Ce sont des gens complexes, qui ont perdu beaucoup de repères, en général une partie de leur famille, ou l’ont laissée derrière eux. Ce sont des gens qui sont très seuls.

Des choses se créent à l’intérieur de l’atelier. Des communautés qui, en général, restent concentrées se lient à d’autres, des amitiés se nouent. Ces artistes qui ne se seraient jamais rencontrés se mettent à créer ensemble. Ce sera peut-être la naissance de quelque chose de très inédit parce que telle tradition aura rencontré telle autre, telle influence une autre, et on part vers un nouveau métissage.

 

L’histoire du lieu le dira. Elle peut être matière à créer pour vous ?

Je suis très sensible à cette direction. C’est ce qu’on peut espérer de mieux. De plus, comme j’ai un travail orienté politiquement, cela m’ouvre d’autres perspectives que celles de tous les jours.

 

 

Judith Depaule est actrice, auteure et metteuse en scène. Elle a travaillé au théâtre avec Robert Cantarella et Oleg Matveev, au cinéma avec Nikita Mikhailov et Eva Truffaut. En 2001 elle a fondé la compagnie Mabel Octobre, anime des ateliers avec les détenus de la prison de la Santé.

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