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Galin Stoev : « Quel est le sens de mon appartenance ? »

par Véronique Giraud
Galin Stoev, nouveau directeur du Théâtre national de Toulouse © Tsvetelina Belutova
Galin Stoev, nouveau directeur du Théâtre national de Toulouse © Tsvetelina Belutova
Arts vivants Théâtre Publié le 22/02/2018
Galin Stoev est depuis janvier 2018 le directeur du théâtre national de Toulouse. Après une multitude d'expériences de la mise en scène dans plusieurs théâtre d'Europe, il a ressenti la nécessité de s'arrêter dans un lieu pour y rendre compte de ce que représente le théâtre dans la société. Dans cet entretien, il revient sur ce contexte.

En Bulgarie, contrairement à la France, la pratique théâtrale est très populaire. Comment l’expliquez-vous ?

Par le fait, par exemple, qu’il n’y a pas de formules d’abonnement. Les gens viennent directement au théâtre. Ce n’est pas un endroit où il faut se préparer à l’avance. Souvent les comédiens, on les a vus à la télévision ou au cinéma. Il n’y a pas cette séparation entre théâtre et cinéma ou télévision comme en France. Cela amène beaucoup de monde parce que les gens viennent au théâtre pour y voir un comédien qu’ils ont vu à la télé. Et ce comédien essaie au théâtre de faire quelque chose de plus intéressant que ce qu’il fait pour gagner sa vie à la télé.

 

Comment en êtes-vous arrivé à travailler à la Comédie-Française ?

Pendant les répétitions d’une pièce à Liège, j’ai reçu l’appel du directeur de la Maison Antoine Vitez me demandant si cela m’intéressait de présenter un spectacle à la Comédie-Française. Suite à la défection d’un spectacle, la salle du Vieux Colombier était vacante et Murielle Mayette, qui venait de prendre la direction, avait choisi trois comédiens dans la troupe et cherchait un metteur en scène. Encouragé par les comédiens de Liège, et alors que je ne parlais pas français, je leur ai demandé de lire le texte choisi. Je n’y comprenais rien mais, après l’avoir écouté, j’ai demandé à rencontrer les comédiens et Muriel Mayette. Je leur ai dit : « comment osez-vous m’inviter ? Vous ne me connaissez pas, je suis peut-être un voleur de voitures ou autre chose. La réponse de Muriel Mayette m’a convaincu d’accepter : « Je suis désolée de vous proposer un travail dans ce cadre-là, avec un texte choisi et la distribution faite.  J’ai en tête dix metteurs en scène que je peux appeler et je sais très bien ce que ça va donner. Avec vous, je ne le sais pas du tout. Ça peut être une catastrophe ou ça peut donner quelque chose de très intéressant ». Le spectacle a eu un beau succès et au lendemain de la première, elle m’a proposé de faire un classique français dans la Salle Richelieu en disant : « Ici nous sommes tellement orientés vers nous-mêmes que nous avons besoin d’un regard extérieur qui peut nous raconter autrement ».

 

Cela témoigne aussi de l’éloignement que nous avons avec la Bulgarie, qui fait pourtant partie de l’Europe…

Oui, justement. On ne sait pas où sont ces Bulgares, ce qu’ils font, et en même temps Ah ils peuvent raconter quelque chose de nous assez intéressant. J’ai monté L’illusion Comique, puis Le jeu de l’amour et du hasard. Pour moi, Marivaux fut une révélation. J’avais lu ce dernier en russe, en bulgare, mais je ne comprenais pas l’intérêt, précisément parce que c’est l’auteur français par excellence. Il parvient à une telle sophistication dans la langue qu’il est impossible de le traduire.

 

Qu’avez-vous découvert chez Marivaux ?

En lisant le texte avec les comédiens du Français, alors que j’osais de plus en plus parler en français, je les arrêtais à chaque phrase en leur demandant ce qu’elle voulait dire. Les comédiens répondaient que c’étaient de jolies phrases mais je leur disais ce que mon prof de théâtre m’a appris : « si tu n’as pas un problème mortel à résoudre, tu n’as pas le droit d’être sur une scène, parce que moi je paye justement pour voir comment toi tu vas résoudre ça ». Je devais savoir ce que chaque phrase voulait dire. À la fin, ils sont rentrés dans le texte, découvrant que dans chaque phrase est cachée une mécanique de jeu, non pas juste une pensée paradoxale. Marivaux arrive à faire dans une seule phrase deux sens totalement opposés. Or au théâtre tu ne peux pas jouer deux choses à la fois, tu peux jouer une chose puis son contraire mais pas au même moment. La temporalité du théâtre est différente de celle du langage et son double sens. Cette mécanique pousse à faire des choix en tant que metteur en scène et comédien. Et, selon les choix l’histoire, change. Les personnages de Marivaux sont tous fous, mais ils font semblant que tout va bien. En fait il y a une grande violence intime des personnages, une logique de violence que tu ne peux pas arrêter, qui va finir mal. C’est devenu un de mes auteurs préférés. Et j’ai eu de la chance de le découvrir avec les comédiens du Français.

 

Parce que vous avez eu la curiosité de le comprendre…

Par rapport au contexte français, je voudrais ajouter que je ne parlais pas la langue, je n’ai pas fait grand-chose pour mériter d’être là où je suis aujourd’hui. Je ne me suis jamais projeté. Si j’avais choisi quand j’avais vingt ans, je serais peut-être resté à Londres, ou en Allemagne. Je connaissais la langue anglaise. Pour moi, la culture française était quelque chose d’enfermé, à laquelle on ne peut pas avoir accès si on n’a pas la langue. En anglais, pour demander un café, on peut le faire très vite, ensuite ça devient plus difficile pour expliquer quelque chose de plus complexe. En français, ne fusse que pour demander un café, ça demande beaucoup plus d’effort.

 

Et pour le théâtre ?

Un Allemand me disait récemment : si tu veux faire du théâtre en Allemagne, c’est très clair : tu dois partir d’un point A, arriver à un point B, puis à un point C, etc. C’est logique et compréhensible. En France, ça peut se passer en un éclair, du point A tu peux arriver du jour au lendemain au point D. Il y a quelque chose d’imprévisible et on ne sait pas comment ça marche. C’est l’esprit français, c’est le caprice, la chance, l’alchimie… Ça raconte un peu les deux cultures. J’ai l’impression que je n’ai pas fait grand-chose pour avoir tout ça, ce n’est pas intentionnel. Je fais juste ce que je fais le mieux, et ce que j’aime faire. Le contexte français a été très favorable à ce que je voulais proposer, offrir. Très à l’écoute. Je me suis fait adopter par ce contexte avec bienveillance et facilité.

 

Comment êtes-vous passé de la Comédie Française à Toulouse ?

Ça m’a pris du temps de m’imaginer occuper un poste de pouvoir. C’est aussi lié à mon histoire personnelle, avoir grandi en Bulgarie et considérer que tout ce qui était lié au pouvoir était a priori vain. Cela m’arrangeait de passer d’un contexte à un autre, de m’enfermer dans mon espace de création puis de partir. Cela m’a permis de rester un étranger, d’avoir toujours une porte de sortie. On peut vivre pendant longtemps comme ça puis un jour se joue une crise d’identité. On se dit : quel est le sens de mon appartenance ? Elle n’est pas géographique, mon identité vient de mon travail. Et il est presque impossible de s’y enraciner. À un moment, je me suis dit que ce serait bien si j’arrivais à manifester dans la matière tout ce que j’ai accumulé. Et de manière beaucoup plus pérenne, stable. Ça me touche de sentir à quel point je suis prêt à accepter d’être présent dans cette réalité, dans le fait d’être ici.

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