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Marseille, la Villa Méditerranée en déséquilibre originel (4/4)

par Véronique Giraud
La Villa Méditerranée construite par le milanais Stefano Boeri. © Mucchielli/Naja
La Villa Méditerranée construite par le milanais Stefano Boeri. © Mucchielli/Naja
Hors-Champs Institution Publié le 06/03/2018
Avec son port, sa corniche, ses calanques, Marseille offre une ampleur inégalée le long de la Méditerranée. Cette ouverture naturelle aurait pu être complétée par la Villa Méditerranée pour multiplier les rendez-vous entre les pays de la Méditerranée et les faire converger vers la cité phocéenne. Mais elle est devenue une très mauvaise série marseillaise.

Seconde métropole de France, pouvant se prévaloir de 2600 ans d’existence, Marseille a vu débarquer sur ses quais tous les peuples de la Méditerranée, mais aussi d’Asie, d’Afrique. Des voyageurs venus commercer, échanger et souvent s’installer. C’est dire si la ville a une richesse culturelle singulière en France. Cette richesse, qui ne se résume pas au patrimoine, n’est pas seulement du ressort de la municipalité. Plusieurs infrastructures culturelles dépendent en effet des instances régionales ou nationales. Souvent d’ailleurs les financements sont multiples, comme pour le théâtre national de La Criée, ou encore le MUCEM, musée national inauguré en juin 2013 et le plus visité de la ville (1,4 millions visiteurs en 2016 dont 31% étaient marseillais, 1,25 millions en 2017). Sur les quinze musées que compte la ville, deux ont été créés pour Marseille Provence 2013, un national le Mucem et un privé le musée Regards de Provence.

 

Voulue par la région. Bien qu’inauguré le 7 avril 2013 pour l’événement Capitale européenne de la culture, le bâtiment de la Villa Méditerranée n’est pas un musée. Et peu de Marseillais pourront vous dire ce qu’elle est. L’établissement a été financé par la Région Provence Alpes Côte d’Azur dont le président de l’époque, le socialiste Michel Vauzelle, avait décidé de réaliser à Marseille un établissement culturel phare proche de deux nationaux : le MUCEM et le FRAC. Œuvre architecturale signée Stefano Boeri, avec son porte-à-faux spectaculaire et trois de ses six niveaux sous la mer, elle aura coûté 82 M€ à la Région (20 M€ de plus que le budget initial). Son fonctionnement, également à la charge de l'institution, affiche un déficit annuel de plus de 4 M€. Sa vocation initiale était de devenir un « centre international de dialogue et d’échanges méditerranéens », mais il a échoué à s’imposer comme lieu référent de rencontres entre les grands acteurs de la Méditerranée. De 2013 à 2015, il proposa rencontres, débats, parcours d’expositions jugés fort coûteux, puis vécut dans un silence assourdissant, tandis que le Mucem accumulait les visiteurs. Lorsque Christian Estrosi remporta la présidence de la Région, son avenir devait être révisé. Alors que le maire de la ville Jean-Claude Gaudin s’enhardissait à proposer d’en faire un casino, Christian Estrosi attendait le résultat d’une proposition audacieuse. Michel Vauzelle avait une ambition internationale pour le bâtiment dont il rêvait de faire un haut lieu du bassin méditerranéen. Il s’est adressé au Parlement européen, qui rassemble à Malte les parlementaires de 25 pays, pour proposer d’y transférer son siège.

La réponse fut cruelle. Si au XIXe siècle, Marseille était incontournable avec son port immense dont l’activité l’enrichissait à vue d’œil, le temps de ce prestige est bien révolu. L’économie marseillaise n’a fait que décroître depuis lors, son port en premier lieu. Difficile de se relever sans leader, sans projet d’ensemble. L’ancien président socialiste de la Région n’a pas obtenu les voix nécessaires lors de l’assemblée générale de l’institution. Le siège du Parlement de la Méditerranée restera à Malte. Et la Villa de la Méditerranée abritera une réplique de la grotte Cosquer.

L’implantation du Parlement de la Méditerranée à Marseille aurait pourtant été un signal fort pour Marseille et pour la Région qui « a notamment pour ambition de jouer pleinement le rôle qui lui revient dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, favoriser un développement susceptible de rééquilibrer l’Europe vers le Sud et appuyer la résolution des crises qui affectent la zone » comme il est inscrit sur son site.

 

La Chambre régionale des comptes rend un avis sévère. La réplique de la grotte Cosquer devrait donc occuper la Villa. Ainsi en a décidé l’institution qui doit aujourd’hui faire face aux conséquences d’une gestion que la Chambre régionale des Comptes de PACA a épinglée dans un rapport rendu public en octobre 2017. Ce dernier porte sur les conditions dans lesquelles l’équipement a été conçu et réalisé entre 2003 et 2012 et sur les premières années de son exploitation. « La vocation de cet ouvrage a souffert d’une indétermination qui n’a jamais été levée jusqu’à la dissolution, en décembre 2014, de la régie créée pour en assurer la gestion » lit-on en préambule. Plus loin, les rapporteurs soulignent un dysfonctionnement dans la passation du contrat remis à la société d’économie mixte AREA sans mise en concurrence préalable, et avec une rémunération correspondant au paiement de prestations non réalisées… De même l’irrégularité de l’attribution de maîtrise d’œuvre à l’équipe Stefano Boeri, les nombreux avenants ayant engendré un surcoût de 11 M€ HT par rapport au montant initial des marchés. L’analyse financière de la gestion en régie fait également l’objet de très nombreuses critiques.

Selon la Chambre régionale des Comptes, l’exploitation a pâti de « la proximité immédiate du Mucem et de la Fondation Regards en Provence ». Le maigre revenu d’exploitation du « Café des Méditerranées », par la régie puis par la Région, est mis en regard des 837 920 € engagés par la Région pour l’aménagement de ses espaces restauration. La régie Villa Méditerranée a été dissoute en 2014, la gestion du bâtiment a ensuite été confiée en janvier 2015 au GIP (Groupement d’intérêt public) Avitem, structure pour laquelle le bâtiment a été mis à disposition gratuitement et qui a bénéficié de contributions de la Région à hauteur de 4,7 M€ en 2015 et 4,57 M€ en 2016. La société Avitem avait l’objectif de réduire le coût de fonctionnement de l’équipement en optimisant les privatisations et locations de salles pouvant générer des recettes. La situation est bien loin des résultats attendus.

 

Dans l'attente du projet Cosquer. Fermée depuis décembre 2017, la Villa Méditerranée s’apprête à abriter la reproduction intégrale de la grotte découverte en 1985 par le plongeur Henri Cosquer. Cette grotte, située à 30 mètres au-dessous du niveau de la mer à proximité de la calanque de Morgiou, n’est pas visible du public. Un fac-similé, réalisé à une échelle de 90% dans la partie souterraine et immergée de l’édifice, reproduira les parois sur lesquelles les hommes du paléolithique ont peint et gravé. Le Président de Région Christian Estrosi, qui avait mandaté le cabinet marseillais Tertio pour définir le devenir de la Villa, a estimé l’ensemble des travaux de réhabilitation à 20 millions d’euros. L’appel à projets a été lancé fin mars 2017 et l’ouverture est annoncée en 2019. La société ­Fugro Geoid a été chargée par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’un nouveau relevé d’une précision inédite. Il devrait permettre à la communauté scientifique d’étudier les très nombreux dessins et gravures de la grotte.

Mais là non plus, les choses ne vont pas de soi. L’actuel président de région Renaud Muselier, pressé d’en découdre avec les charges encombrantes de la Villa et comptant sur les 400 000 visiteurs annoncés par l’étude préalable qui ne manqueront pas d’être dirigés vers la grotte Cosquer, doit encore faire face au changement complexe de statut de la Villa Méditerranée qui risque de retarder le projet.

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