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Le CIAM met le cirque sur la piste de demain

par Véronique Giraud
Jonathan Guichard - 3D © Giraud/NAJA
Jonathan Guichard - 3D © Giraud/NAJA
Codage ©Giraud/NAJA
Codage ©Giraud/NAJA
Arts vivants Cirque Publié le 27/09/2017
Au cœur du Centre International des Arts en Mouvement (CIAM), le cirque n’est pourtant pas nommé. Le duo des fondateurs, formé par Chloé Béron et Philippe Delcroix, joue la complémentarité des expériences et des enjeux. L’expérience des corps et de la tradition, les enjeux de l’innovation dans la création. Mais, du 16 au 24 septembre, c’était avant tout l’invitation au public, à l’occasion du festival Jours (et nuits) de cirque(s) qui animait la pinède de La Molière à Aix-en-Provence.

Et si les auteurs de cirque étaient de grands physiciens ? Scrutateurs des trajectoires d’une balle ou d’un tube métallique, du tournoiement d’une plume, de la chute d’une planche de bois, ils tracent mentalement des lignes dans l’espace qui, maitrisées à force de répétition, deviendront un moment de magie. Observateurs compulsifs des effets de la gravité, les expérimentant de leurs mains, de leurs pieds, debout sur un cable, agrippés d’une seule main à une perche, ils n’auront de cesse, tout comme le scientifique, de répéter l’opération. Eux n’ont rien à prouver, ils veulent montrer ce que tout le monde peut faire, mais qu’eux seuls réalisent à la perfection. Cette ambigüité exerce sur le spectateur une troublante fascination.

Si les scientifiques réalisent leurs expériences dans leur laboratoire, loin du public, les circassiens font des leurs un spectacle. Unique, parce qu’investi par leur propre corps. Avec une double dimension, de l’expérimental et de l’esthétique. Leur rapport à l’objet, ou à l’animal, fascine par sa proximité et sa maîtrise. Ce lien intime avec une corde, une roue, une planche de bois, une plume, tient de la magie.

Les numéros du cirque traditionnel ont un cadre de circonstance, la piste circulaire du chapiteau, et véhiculent une longue histoire de voyages. Leurs numéros se doivent d’être spectaculaires. Les circassiens d’aujourd’hui préfèrent l’infime au spectaculaire, aussi à l’aise sur la place d’une ville que dans la pinède du quartier de La Molière à Aix-en-Provence.

 

Un festival de cirque(s) d’aujourd’hui (et de demain). Il fait bon en ces premiers jours d’automne, la campagne aixoise garde la sécheresse de l’été et, dans le quartier de la Molière, les pins offrent leur ombre bienvenue. C’est dans ces collines situées à l’entrée de la ville que le CIAM a installé ses chapiteaux colorés. Ils abritent son école de cirque amateur, ses ateliers pour artistes en résidence, accueillent les spectacles pour les diffuser dans la région. Et témoignent d’un élan créatif révélé par les initiatives du CIAM pour partager ses réflexions sur l’innovation technologique, qui revisite aujourd’hui l’art circassien, comme les liens avec les entreprises mécènes et les startups de la région pour trouver ensemble de nouvelles pistes.

Ce 23 septembre, le site est ouvert au public pour une dizaine de jours, le temps de son festival annuel Jours et Nuit(s) de cirque(s). C’est l’occasion d’aller et venir parmi quelques pépites du cirque d’aujourd’hui, dans sa tradition comme dans ses formes les plus novatrices, à l’image du duo complémentaire que forment Chloé Béron et Philippe Delcroix, les deux fondateurs du CIAM. Entre le scénographe, qui a contribué à la création en 1997 de l’académie Fratellini, et l’experte en ingénierie, qui a découvert le cirque en tant que spectatrice, le lien entre hier et demain semble aller de soi. Pour Philippe Delcroix, qui a connu la transmission du cirque de professeur à élève, « Le cirque de tradition est ancré en chacun d’entre nous et on doit d’en inspirer, être critique par rapport à ça et en tirer le meilleur. Il amène certaines valeurs sur lesquelles on s’appuie encore aujourd’hui ». Pour Chloé Béron, « Le défi était passionnant sur le cirque, une discipline qui est à un tournant. Il y a énormément de potentiel de création et des liens avec les sciences qui sont passionnants. Dans la tradition du cirque on a rarement rejeté. Le cirque était le seul endroit où on voyait des gens différents, où être différent était une valeur ajoutée. Les techniques, qu’elles soient numériques, de matériaux, les artistes de cirque sont extrêmement curieux de les détourner. »

En plein air et sous chapiteaux, les numéros se succèdent pour cette 4e édition du festival. Des artistes du Cabaret équestre, se succérant sous l’immense chapiteau Magic Mirror, aux Petites formes innovantes, qui font découvrir la jonglerie parlante de la Cie Les singuliers ou encore le fil sonore de Jonathan Guichard et sa Cie H.M.G. Et L’après-midi d’un Foehn, où la Cie Non Nova expérimente les effets du souffle, côtoie le rêve funambule de Sodade qui s'achève dans la pénombre. Au même moment, sous les arbres, enfants et adultes sont invités à expérimenter quelques figures de base de l’art circassien, trempoline et funambulisme.

 

Les tours de pistes de demain. École du corps par excellence, le cirque maintient une forme simple et populaire. Il a la capacité de rassembler sur les gradins toutes générations et origines sociales dans l'émerveillement qu’il exerce sur chacun de nous. Sauf exception, avoir deux bras et deux jambes est le lot de chacun. Mais se mesurer avec aisance et grâce au vide, à l’équilibre, au lancement de balle, nécessite des années d’apprentissage et une discipline exceptionnelle. Comme l’expérimentent en ces jours de fête les visiteurs évoluant sur un fil, ou rassemblés avec en main une petite balle autour d’un jongleur animant une étrange séance d’aérobic. Cette maîtrise est le fruit d’une réflexion sur le corps, sur la respiration, sur les effets de la gravité, sur les capacités du corps et sur la nature d’un objet. Cette relation du corps à l’objet, ou à l’animal, est centrale dans l’art du cirque. Elle a évolué plus ou moins vite mais, à l’heure numérique, elle transforme les codes de représentation à un rythme infernal. Le son, la lumière, la musique, les effets spéciaux, sont aujourd’hui connectés et créent des visions encore inhabituelles de l’humanité.

Si le cirque doit se « vivre », il aurait tout à gagner à être retransmis sur grand écran, en direct ou en léger différé, comme l'est aujourd’hui l’opéra depuis l’accord qui lie le Metropolitan Opera de New-York et les salles Gaumont-Pathé en France. Mais « Le cirque s’accommode très mal de la 2D, on a besoin de ressentir le risque, de ressentir l’effort, de visualiser la 3eme dimension », explique Chloé Béron. Avec les partenaires et la trentaine de mécènes du CIAM, avec les startups de Thecampus, qui s'installe en septembre à 10 mn du site, les voies immersives de la réalité augmentée ou la motion capture pourraient, en préservant la spécificité des arts du cirque, ouvrir d’heureuses perspectives numériques…

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