espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > « The Square », chef d’œuvre de Ruben Östlund

« The Square », chef d’œuvre de Ruben Östlund

par Jacques Moulins
Pour
Pour "The Square", le réalisateur suédois Ruben östlund a obtenu la Palme d'Or à Cannes. DR
Cinéma Film Publié le 18/10/2017
"The Square" de Ruben Östlund pousse à la perfection le thème de la responsabilité individuelle face aux autres membres de la société, thème déjà abordé par le cinéaste suédois dans ses précédents films. Un chef d’œuvre que le jury du festival de Cannes n’a pas manqué en lui décernant la Palme d’Or 2017.

Difficile de manquer le dernier film de Ruben Östlund, promu par l’affiche de l’homme-gorille debout sur une table de banquet. Difficile de le manquer parce que c’est un chef d’œuvre, ce qui ne se voit pas tous les ans. La Palme d’Or que lui a attribué le jury de Cannes, présidé par le cinéaste espagnol Pedro Almodovar, est cette fois peu contestable, même si la concurrence était rude. Il faut aller le voir sans a priori, c’est-à-dire en ne se laissant pas perturber par les codes de lecture qui nous servent habituellement dans les salles obscures. A défaut le film paraîtra farfelu, et ce serait dommage. Ruben Östlund réussit là un film qui bouscule fort, non parce qu’il nous fait part des injustices d’une société qui n’en manque pas, non parce qu’il nous montre une situation sociale ou humaine qui nous révolte, mais parce qu’il s’adresse à notre responsabilité dans ses plus profondes réalités, là où l’on ne peut plus détourner le regard.

 

Mais venons au fait. Depuis 2008 et son film Happy Sweden, Ruben Östlund interroge de multiples contradictions de nos sociétés, principalement autour de la responsabilité de l’individu face à l’autre, aux autres qui demandent notre solidarité, comme nous pouvons être amenés à le faire envers eux. Autour de ce thème central, ce sont toutes les contradictions humaines qui sont interrogées. Avec Play (2011), Ruben Östlund osait porter ce même thème au cœur des relations d’enfants entre eux, toujours avec des personnages principaux socialement aisés confrontés aux demandes des autres, personnages à la fois culpabilisés par leur bien-être face aux démunis, mais en même temps prêts à se battre pour conserver ce bien être. Perdus donc entre solidarité entre humains et égoïsme. Dans Snow Therapy (2014), cette même contradiction se joue entre membres de la famille, le film commençant par une avalanche sans conséquence à part la fuite du père qui s’enfuit sans se préoccuper du sort de sa femme et de ses enfants.

 

Là, tout y est. Ce long travail de Ruben Östlund aboutit quasi parfaitement dans The Square où nombre d’aspects de notre société sont à peine évoqués déjà interrogés. Le film est d’une richesse incroyable à cet égard, le revoir est à nouveau une découverte. L’audace la plus forte est sans doute d’avoir choisi comme personnage principal Christian (Claes Bang), le directeur du musée d’art contemporain de Stockholm et de faire entrer cet art, les installations, les discours, les incompréhensions, les supercheries, dans ce même thème de notre responsabilité individuelle face aux autres humains. A cet égard, la scène où la dernière amante (Elisabeth Moss) de Christian le met en contradiction avec son discours sur fond d’une sculpture représentant un assemblage de chaises de cantine émettant régulièrement un bruit fort, est désopilante. Car, si l’on ne peut classer le film ni dans les comédies, ni dans les tragédies, tant l’égoïsme semble peu tragique, et la comédie moins satirique, on rit tout le temps et parfois avec malaise comme dans l’époustouflante scène photographiée par l’affiche de l’homme singe (Terry Notari).

 

Tout part d’un carré. The Square (le carré en français) est une œuvre plastique symbolique ,réalisée pour le Vandalorum Museum par Ruben Östlund et son consultant artistique Kalle Boman. Représentant, comme son nom l’indique, un carré, elle illustre,,selon le réalisateur, « l’idéal de consensus censé gouverner la société dans son ensemble pour le bien de tous ». L’idée du carré est de créer « un espace physique défini où vous rendre pour être en sécurité et demander de l’aide ». La sécurité dont jouit la plupart des classes moyennes, l’aide que demande la plupart des nombreux démunis, réfugiés ou pas, que compte la Suède. A partir de l’idée de l’œuvre, le film va tourner la question à propos du citoyen face à un vol, de l’attitude de la presse, des créations des communicants… Il va surtout mettre en l’air le « politiquement correct » qui sévit plus encore dans les pays de tradition réformée. Mais cela sans jamais juger, restant toujours sur la crête de la contradiction, ce qui produit des situations particulièrement hilarantes. Pour ce faire, il faut une maîtrise esthétique hors du commun. De fait, une image n’entraine jamais la suite que l’on attend, la compassion des personnages est mise à rude épreuve, et les codes de la narration comme de l’intrigue sont réinventés. L’intrigue répond un peu à « l’effet papillon » (« Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » demandait Lorentz), mais ramené à la sphère individuelle. Comment le vol d’un portefeuille peut-il… « Un sentiment général d’impuissance politique nous a fait perdre confiance en l’Etat et nous a poussés à nous replier sur nous-mêmes » explique Ruben Östlund qui, pour notre bonheur et notre intelligence continue à interroger sur « cette inhibition de notre propension à venir en aide à autrui »

 

The Square, film de Ruben Östlund, avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Annica Liljeblad et Terry Notary. Sortie en France le 17 octobre 2017, Palme d’Or du festival de Cannes.

Partager sur
Fermer