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« Razzia » de Nabil Ayouch ou les bonheurs contrariés

par Jacques Moulins
Le personnage de cette femme berbère traverse le film
Le personnage de cette femme berbère traverse le film "Razzia" de Nabil Ayouch. DR
Salima, interprétée par Maryam Touzani dans
Salima, interprétée par Maryam Touzani dans "Razzia" de Nabil Ayouch. DR
Abdelilah Rachid interprète Hakim le jeune musicien du film
Abdelilah Rachid interprète Hakim le jeune musicien du film "Razzia" de Nabil Ayouch. DR
Cinéma Film Publié le 14/03/2018
Après le saisissant "Much Loved", le cinéaste franco-marocain Nabil Ayouch a réalisé un film ambitieux et superbement réussi où se croisent tant de destinées marocaines, joyeuses et ambitieuses, mais empêchées dans leur liberté.

Nabil Ayouch aurait pu appeler son film « les bonheurs empêchés ». Des montagnes arides de l’Atlas à Casablanca, des années 80 au années 2000, de la pauvreté des villages berbères aux riches villas de la côte, des jeunes affamés de musique aux vieux rêveurs, tant de beautés illuminent le film et tant de coups d’arrêts viennent gâcher la fête. Son précédent long métrage Much Loved portait déjà cette part de joie de vivre qui signe les solidarités humaines et, étrangement, angoisse les garants autoproclamés des bonnes mœurs. Much Loved, interdit au Maroc pour « outrage aux valeurs morales » et atteinte « à l’image du royaume », avait fait réagir violemment les intégristes qui s’en était pris physiquement à l’actrice principale, Loubna Adibar, aujourd’hui réfugiée en France.

Un film si fort, si sensible dans ces images comme dans son scénario, qu’il semblait ne pouvoir être égalé. En sortant de la projection de Razzia, on sait désormais que si, c’est possible. Le film est encore plus ambitieux, multipliant les personnages et leurs histoires sur quarante années de vie marocaine, dans des milieux des plus divers, mais toujours avec cette beauté immense des paysages, montagnards ou urbains, et des personnages qui les peuplent.

 

Vivre, simplement vivre. Les personnages simplement vivent, heureux d’agir, de faire leur travail comme l’instituteur qui, sans aucun moyen, dormant dans un coin de sa classe du petit village de l’Atlas, est heureux de voir ses élèves apprendre, progresser. Mais les pouvoirs marocains, civils et religieux, en ont décidé autrement, imposant la langue arabe, que les enfants ne comprennent pas, contre la langue berbère, et de ce fait, le rabâchage contre le plaisir de s’instruire. Salima est tout aussi heureuse d’être femme, Joseph d’être un patron juif de restaurant où l’on fait la fête, Inès l’adolescente des quartiers riches d’être amoureuse, Hakim le jeune musicien de voir sa création passer à la radio… Sauf que leurs joies, indissociables de la liberté qu’ils ont en eux, se heurtent aux murs des bienséances et des décisions autoritaires.

Ces sensibilités, qui comme tous les sentiments profonds qu’elles génèrent, sont admirablement sincères et généreuses, ouvertes à l’autre et immédiatement solidaires, débordent trop du cadre, ne sont pas suffisamment contraintes pour trouver l’agrément de la société marocaine et des autorités, patriarcales, religieuses et civiles qui s’entendent à les contenir.

 

Deux heures d'émotions. De magnifiques portraits de femme éclairent à nouveau ce film de Nabil Ayouch, qui révèlent aussi la sensibilité d’hommes très divers. Pas de morale, pas de leçon politique, le film se suffit à lui-même dans l’émotion qu’il crée. Seule une femme berbère qui traverse le film se permettra, riche de sa dure expérience, cette sentence, forte dans les circonstances : « On a toujours le choix ». Le ressenti social, et les humiliations qu’il sait si bien cracher, est toujours rapidement filmé, une réplique, une scène fugace, un plan. Avec en fonds de scène, les manifestations des intégristes contre les premières mesures d’égalités entre homme et femme sur l’héritage, et les manifestations des jeunes diplômés réclamant des emplois qui ont embrasé le Maroc. Les deux heures que durent la séance semblent trop courtes, on en voudrait encore. Heureusement, le film vit à nouveau en nous, une fois la salle quittée.

 

Razzia, film réalisé par Nabil Ayouch avec Maryam Touzani, Arieh Worthalter, Abdelilah Rachid, Amine Ennaji, Dounia Binebine. Sortie le 14 mars 2018.

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