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Bulgarie : un film pour enfants menacé de boycott

par Stoyana Gougovska
"Lilly the Little Fish", film pour enfants de Yassen Grigorov crée la polémique en Bulgarie. DR
Cinéma Film Publié le 14/02/2018
La Bulgarie n'est pas épargnée par les polémiques sur le genre qui agitent l'Europe. A l'heure où le pays s'interroge sur la ratification de Convention d'Istanbul, les milieux traditionalistes tentent de boycotter un film pour enfants, "Lilly the Litte Fish" de Yassen Grigorov, où la fille devient garçon et vice-versa lorsqu'on la regarde dans les yeux.

Le cinéma bulgare n’avait pas produit de film pour enfants depuis 27 ans. La sortie de  Lilly the Little Fish, le 9 février dernier, n’aura pas été pour autant un conte de fées. Manifestation des traditionalistes, buzz sur les réseaux sociaux, appels à boycott auront suivi la première. Pourquoi tant de haine, qui a surpris son réalisateur Yassen Grigorov. Le sujet du film bien sûr, ou plutôt ce que certains ont voulu y voir. Un enfant extraordinaire, à la fois fille et garçon, Danny et Alex, qui se transforme en l’un ou l’autre genre quand quelqu’un le regarde droit dans les yeux. Il n’en a pas fallu davantage pour que les défenseurs de la tradition y voiеnt une métaphore de l’appartenance sexuelle et accusent le film de propagande pour les communautés transgenres. Cela, au moment même où le débat social et politique sur le statut et les droits de représentants des communautés LGBT enflamme la Bulgarie.

Dès la première projection, le média web bulgare Glasove publie un article, que le quotidien Trud reprend ensuite en citant un commentaire venant des réseaux sociaux : « Parents, réfléchissez bien avant d’emmener vos enfants voir Lilly the Little Fish ». Le texte est écrit pour contrer un film qui « finance une propagande » et  appelle directement à « négliger les traditions, la vision de nos ancêtres et de la science et de mettre à la place des lunettes magiques pour accepter l’existence de Alex-Danny ». Les publications accusent également le film de se servir de fonds publics pour promouvoir les valeurs des communautés LGBT, car le projet avait emporté un financement partiel du Centre National de Cinéma Bulgare, dans le cadre d’un concours de subventions de productions low-budget.

 

« Le résultat de mon parcours artistique ». Le réalisateur et dessinateur Yassen Grigorov s’est vu contraint de répondre aux accusations qui se multiplient. Dans une lettre ouverte le 11 février, il riposte : « Ma seule réponse est que le film Lilly the Little Fish est le résultat de mon parcours artistique, de la liberté de mon imagination et qu’il n’a été fait sous aucun dictat, ni dans le but de faire passer des insinuations sociales ou politiques ». Et de poursuivre : « C’est un conte, qui invite les spectateurs à croire en la magie, à ne pas avoir peur de ceux qui sont différents, à élargir les horizons. Le film n’a pas pour but de s’inscrire dans le débat sur la sexualité, la transsexualité et la problématique sur le genre, si actuels aujourd’hui. » La polémique sur le thème du genre est née d’un conflit politique sur la ratification par la Bulgarie de la Convention d’Istanbul, convention du Conseil de l’Europe portant sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Rédigée lors des rencontres d’Istanbul en 2011, elle a été signée et ratifiée par de nombreux états européens, dont l’Allemagne, la Suisse, les Pays Bas, l’Espagne… Le traité est rentré en vigueur en France en 2014.

 

Une convention européenne qui pose problème. En Bulgarie, pays qui assume cette année la présidence de l’Union Européenne, le gouvernement en place a lancé le processus de ratification de la Convention d'Istanbul. Non sans rencontrer des oppositions violentes en raison d’un article définissant le terme « genre » pour désigner « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes », et qui engage les états européens qui adhèrent au traité à prendre toutes les mesures légales pour condamner la violence fondée sur le genre.

Le débat politique s’est vite propagé dans l’espace public, où certains voient dans l’officialisation du terme « genre » un danger pour la société, entraînant la perte de valeurs traditionnelles liées aux rôles attribués aux personnes de sexe masculin et féminin. Une grande partie de la société s'oppose à une reconnaissance officielle en Bulgarie des droit personnes LGBT et à la prise en compte de la notion du genre au niveau législatif ou dans le système éducatif.

 

Déjà deuxième au box-office. Ce sont certains des opposants à la ratification de la Convention d’Istanbul qui ont vu dans Lilly the Little Fish des métaphores liés à l’appartenance sexuelle et accusent le film de véhiculer des messages de propagande, de défendre les communautés transgenres, de dénigrer les valeurs de la famille traditionnelle…

Dans ce contexte de tension sociale et politique, Lilly the Little Fish fait les frais de la querelle. Yassen Grigorov insiste sur le contenu personnel et artistique. Il écrit son conte magique depuis huit ans, donc bien avant que la polémique sur le genre ait commencé. Son inspiration, ce sont ses propres enfants, âgés à l’époque de 1 et 4 ans. Avant sa sortie dans les salles, le film a été montré à Toronto le 7 septembre 2017 et a participé à deux festivals bulgares, Golden Rose et Kinomania, où il a emporté plusieurs récompenses, dont un diplôme pour les efforts de l’équipe dans le domaine difficile de la production de films pour enfants et le prix IMBD Best Europe Film. Malgré la polémique, le film est arrivé deuxième au box-office en Bulgarie ce week-end.

 

Né en 1974 à Sevliévo en Bulgarie, Yassen Grigorov est diplômé de l'Académie nationale des Beaux-Arts de Sofia (section illustration et arts graphiques) et de l'Ecole supérieure d'Arts appliqués de Genève (en communication visuelle) illustre depuis des livres pour enfants, publiés aux éditions La Joie de Lire. En 1999, il a reçu la Bourse d’aide à l’illustration du Département des affaires culturelles de la ville de Genève et en 2002, une mention d’honneur à la Foire de Bologne pour le livre Histoires naturelles, de Jules Renard. Il vit actuellement à Sofia. En 2017, il réalise Lilli the Little Fish, son premier long-métrage destiné aux enfants. Sorti en Bulgarie le 9 février 2018.

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