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Le livre le plus froid du monde

par Véronique Giraud
Le livre le plus froid du monde. DR
Le livre le plus froid du monde. DR
Le physicien Julien Bobroff œuvre à la vulgarisation de la supraconductivité, le magnétisme, la physique quantique et la physique de la matière condensée. DR
Le physicien Julien Bobroff œuvre à la vulgarisation de la supraconductivité, le magnétisme, la physique quantique et la physique de la matière condensée. DR
Marjorie Garry, autoportrait. ©Marjorie Garry
Marjorie Garry, autoportrait. ©Marjorie Garry
Hors-Champs Croisement Publié le 13/12/2017
À l'approche de Noël, les livres cadeau s'affichent dans les librairies. Mais on n'y trouvera pas "Le livre le plus froid du monde". Celui-là est un cadeau de la science et le fruit de la collaboration entre un physicien et une étudiante en illustration scientifique. On peut le lire bien sûr, mais avant tout il s'expérimente trempé dans l’azote liquide, à -196° C.

Julien Bobroff et Marjorie Garry se sont connus à l’occasion d’un des workshops que le physicien anime à l’école Estienne, où Marjorie a choisi le cursus illustration scientifique. Julien Bobroff œuvre à vulgariser la supraconductivité, le magnétisme, la physique quantique et la physique de la matière condensée. Professeur à l'université Paris-Sud, il a fondé avec Frédéric Bouquet le groupe de recherche « La Physique autrement » au Laboratoire de physique des solides de l'université Paris-Sud et du CNRS, dont l'objet est de travailler à de nouvelles façons de présenter au public la physique et la recherche. L'enseignant-chercheur, ayant le projet d’expérimenter l’azote liquide, a sollicité Marjorie Garry, qui s'était formée à la reliure, pour réaliser ensemble ce qui allait devenir "Le livre le plus froid du monde". A ce moment-là, c’était juste une idée. Mais, pendant le stage de trois mois effectué dans le laboratoire de physique à Paris Sud, de multiples expérimentations ont permis de mettre au point le projet. « Le premier jour, M. Bobroff m’a montré tout ce qu’il savait faire avec l’azote liquide, m’expliquant que des matériaux conservent davantage le froid ou réagissent plus que d’autres au froid », explique Marjorie. De son côté, la stagiaire recherchait des traitements graphiques avec le papier, en expérimentant tous types dans l’espoir de trouver quelque chose de nouveau. Finalement, « nous avons trouvé une manière d’écrire avec le froid, et une manière de faire des pochoirs dont l’esthétique était forte ».

 

MARJORIE GARRY, ILLUSTRATRICE SCIENTIFIQUE

Comment dessine-t-on avec le froid ?

Les tests se faisaient souvent avec de l’eau. On sait qu’elle givre ou qu’elle gèle, mais on ne sait jamais quelle forme elle va prendre. L’azote prend très rapidement, fait geler instantanément. J’ai cherché des types de papier qui prenaient plus ou moins bien l’humidité. J’ai fait des milliers de tests, en faisant des aplats de peinture, en écrivant avec plusieurs techniques. Par exemple, je prenais le haut d’une feuille, je passais dessus un pinceau mouillé en laissant une légère couche d’eau. En le trempant dans l’azote et en le ressortant, un léger dépôt de givre se faisait là où le papier avait gelé. Sur un papier noir, le givre réapparaissait en blanc et donnait un graphisme intéressant. Ensuite, on s’est rendu compte qu’on pouvait aussi faire des pochoirs. Là, on déposait des gouttes d’eau, parfois en les vaporisant et, selon la taille des gouttes d’eau le gel opérait différemment, donnant des motifs différents.

 

C'est bien éloigné de la technique du livre, ce n’était pas frustrant ?

C’est très différent en effet, mais je savais qu'à la fin je ferai de la reliure. L’idée était de trouver une reliure qui ne se détruirait pas trop dans l’azote. J’avais en tête un grand répertoire de techniques de reliure, j’ai utilisé celle qu’on pouvait démonter et remonter le plus facilement pour interchanger les pages du livre, si celui-ci était endommagé. On ne pouvait pas relier avec de la colle, elle aurait explosé dans l’azote liquide. J’ai donc eu recours à la couture.

 

Comment s’est faite la narration ?

Nous avons fait ensemble le chapitrage, nous étions plus à l’aise dans un registre biographique et chronologique. Ensuite M. Bobroff et son collègue Frédéric Bouquet ont rédigé les textes. Ils me les expliquaient et, comme on expérimentait en direct je comprenais ce que je devais illustrer.

 

L’illustrateur scientifique se doit de coller exactement à l’expérience, il lui faut une interprétation très fine…

En tant qu’illustratrice, je sais que je serai amenée à me tromper. Je m’en suis rendu compte. Par exemple, on a fait un sujet sur les AVC et on devait représenter des coupes du corps. Les scientifiques nous disaient qu’on se trompait sur l’anatomie. Du coup, nous sommes toujours amenés à corriger jusqu’à ce que ce soit le plus ressemblant possible de la description. Dans le cas du livre froid, le questionnement était davantage : est-ce qu’on ressent la chose ? Est-ce que le schéma est intuitif ?

 

 

JULIEN BOBROFF, PHYSICIEN

Quel était l'objet d'un tel livre ?

Il s’agissait d’explorer le format du livre avec une parole scientifique, en essayant de trouver en quoi l’objet pourrait être détourné et mis au service d’un propos original de vulgarisation.

 

Comment se passent les stages des étudiants ?

Avec nos stagiaires, étudiants en arts appliqués ou en design, nous favorisons une phase d’exploration où on ne se contraint absolument à rien, à aucun cahier des charges. On expérimente, on teste des idées. Pour le livre froid, on a testé l’idée de ce que serait une reliure à basse température, ce que seraient des livres gelés, des livres dans l’eau, des livres glacés. Ensuite on a travaillé sur l’idée de l’écriture et de la peinture, ce qu’on peut peindre avec du froid, comment faire des pochoirs à l’azote liquide avec de l’eau, un pulvérisateur, avec des encres, de la peinture. Donc beaucoup d’expérimentation pour arriver à trouver comment imprimer le livre, qu’allait faire ce livre et comment il allait être plus qu’un livre, un objet dans lequel on avait plongé dans l’azote liquide.

 

Que représente ce livre ?

Ce livre est beaucoup de choses à la fois. Il peut être lui-même une table à expériences. Dans le livre lui-même, on peut faire des expériences que le livre explique. Sous forme de happening en direct (la vidéo est à voir sur le site web vulgarisation.fr), on me voit ouvrir le livre, le tremper dans l’azote et faire des expériences. Il y a aussi un livre chaud, dans lequel sont ajoutées des photos des expériences faites avec le livre froid. Enfin, le livre fait lune exposition

 

Exposition Le livre le plus froid du monde, du 14 novembre au 23 décembre - du mardi au samedi de 14h à 17h - Espace Pierre-Gilles de Gennes, 

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