espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Analyse > « All too human » à la Tate, quand la figure traverse l’humain

« All too human » à la Tate, quand la figure traverse l’humain

par Véronique Giraud
Jenny Saville, 'Reverse'. © Jenny Saville. Courtesy of the artist and Gagosian.
Jenny Saville, 'Reverse'. © Jenny Saville. Courtesy of the artist and Gagosian.
Lucian Freud, Girl in a Striped Nightshirt 1983-5 © The Lucian Freud Archive, Photograph © Tate Photography
Lucian Freud, Girl in a Striped Nightshirt 1983-5 © The Lucian Freud Archive, Photograph © Tate Photography
Francis Bacon, Triptych, 1974-1977
© The Estate of Francis Bacon. All rights reserved. DACS, London Photo: Prudence Cuming Associates Ltd.
Francis Bacon, Triptych, 1974-1977 © The Estate of Francis Bacon. All rights reserved. DACS, London Photo: Prudence Cuming Associates Ltd.
Cecilia Paul Family group (1984_6). DR
Cecilia Paul Family group (1984_6). DR
Walter Richard Sickert, Nuit d'été, 1906. Private Collection. Photo credit: Tate.
Walter Richard Sickert, Nuit d'été, 1906. Private Collection. Photo credit: Tate.
Cecily Brown (born 1969), Boy with a Cat, 2015. Oil, pastel on linen, 1092 x 1651 mm. Collection of Danny and Lisa Goldberg © Cecily Brown. Photo: Richard Ivey.
Cecily Brown (born 1969), Boy with a Cat, 2015. Oil, pastel on linen, 1092 x 1651 mm. Collection of Danny and Lisa Goldberg © Cecily Brown. Photo: Richard Ivey.
Lynette Yiadom-Boakye, Coterie Of Questions, 2015 ©Tate
Lynette Yiadom-Boakye, Coterie Of Questions, 2015 ©Tate
Arts visuels Arts plastiques Publié le 07/03/2018
La nouvelle exposition de la Tate Britain aurait pu n’être qu’une présentation de talentueux artistes britanniques valorisant un pan de l’histoire de l’art moderne jusqu’à aujourd’hui. Mais ce que propose Elena Crippa, la commissaire de "All too human" (Tous trop humains), va bien plus loin, invitant par sa sélection d'artistes à percevoir en la figure l’objet idéal pour traduire, par-delà les conventions, la complexité changeante de l’humain.

Avec la glorification des inventions de Cézanne, Picasso, Degas, celles des impressionnistes, ou encore de l’abstraction formelle d’un Pollock ou d’un Rothko, l’art moderne relègue souvent au second plan la représentation de la figure humaine. Mais à la Tate de Londres, l’exposition All too human nous convainc qu’au contraire une autre esthétique du XXe siècle, tout aussi novatrice, met l’humain au centre de ses recherches. La vingtaine d’artistes britanniques sélectionnés par la commissaire Elena Crippa ont en commun d’être parvenus à rendre visibles, à travers la seule figure humaine, des expériences personnelles et sociales douloureuses dans les contextes sociaux et historiques très différents puisqu’ils s’étendent du début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Réunis autour des emblématiques Francis Bacon et Lucian Freud, ces créateurs allient une représentation sensible d’êtres avec lesquels ils entretiennent des liens d’amitié ou d’amour au plaisir sensuel de l’organiser de leur palette et leurs pinceaux.

 

Vaincre l'apparence. Ce que révèle avec force l’exposition c’est une humanité qui ne se limite pas à son apparence, que les artifices contribuent facilement à apaiser, embellir ou au contraire à rendre inquiétante. Elle est avant tout intérieure et changeante. Qu’un être peut offrir l’apparence d’un homme et être femme, comme l’exprime sans caricature Paula Rego. Tous les artistes sélectionnés ont œuvré en ce sens. Empruntant les voies ouvertes par Otto Dix, Chaïm Soutine, Alberto Giacometti, également présents dans l'exposition. Concevoir l’image d’une intimité mouvante semble paradoxale tant notre appréhension de la peinture est souvent figée par les stéréotypes repris par les grands maîtres de la peinture moderne. Francis Bacon est précisément passé maître dans l'expression du portrait en mouvement d'êtres solitaires. Suscitant son imaginaire par une profusion de photographies et d'images de magazines dont il a besoin de s'entourer, l'artiste parvient à ne pas figer l'expression d'un visage. Ses déformations font l'effet d'une narration muette qui, au-delà d'indices guidant ou non vers l'identité de l'être représenté, exprime une universalité douloureuse rarement atteinte et qui nous parle aujourd'hui plus qu'hier.

 

 

L'autre modernité féminine. Composée dans les musées de modèles et prostituées offertes contre argent, la représentation de la femme moderne accompagne les fantaisies urbaines de la consommation du luxe, du sexe, du divertissement. Mais pour Lucian Freud ou Stanley Spencer et avant eux Walter Richard Stickert, le lien qui engage leur peinture de la femme est profond, douloureux, mystérieux. Walter Richard Stickert, loin de la modernité impressionniste, offre une Nuit d’été (1906) plombée par la froideur blafarde et cruelle du voyeurisme. Stanley Spencer peint son épouse, modèle et muse, dans sa conformité et en préservant la force tranquille de son regard où perce la bienveillance. De sa magnifique touche, Lucian Freud dépeint femmes et hommes nus alanguis, endormis, sans complaisance ni traitement sexué. Ces portraits très humains, émergeant de tout autre prétexte esthétique, trouvent ici leur force vitale, l’évidence d’une vérité qui fait se rejoindre les écrits de Nietszche et les théories du genre de Judith Butler. Les tréfonds de l’humanité, dans leur magnifique complexité, jaillissent d’un créateur à un autre comme un appel vibrant à la sincérité. Un appel vibrant à ne pas se laisser noyer dans la tromperie sucrée des apparences convenues.

Les plus jeunes artistes de l'exposition poursuivent le dialogue avec leurs prédécesseurs. Celia Paul (1959-), Cecily Brown (1969-), Jenny Saville (1970-) et Lynette Yiadom-Boakye (1977-) ont des approches esthétiques très distinctes mais elles explorent, à travers les couleurs et les inventions formelles que permet la peinture, des manières inédites d'aborder la figure humaine comme moyen de dépasser les stéréotypes de la féminité.

 

All too human, Bacon, Freud and a century of painting life, du 28 février au 27 août 2018 à la Tate Britain de Londres.

Partager sur
Fermer