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« Ceux qui restent », souvenirs du ghetto au théâtre Déjazet

par Véronique Giraud
CEUX QUI RESTENT- De gauche à droite, Antoine MATHIEU (Paul Felenbok)  répond aux questions de Marie DESGRANGES  @ Christophe RAYNAUD DE LAGE
CEUX QUI RESTENT- De gauche à droite, Antoine MATHIEU (Paul Felenbok) répond aux questions de Marie DESGRANGES @ Christophe RAYNAUD DE LAGE
"CEUX QUI RESTENT"- De gauche à droite, Marie Desgranges (Wlodka Blit Robertson ) répond aux questions d'Antoine Mathieu @ Christophe Raynaud De Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 19/10/2017
Âgés de 7 et 12 ans, Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson s’échappent du ghetto de Varsovie. Des années plus tard, David Lescot recueille leurs souvenirs et en compose la pièce "Ceux qui restent" . Sur la scène du théâtre Déjazet, Marie Desgranges et Antoine Mathieu nous rapportent leurs mots, sans effet ni artifice.

« J’ai attendu 70 ans ». C’est la phrase que prononce Paul Felenbok après son passage sur scène pour saluer le public aux côtés des deux comédiens qui viennent d’interpréter la pièce de David Lescot Ceux qui restent. Elle reprise depuis le 18 octobre au théâtre Déjazet et est programmée jusqu’au 9 décembre. 70 ans, avant de ressentir la nécessité de livrer, au-delà de la sphère intime, son histoire, celle de son enfance à Varsovie. Paul Felenbok y est né avant la guerre. Il vivait dans un appartement avec son père joailler, sa mère et son grand frère, avant que sa famille, comme toutes les familles juives, ne se retrouve enfermée dans le ghetto, puis s’en échappe pour passer de cache en cache dans les faubourgs de la ville. De cette vie de réfugié, dans un sous-sol, dans une salle de bains et ailleurs, Paul a fait resurgir ses souvenirs de petit enfant en répondant en 2011 aux questions de David Lescot pendant un entretien qui a duré plus de trois heures. Le metteur en scène a procédé de même quelques mois plus tard avec sa cousine Wlodka Blit-Robertson, dont la famille vivait au même endroit que les Felenbok. De dix ans plus âgée que Paul, ses réponses, témoignages – souvenirs, ont évacué les visions fugaces et les émotions si particulières à l'enfance, donnant un autre tonalité au souvenir. Ses conditions de vie différaient aussi, l'engagement politique de sa famille a compté dans son histoire et ses parents ont fait d’autres choix pour elle et sa sœur jumelle.

Les deux témoignages, questions et réponses, composent le matériau unique de la pièce. « Cette histoire, j’ai su dès le départ que je ne voulais pas l’écrire moi-même, écrit David Lescot. C’est-à-dire que je ne voulais pas faire œuvre d’auteur de théâtre. Je voulais simplement que les témoins se racontent eux-mêmes, et porter à la scène leurs paroles, leurs manières de parler, de penser, de puiser dans leurs souvenirs, de mobilier leur mémoire ». Marie Desgranges et Antoine Mathieu, à qui il a confié les mots de Wlodka et de Paul, incarnent à leur tour les témoins de la jeune fille et de l’enfant.

Sur la scène, deux chaises. L’une est légèrement plus avancée que l’autre. Les deux comédiens s’y assoient, faisant face au public dans la salle éclairée. L’un pose les questions de David Lescot, l’autre y répond avec les mots des deux cousins, et changent de chaise pour inverser les rôles de questionneur et de questionné. Peu à peu, la salle disparaît dans l’obscurité, laissant en pleine lumière les souvenirs s’égrener. En écoutant ces mots, on ressent l’application à se souvenir, à faire resurgir des faits oubliés, à répondre avec la précision qu’imposent les questions de David Lescot. Éludant le plus possible les circonstances extérieures qui formeraient un récit susceptible d’être vécu par beaucoup, ce qui est dit a la force du singulier, sans emphase ni jugement, juste ce qui a été ressenti quand on est enfant, et que la pensée politique est encore un théâtre. Mais ne plus pouvoir être dehors, déménager souvent à l’intérieur du ghetto, ne pas regarder par la fenêtre, traverser la ville par les égouts, sont quelques-uns des événements qui restent imprimés. Au quotidien, horms quelques tensions que trahissent les parents, une vie ordinaire d’enfant. Même les petites joies s’immiscent dans les pires situations, quand on est enfant. La peur du noir est la même pour tous, le silence imposé est pesant pour tous.

« Personne ne savait ce qu’avait vécu quelqu’un d’autre. Personne n’a su pendant tout le temps, ce que moi j’avais vécu », dit Antoine Mathieu pour Paul Felenbok sur scène. La situation a duré 70 ans. Après la pièce, le protagoniste me dit dans un sourire : « quand j’ai participé à une émission radiophonique pour la première fois, mes collègues astrophysiciens, que je côtoyais depuis des années, m’ont dit : mais on ne savait rien de toi. »

 

Ceux qui restent -  Conception et mise en scène par David Lescot - Avec : Marie Desgranges et Antoine Mathieu. Du 18 au 28 octobre et du au 9 décembre, Théâtre Déjazet

 

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