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Deux ans de prison pour avoir ôté son voile

par Jacques Moulins
"Un homme intègre" de Mohamad Rasoulof, prix Un certain Regard à Cannes. DR
Cinéma Film Publié le 15/03/2018
Le 8 mars n’a pas la même signification selon le pays où l’on habite. Ce jour-là, en Iran, une jeune femme a été condamnée à deux ans de prison pour avoir ôté son voile. Un mouvement de libération que le cinéma porte de plus en plus à l’écran, malgré une répression forte.

Elle n’a pas de nom. Du moins le procureur général de Téhéran n’a pas voulu le donner. Ce n’est après tout qu’une femme. Une femme, dont on a appris le 8 mars, journée internationale des droits de la femme, qu’elle avait été condamnée à deux ans de prison dont trois mois ferme. Pour avoir ôté son voile en public. Une peine bien insuffisante pour les autorités religieuses et politiques puisqu’en Iran les deux finissent par se confondre. Ce même 8 mars, le Guide suprême iranien n’a pas manqué d’opposer la femme occidentale « stimulation sexuelle pour les hommes » et la femme musulmane symbole de « chasteté », avec cette hypocrisie propre aux dogmes religieux qui veulent que le mal vienne de la femme. L’homme, lui qui a confisqué tous les pouvoirs, ne serait, face à la femme, qu’une pauvre victime.

Cette nouvelle condamnée a imité le geste de Vida Movahed qui, l’an dernier grimpait sur une armoire électrique de la capitale iranienne, pour ôter son voile. Elle a sans doute une vingtaine d’années, comme la plupart des femmes qui ont osé braver le pouvoir des mâles mollahs. Sa grand-mère allait peut-être tête nue, avant que le pouvoir religieux impose ses fantasmes comme lois.

 

La patience, c’est difficile quand on y perd sa jeunesse. Sans doute, attend-elle aussi, comme une majorité de la population iranienne, que le président Rohani, au pouvoir depuis cinq ans, limite enfin les prérogatives de ces vieux messieurs. Cinq ans, c’est long quand on a vingt ans. Des commentateurs s’avisent à comparer Rohani à Gorbatchev. On sait que celui-ci, en échec dans sa tentative de réformer le système de l’intérieur, a dû laisser la place à ceux qui ont catapulté le soviétisme.

Toujours est-il que pendant trois mois, à compter de ce 8 mars, date sans doute choisi par les tribunaux pour insulter les femmes du monde, une jeune femme va croupir en prison. Elle n’est pas la seule. D’autres condamnations sont attendues. Et pourtant, une vidéo qui circulent sur les réseaux sociaux montrent trois femmes qui, dans le métro de Téhéran, chantent, têtes nues, le même message. Ces femmes agissent avec un courage qui force au respect.

 

Tant de réalisateurs condamnés. Ce mouvement, qu’il faut bien appeler de libération, monte avec une puissance inégalée ces dernières années. En Iran, malgré la censure et l’existence d’une police des mœurs, les réalisateurs sont à la pointe du combat. Jafar Panahi a été interdit de filmer en 2009. Ce qui ne l’a pas empêché de tourner clandestinement le remarquable Taxi. La cinéaste Mahnaz Mohammadi a été condamnée à 5 ans de prison ferme en 2013. Keywam Karimi à six ans de prison et 223 coups de fouet en 2015 pour son documentaire Writing on the City sur les graffitis politiques des murs de Téhéran. Mohamad Rasoulof, primé au dernier festival de Cannes (Un Certain Regard) pour son film Un homme intègre risque six ans de prison. Tous ont été poursuivis pour « propagande contre le régime ». La liste des réalisateurs poursuivis est longue, mais cela n’arrête pourtant pas la création. Mehrdad Oskouei a ainsi osé produire en 2017 un documentaire Un rêve sans étoiles sur des adolescentes en prison, dont on découvre qu’avant le délit pour lequel elles sont incarcérées, elles ont toutes été victimes de viols ou de maltraitances.

 

Partout dans le monde. L’Iran n’est pas une exception dans le monde, tant pour la répression que pour l’audace des réalisateurs. Sur les écrans de ce seul mois de mars 2018, Razzia, du franco-marocain Nabil Ayouch, Call Me By Your Name du sicilien Luca Guadagnino, Tesnota du russe Kantemir Balagov libèrent les imaginations sur des terrains jadis interdits. De jeunes créateurs, libres et l’affirmant publiquement, c’est sans doute cela qui fait frémir les censeurs. Plus la liberté s’affiche, plus il leur faut frapper durement. Pourtant, bien que son précédent film ait été interdit au Maroc, c’est au Maroc que Nabil Ayouch a présenté Razzia au mois de février, assurant une tournée dans plusieurs grandes villes avec des débats qui montrent à quel point le septième art est délicieusement dangereux.

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