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Hollywood contre les harceleurs

par Jacques Moulins
LA Confidentail. jpg
LA Confidentail. jpg
Cinéma Film Publié le 15/11/2017
L’affaire Weinstein bouscule Hollywood qui inventait, dans les années 20, le personnage de l’apprentie starlette victime sexuelle des producteurs. Une grande vague qui inverse les valeurs.

C’est un personnage archétype de la littérature et du cinéma noir américain, inventé dans les années 20 par Dashiell Hammett, bientôt rejoint par Raymond Chandler - avec qui il assurera le succès de la revue Black Mask où tout a commencé. Le personnage de la starlette, manipulée par un mafieux, prête à tout pour avoir un rôle à Hollywood, notamment à coucher avec les producteurs toujours présentés entourés de nymphettes. Lui-même détective, avant d’être reconnu comme père du roman noir américain, puis disgracié pendant le maccarthysme pour ses sympathies communistes, Dashiell Hammett dénonce ces exploitations quasi esclavagistes des paumés, des drogués, des apprenties starlettes, des gigolos. Il le fait avec cette façon qui signe cette forme littéraire : un privé qui s’obstine à défendre la dignité humaine et fait éclater la vérité dans un monde profondément corrompu dont il n’attend rien.

Hammet dénonçait, mais peu à peu l’image de la starlette « légère » (entendez « qui couche ») est devenue une norme dans le cinéma mondial. Dès Quai des orfèvres (en 1942 pour le roman, en 1947 pour le film), le cinéma français reprend le même stérotype, condamnant le prédateur sexuel et sa victime plus ou moins consentante au nom de la morale.

 

Renverser les valeurs. Hammett n’est plus là, mais Hollywood si. Et fait à nouveau l’affiche avec l’affaire Harvey Weinstein. Certes, c’est Hollywood, et les médias et l’opinion vont moins voir du côté du chef de rayon de magasin ou du contremaître d’usine à main d’œuvre féminine, autre personnage type de la « bofferie » à la française. Des films comme Promotion canapé ont aussi démonté d'une manière légère le système d’avancement vu par les patrons de bureau publics ou privés. Si les politiques et autres gens de pouvoir sont visés depuis des années, à l’image de Dominique Strauss-Kahn, il y aurait sans doute lieu à découvrir, à l’usine, au magasin et au bureau, semblables comportements du mâle tout puissant.

Mais Hollywood est un peu l’Olympe des temps modernes. On savait bien sûr que nos dieux fautaient. On ne savait pas l’ampleur du système même si l’on pouvait s’en douter. Alors qu’est-ce qui a changé ? La société, bien sûr, où les femmes ont pris le droit de dire non. Et d’inverser la proposition : le personnage de la starlette prête à coucher disparaît. Ce n’est pas elle qui fait tentation. Le producteur qui assure son total pouvoir jusqu’à la possession du corps de l’autre, c’est lui qui fait dénonciation. Et, enfin, grâce notamment au mouvement Me Too, la peur change de camp. Celui ou celle qui dit non n’est plus mis(e) au banc, relégué(e) à retourner dans la ferme de ses parents. C’est le producteur et fondateur de Miramax, Harvey Weinstein, que ses associés débarquent. C’est Kevin Spacey qui est limogé de la série à succès House of cards, et remplacé dans le prochain film de Ridley Scott au tournage pourtant achevé. C’est le metteur en scène Brett Ratner que la Warner dégage. C’est l’humoriste Louis C.K. qui voit ses sketches effacés de la télévision en ligne HBO.

 

Rien à l’Orient ? Tous ces hommes ont reconnu les faits, et ont donc payé avant que la justice ne se saisisse de leur cas. La vague ne fait que commencer. Elle va encore emporter des dizaines et des dizaines de prédateurs au pouvoir qui, par le monde, abusent sans scrupules de leur position. De par le monde ? En fait non. Une fois de plus, les systèmes démocratiques montrent leur supériorité en matière de droits des humains et du respect de leur dignité. Rien en Russie, dans les pétromonarchies du Golfe, dans les états autocratiques d’Afrique ou aux royaumes communistes d’Asie.

 

La dignité, pas le puritanisme. Les puritains américains profitent de l’occasion pour s’inscrire dans le débat. Les années 60 dites de « libération sexuelle » seraient responsables de ces comportements. N’y croient que ceux qui veulent y croire. Les historiens ont encore à travailler mais, du droit de cuissage des seigneurs féodaux aux esclaves de Daech en passant par les femmes et les mignons reconnus comme légitimes trophées de guerre depuis l’antiquité, la soumission sexuelle non consentie est au moins aussi vieille que nos religions. Le marquis de Sade est sans doute le premier qui a explicitement montré les liens entre pouvoirs politiques, économiques, religieux et sexuels. Et certainement pas au nom du puritanisme.

La grande vague est d’ailleurs en train d’emporter un des élus et magistrats les plus puritains des Etats-Unis, le Républicain Roy Moore, ancien attorney général de l’Alabama et candidat au Congrès, soupçonné de relations à caractère sexuel avec des jeunes filles mineures. Lui qui a fait installer, au mépris de la constitution américaine, une stèle représentant les dix commandements, dans un lieu de justice.

Avec ce talent à se saisir des questions sociétales qui la caractérise, Hollywood mettra bientôt en scène la prédation sexuelle chez les puissants. En attendant, on peut revoir Bellissima de Visconti, L.A. confidential, ou Le dahlia noir de Brian de Palma. Et même Liaison fatale (1988) où le harceleur, cas très minoritaire, est une harceleuse. Patronne néanmoins.

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