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« Lieux saints partagés », lieux communs des chrétiens, juifs et musulmans

par Véronique Giraud
À Bethléem, Notre-Dame qui fait tomber les murs, 2014 © MuCEM / IDEMEC / Manoël Pénicaud
À Bethléem, Notre-Dame qui fait tomber les murs, 2014 © MuCEM / IDEMEC / Manoël Pénicaud
Croix sculptées avec le bois des bateaux de migrants de Lampedusa, 2017
© Manoël Pénicaud / Le Pictorium
Croix sculptées avec le bois des bateaux de migrants de Lampedusa, 2017 © Manoël Pénicaud / Le Pictorium
Juive et musulmane priant dans la synagogue de la Ghriba, Djerba, 2014 © Manoël Pénicaud / MuCEM - IDEMEC
Juive et musulmane priant dans la synagogue de la Ghriba, Djerba, 2014 © Manoël Pénicaud / MuCEM - IDEMEC
Lieux saints partagés, une exposition du musée de l'histoire de l'immigration ©Giraud:NAJA
Lieux saints partagés, une exposition du musée de l'histoire de l'immigration ©Giraud:NAJA
Hors-Champs Croisement Publié le 24/10/2017
Alors que la question des identités religieuses prend de l'importance pour décrire l'homme du XXIe siècle et crée parfois les pires violences, la nouvelle exposition du musée de l'histoire de l'immigration vient contrebalancer les dissensions en retraçant un parcours des lieux et des pratiques partagés en Europe et en Méditerranée par les trois religions monothéistes, démontrant possible la coexistence de communautés religieuses. L'exposition "Lieux saints partagés" est présentée du 24 octobre au 21 janvier 2018.

L’histoire fait s’opposer depuis longtemps les religions. Elles divisent encore aujourd’hui la place publique, alors que l’appartenance religieuse est de plus en plus identitaire au XXIe siècle. Des mille et une façons d'être juif ou musulman, un livre dialogue entre une jeune femme rabbin, Delphine Horvilleur, et un islamologue, Rachid Benzine, qui vient de paraître, tend préciser à exprimer à deux voix que les origines de la foi, juive ou musulmane, ne divise pas quand la préoccupation première est la liberté de la parole et le renouvellement constant de la religion d’une époque à une autre. Au même moment, débute au Musée de l’histoire de l’immigration une exposition itinérante dont l’enjeu est de s'arrêter en Méditerranée et en Europe dans des lieux emblématiques ou oubliés que les trois religions monothéistes se sont partagés et/ou partagent encore. Dans notre monde divisé, le parcours de l’exposition écrit et ravive une histoire commune, qui ravie l'idée de la cohabitation pacifique.

 

Dans une quasi obscurité, propice au recueillement et à la contemplation, le parcours de l’exposition Lieux saints partagés signale d’un halo de lumière chaque œuvre, dessin, tableau, chaque document, manuscrit ancien et photographie d’aujourd’hui. Les sons des nombreux films projetés (à revoir sur la chaine youTube) brisent de temps à autre le silence. Les figures symboliques des trois religions ravivent la mémoire de lieux partagés successivement ou concomitamment, certains qu’elles partagent encore. Un point de vue qui souligne la réalité d’une cohabitation quasi originelle, et dédramatise les oppositions. Le parcours débute avec une installation de l’artiste Pistoletto, rappelant fort à propos l’un des principes du musée qui est de faire côtoyer l’art contemporain avec les œuvres du passé. La première partie de l’exposition, intitulée Terre sainte, mène le visiteur à Jérusalem, où les trois religions monothéistes ont superposé leurs sanctuaires et font de la ville un lieu d'appartenance commune aux juifs, musulmans et chrétiens, puis le conduit à Hébron, où apparaît la figure d’Abraham. C’est dans cette ville que le tombeau présumé du prophète est localisé, transformé en mosquée d’Ibrahim au XIIe siècle, et aujourd’hui lieu de pélerinage des trois religions monothéistes, à la fois mosquée, synagogue et église. C’est aussi un lieu de tensions entre juifs et musulmans, avec des épisodes sanglants. Des tensions toujours vives comme en témoigne la fureur israélienne suscitée par la décision de l’UNESCO, le 7 juillet dernier, d’inscrire la vieille ville, mentionnée explicitement appartenant à la Palestine, sur la liste du patrimoine mondial. Un fait non relaté dans l’exposition qui a été conçue en 2015. Parmi les documents, un croquis de Guy Delisle, l’auteur des « Chroniques de Jérusalem », représentant le tombeau des Patriarches.

 

Malgré les dissensions, les circulations des populations se font d’une rive à une autre, comme l’évoque la seconde partie de l’exposition, consacrée aux îles, à la fois lieux de carrefour et de périphérie. Leur isolement a minimisé le contrôle des institutions politiques et religieuses. Les phénomènes de brassage et de rencontres interreligieuses se sont souvent produits dans les îles. La première abordée est l’île italienne de Lampedusa, une île dont l’actualité tragique fait débat en Europe, et que la situation géographique situe aux avant-postes des flux migratoires depuis plusieurs siècles. Pendant plusieurs siècles, Lampedusa était une île quasi déserte, habitée par quelques ermites. S’y trouvaient toutefois une grotte consacrée à la Vierge et la tombe d’un saint musulman. Les marins turcs, arabes, européens, musulmans et chrétiens, fréquentaient l’île, réputée comme lieu de trêve, pour y faire escale et s’approvisionner. Lors de leur escale, ils visitaient la chapelle pour y déposer des offrandes (nourriture, objets de la vie quotidienne), destinées à subvenir aux besoins des naufragés en attendant qu’un bateau arrive pour les faire regagner le continent. Cette forme d’entraide a duré plusieurs siècles, comme l’évoquent plusieurs témoignages entre le XVIe siècle et le XIXe siècle. Cette ouverture interreligieuse de Lampedusa a souvent été relatée dans des récits de voyage. L’exposition fait référence à des écrits du Paris des Lumières où était évoquée Lampedusa pour parler de liberté religieuse. Mentionnée par Voltaire, par Rousseau, par Diderot, dont on peut voir un autographe qui raconte la situation de Lampedusa. Est également présentée la première édition de son ouvrage Le fils naturel dans lequel, comme l’explique le conservateur, « Dorval, le protagoniste du roman, exprime l’utopie de se rendre à Lampedusa pour y bâtir une nouvelle société où des troupes de théâtre joueraient des comédies et des tragédies qui pourraient remplacer les rites religieux ». Faisant face à ce lieu d’utopie et de rêve pour une société nouvelle, l’actualité tragique de l’île est illustrée par un diaporama d’épaves d’embarcations formant un nouveau paysage, un nouveau cimetière, évocation tragique des nombreux naufrages au large de l’île, espoir d’une vie meilleure pour les migrants. Faisant écho à ces images, plusieurs croix fabriquées par un artisan de Lampedusa avec le bois coloré des barques échouées. Nombre d’entre elles ont circulé. « L’une d’elle a été offerte au pape, qui a fait sa première visite après son élection à Lampedusa en 2013, et a offert une crèche à la paroisse de l’île, prêtée au musée pour l’exposition ».

 

Un rappel historique apaisant. D’autres îles, comme Djerbha où la communauté juive est importante et où se trouve une synagogue construite sur  l’étrange histoire de la mort d’une jeune fille dont on ne connaît ni le nom ni la religion, surnommée la Ghriba, synagogue aujourd’hui fréquentée à la fois par les juifs et les musulmans. Plus proche de nous, l’immigration maghrébine en France a eu une influence sur les comportements religieux. L’exposition rappelle un projet d’évangélisation autour du culte de Marie, figure importante pour l’islam. Citée 34 fois dans le Coran, elle ne l’est que 17 fois dans l’ancien Testament, et illustre la parenté entre l’islam et la chrétienté. Les parentés religieuses sont explorées, remémorées, prenant corps ici à travers des lieux toujours fréquentés, parfois très surprenants, comme le  pèlerinage islamo-chrétien qui a cours en Bretagne depuis plus de 60 ans ou le sanctuaire de Saint-Georges vénéré comme un saint musulman. Un rappel apaisant qui a sans doute sa place dans le chaos médiatique et idéologique qui a cours aujourd’hui. des initiatives naissent en ce sens, comme à Berlin, où un nouveau lieu rassemblera bientôt une synagogue, une église et une mosquée sous un même toit.

 

Commissariat général de l'exposition

Dionigi Albera : anthropologue, directeur de recherche au CNRS et directeur de 2006 à 2016 de l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative (IDEMEC) à la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH) d’Aix-en-Provence.

Manoël Pénicaud : anthropologue, chargé de recherche au CNRS et membre de l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative (IDEMEC) à Aix-en-Provence. Spécialiste des pèlerinages et des relations interreligieuses en Europe et en Méditerranée.

 

Lieux saints partagés, exposition au Musée national de l'histoire de l'immigration - Palais de la Porte Dorée 293 avenue Daumesnil 75012 Paris. Du 24 octobre 2017 au 21 janvier 2018.

 

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