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Votation en Suisse : la planète audiovisuelle ébranlée

par Pierre Magnetto
Le service public audiovisuel suisse couvre treize chaînes en quatre langues différentes. DR
Le service public audiovisuel suisse couvre treize chaînes en quatre langues différentes. DR
Hors-Champs Politique Publié le 06/03/2018
Le dimanche 4 mars les Suisses se sont prononcés en faveur du maintien de la redevance télé finançant le système audiovisuel public du pays. Si ce qui s’est passé en Suisse a eu un écho international, c’est aussi parce que les nouvelles technologies et habitudes de consommation appellent à réinventer un modèle économique aujourd’hui bousculé. La France prépare une réforme.

« Non », ils ont dit non à ceux qui proposaient de supprimer la redevance audiovisuelle en Suisse. Le résultat de cette votation organisée le 4 mars après qu’un texte ayant recueilli plus de 100 000 signatures ait été soumis à référendum, conformément à la loi de la Confédération Helvétique, est sans équivoque. Avec 76,1% des voix en faveur du maintien de la redevance, les adeptes du « No Billag », du nom de l’organisme collecteur, ont dû ravaler leurs prétentions. Le résultat de ce scrutin est intéressant à plus d’un titre, et ce n’est pas un hasard si les médias en Europe ont suivi l’affaire de près.

 

La survie du service audiovisuel public en question. Sur le plan local, l’enjeu était tout simplement celui de la survie du système audiovisuel public géré par la Société nationale suisse de radio-télévision, plus communément désignée sous l’acronyme de SSR. Le paysage audiovisuel public a ceci de particulier que malgré une démographie relativement modeste (8 millions d’habitants), il doit composer avec quatre langues, l’Allemand, le Français, l’Italien et le Romanche et, avec un pays morcelé en 26 cantons aux réalités territoriales et culturelles d’une grande diversité. Pour faire face à cette « exception » helvétique, SSR déploie un service public audiovisuel comprenant vingt-et-une radio et 13 télévisions régionales, ainsi qu’une plateforme internet diffusant en dix langues dans le monde, le tout représentant 6 000 emplois directs. Alors que la redevance lui procure 75% de ses recettes, une victoire du « No Billag » aurait purement et simplement signé l’arrêt de mort de l’entreprise publique.

 

Un scrutin longtemps indécis. A l’issue du scrutin, Guy Marchand, le directeur de la SSR, a poussé un ouf de soulagement, saluant devant la presse internationale « un résultat qui ne laisse aucun doute », « une forme de légitimation qui est donnée aux médias de services publics ». Car pour les tenants du « Non » au « No Billag », il aurait été complètement inconcevable d’espérer qu’un média privé puisse proposer une offre audiovisuelle dans les quatre langues, avec autant de chaînes régionales, alors que la redevance représente 1,2 milliard de francs (1,02 milliard d'euros) de recette, pour seulement seulement 300 millions de francs (257 millions d’euros) issus de la publicité. De nombreux artistes, acteurs culturels, mais aussi représentants d’associations de tous types (folkloriques, sports peu médiatisés et même églises minoritaires) s’étaient jetés dans la bataille pour réclamer le maintien de la redevance, faisant basculer la balance du coté du « Non » alors que le « Oui » avait très vite fait figure de favori.

 

Des partisans conservateurs, libéraux et jeunes. Mais cette votation mérite aussi que l’on s’arrête sur ceux qui l’ont déclenchée. La pétition est à mettre à l’actif d’un groupement de jeunes issus à la fois de l’Union démocratique et du centre (UDC), parti conservateur et nationaliste et, du Parti libéral radical composé de libéraux. Une population marquée à droite et relativement jeune. Que des conservateurs réclament la fin de ce qui s’apparente à un impôt n’a rien de très étonnant, cela fait partie de leur corpus idéologique. Ils estimaient que « l’abolition de la redevance permettrait de redistribuer du pouvoir d’achat ». En revanche, la jeunesse des pétitionnaires vient rappeler à la planète de l’audiovisuel qu’en quelques années la donne a beaucoup changé. Les chaînes cryptées ont depuis longtemps démontré que certains publics faisaient preuve de solvabilité en matière d’abonnement télévisuel. Par ailleurs, les habitudes de consommation ont évolué, avec notamment la montée en puissance de la vidéo à la demande ou du replay. Enfin, d’autres opérateurs que les chaînes elles-mêmes jouent désormais un rôle central dans la diffusion, les fournisseurs d’accès à l’internet ou les propriétaires de réseaux satellitaires. Le conflit qui oppose aujourd’hui TF1 à Canal+ et Canal Sat, ainsi qu’à Free et Orange pour la perception d’une rémunération des chaînes gratuites du groupe sur les bouquets de ces opérateurs en est la démonstration.

 

Un modèle économique à réinventer. Le résultat de la votation helvétique ne clôt pas le débat sur l’avenir des systèmes audiovisuels en Suisse comme dans les autres pays où la part de la diffusion par satellite, TNT ou câble a pris une part prépondérante, sans compter l’utilisation de nouveaux terminaux que sont devenus ordinateurs, tablettes ou téléphones portables. A l’évidence, le secteur qui a été l’un des premiers à vivre sa transition numérique est confronté à un modèle économique qui, devenu pour partie obsolète, devra se réinventer. La redevance reste en vigueur en Suisse comme dans ses pays voisins, avec des montants variables qui ne couvrent pas toujours les mêmes services (386 euros en Suisse, 138 euros en France, 215 euros en Allemagne, 326 euros au Danemark, 179 euros en Grande Bretagne, 31 euros au Portugal…).

 

Une réforme de l’audiovisuel français en 2018. En France, le président de la République a annoncé qu’il prendrait une initiative. Le système audiovisuel français recouvre les 6 chaines de France télévision, les 5 stations de Radio France, Arte, l’INA et les chaînes de France médias monde. En décembre, sur France 2, Emmanuel Macron a critiqué un secteur « structuré sur le monde d’avant » et, s’est interrogé sur la façon de toucher les jeunes. Il s’est même demandé, « qu’est ce qui justifie que le contribuable mette de l’argent dans France Télévision et pas dans TF1 ? », avant d’ajouter, « comment mieux mutualiser les choses entre radio, télévision et numérique ? » dans un contexte où pour 2018, le budget de l’audiovisuel public sera amputé de 36,8 millions d’euros. Une des pistes envisagées, créer une BBC à la française qui réunirait sous une seule entité l’ensemble des médias composant l’audiovisuel public français, ne fait pas l’unanimité. Une mission a été mise en place par la ministre de la culture Françoise Nyssen, qui devrait rendre ses conclusions très prochainement pour une réforme que le président de la République devrait annoncer avant la fin de l’année.

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