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Marseille : des musées à l’abandon ? (3/4)

par Pierre Magnetto
Le Musée d'Art Contemporain de Marseille, sans grande visibilité. © Mucchielli/Naja
Le Musée d'Art Contemporain de Marseille, sans grande visibilité. © Mucchielli/Naja
Arts visuels Arts plastiques Publié le 26/02/2018
Des travaux qui durent des mois dans des musées tombés en décrépitude, des soupçons d'emplois fictifs, de primes indûment versées, des disparitions d’œuvres, un absentéisme record qui oblige parfois à ne pas ouvrir les portes. La situation des musées municipaux de Marseille est au plus bas. sacré challenge pour le nouveau directeur, Xavier Rey qui a dirigé les collections du musée d’Orsay.

Les 450 événements prévus à Marseille et en Provence du 14 février au 1er septembre pour MP 2018 quel amour ! n'ont guère le soutien de la municipalité et de la métropole. Mais au moins les acteurs marseillais des arts vivants sont-ils à l'offensive. On ne peut en dire autant des musées municipaux. Faire l'état des lieux est déjà une épreuve de désolation. La situation est si tendue, et la gestion si incertaine, qu'une enquête de l'inspection générale des services est ouverte.

 

Des travaux a minima pour le MAC. Ainsi le Musée d’Art Contemporain (MAC) a-t-il fermé ses portes mi-janvier. Il ne rouvrira que le 9 mai pour accueillir deux expos de MP2018. « Il s’agit de rénover l’entrée, de transformer complètement les sanitaires, de démonter l’expo actuelle et de monter la suivante. 4 mois, c’est un délai normal », commente Thierry Ollat, le directeur du Musée. Sauf que le MAC n’en restera pas là. En 2019, ses portes resteront closes pendant plusieurs mois encore, avec en particulier une reprise de la toiture dont la calandrite a perdu de son étanchéité, la remise en état de la climatisation ou encore la réfection de l’éclairage et des installations électriques. Bref, un beau chantier avec du gros œuvre pour ce musée construit en 1994 et dont la maintenance a minima a conduit à une dégradation progressive des lieux.

 

Pas de travaux durant des années. Même constat au Musée Cantini consacré à la période moderne du XXe siècle. Le public pourra réinvestir les lieux pour une exposition Courbet, Degas, Cézanne en mai. Il se sera alors écoulé huit mois depuis la fermeture en septembre dernier. Là encore, du gros œuvre pour remettre en état. « Il n’y a pas eu de travaux depuis des années, aujourd’hui face à la vétusté la ville intervient en urgence » commente Jean-Pierre Zanlucca, secrétaire départemental de la FSU territoriale, lui-même agent de direction du service des musées. Négligence coupable de la ville de Marseille qui aurait laissé tomber ses musées en décrépitude ? Contactée, l’adjointe au maire chargée des musées n’a pas donné suite. Le syndicaliste, lui, loin d’être vindicatif rappelle que « Marseille est une ville qui va très mal financièrement », mais souligne aussi que quand ils étaient disponibles, les budgets ont été plus concentrés sur les sites liés à La capitale européenne de la culture en 2013, avec notamment la réouverture du Musée Borely ou du Musée d’Histoire de Marseille restés l’un et l’autre fermés pendant plusieurs années.

 

Soupçons d'emplois fictifs et  primes indument versées. Mais ce n’est pas sur le seul volet de l’entretien des installations que les musées municipaux de Marseille se distinguent. Cet automne, plusieurs lettres anonymes ont été adressées à la Direction générale des services de la ville, dénonçant des primes indûment versées à des agents payés à ne rien faire et faisant état d’emplois fictifs. « J’en connais de nom au moins un, sourit Jean-Pierre Zanlucca, il travaille avec moi mais je ne l’ai jamais vu… » En septembre, la mairie a diligenté une enquête auprès de l’inspection générale des services, pas de retour à ce jour. Mais plus embêtant encore pour la municipalité, la perquisition dirigée fin janvier au siège de la direction générale des ressources humaines de la ville, par le Parquet national financier. Ce dernier s’était saisi sans publicité à l’automne dernier d’une enquête sur le temps de travail des employés municipaux du SAMU social ouverte par le parquet de Marseille pour « détournement, faux et usage de faux ». L'organisation du planning présumée illicite permettait aux employés de ne travailler qu'une semaine sur deux, soit 10 à 12 jours par mois. Suite à ces révélations relayées par le Canard enchaîné et le site d’information Marsactu fin janvier, l’administration municipale a déposé une plainte contre X et s’est constituée partie civile dans ce dossier. Mais pour les agents du SAMU, difficile d’imaginer que les plus hautes instances aient pu ignorer les faits. Quel rapport entre le SAMU et les musées ? A priori aucun, sauf que les enquêteurs semblent désormais s’intéresser à d’autres services, dont celui des musées qui ne brille pas par l’exemplarité de la gestion de ses ressources humaines.

 

Des vols sans effraction.  En effet, la gestion RH des musées est également montrée du doigt, et pas seulement pour des emplois fictifs présumés. Un fort taux d’absentéisme conduit régulièrement à ne pas ouvrir un musée parce que les agents de surveillance se retrouvent trop peu nombreux. « Nous sommes un service de  "reclassement", ce n’est pas forcément une mauvaise chose et il ne s’agit pas d’un absentéisme de confort ou de complaisance. Si les gens ne viennent pas, c’est parce qu’ils sont atteints de pathologies, en attente de soins ou d’une intervention. Mais à l’arrivée c’est le service public qui en pâtit. Nous sommes un peu la dernière roue de la charrette » observe encore le syndicaliste. La solution, recruter des vacataires ? Encore le mur de l'argent.

Pour compléter le tableau, il faut aussi mentionner les disparitions d’œuvres d'art. Marseille a défrayé la chronique en ce mois de février 2018 où les douaniers français ont retrouvé par hasard dans un bus quittant le pays le fameux pastel de Degas intitulé "Les Choristes". Prêté par le musée d'Orsay, il avait été volé en 2009 au musée Cantini sans qu'aucune trace d'effraction n'ait été constatée. La même semaine où était produit ce vol, un système de double billetterie mis en place par des agents du musée avait été découvert. Les protagonistes ont été jugés et condamnés depuis, dont certains à de la prison ferme. Ce n'est pas la seule disparition mystérieuse. La dernière en date concerne une stèle égyptienne envolée en septembre de la Vieille Charité. Le département d’égyptologie, loin d’égaler celui du Louvre, présente quand même la deuxième plus importante collection de France. Petit problème, les six salles d’exposition des anciens hospices ne sont pas pourvues de vidéo surveillance.

 

Le black-out de la municipalité. Va-t-on aujourd’hui vers une reprise en main d’un service laissé à la dérive ? Le rapport de l’IGS sera-t-il suivi d’effets ? Une délégation de service public à un opérateur peut-elle être envisagée comme le redoutent certains ? Ces questions restent sans réponse. Toute demande d’information auprès de la direction des musées est soumise à une autorisation du même service que celui qui ne donne pas suite aux demandes d’entretien avec l’adjointe en charge des musées. Pas de chiffre sur les budgets consacrés aux musées municipaux, pas de chiffre sur la fréquentation annuelle à se mettre sous la dent. Les observateurs notent bien que les premiers dimanches de chaque mois, durant les journées du patrimoine ou lors de la nuit des musées, alors que les accès sont gratuits, les musées font salle comble. Mais le Pass annuel à 45 € (35 € pour les plus de 65 ans et enseignants porteurs du pas éducation) ou les tarifs sociaux consentis à certains publics (demandeurs d’emploi, personnes âgées, étudiants…) ne semblent pas attirer les foules. Les actions de médiations en direction du jeune public et des scolaires, quant à elles, sont concentrées essentiellement sous le Préau des Accoules, un bâtiment construit au Panier par les jésuites au début du XVIIIe siècle. Toutes les villes ne font pas preuve d’un tel manque d’ambition.

 

Une nouvelle ambition pour Marseille ? A Bordeaux par exemple, la ville a voté un document d’engagement pour la politique culturelle en 2015. Les musées accueillaient 1,5 million de visiteurs (54% de plus que dix ans auparavant dont un tiers de moins de 18 ans). En 2017, la ville a fait un point sur cet engagement qui consacre une volonté politique nette d'attractivité des musées pour les Bordelais et les touristes. Pass musée, nouveaux horaires plus ouverts, plan d’action avec les scolaires, atelier de création artistique, Week-end de l’art contemporain (WAC) et, avec les associations d’immigration, création du festival Bons baisers de…, s'ajoutent aux rénovations et au lancement de la Cité du vin.

Marseille est beaucoup plus peuplée et bien plus diverse que Bordeaux, mais empêtré dans un système pour le moins opaque, le service municipal des musées reste à la dérive. Ce mois de février, un nouveau directeur a été nommé, et non des moindres. A 35 ans Xavier Rey qui a dirigé les collections du musée d’Orsay et à ce titre, monté entre autres les expositions Dada, Degas, un peintre impressionniste ?, Henri Fantin-Latour  ou Les autoportraits du musée d’Orsay, est venu posé ses valises sur le Vieux-Port. Il remplace l’ancienne directrice des musées municipaux, Christine Poullain, partie à la retraite. Remettre Marseille au rang des grandes capitales européennes pour son offre muséale ne sera pas chose facile. Peut-être que malgré les réticences de la ville à communiquer sur ces musées, sa parole aura bientôt droit de cité pour fixer un cap à des musées municipaux voguant sur un bateau ivre.

 

*Le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée est un musée national.

** Les musées municipaux de Marseille : Musée d'Art Contemportain (MAC), Musée Cantini, Musée des Beaux Arts, Museum d'histoire naturelle, Musée Borely des arts décoratifs, la Vieille Charité, Musée d'histoire de Marseille, Musée des docks romains.

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