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Mot de passe oublié ?Il est des instants précieux où l’art nous rapproche d’inconnus que la vie ne nous donnera pas l’occasion de rencontrer. Exilés, réfugiés dans les camps du XXIe, prisonniers politiques et de droit commun d’hier et d’aujourd’hui, du Mexique, des États-Unis, de Cuba, d’Afrique, de Chine, de France, de Bulgarie… sont actuellement réunis dans la nouvelle exposition du MIAM. Le musée sétois, fondé par Hervé di Rosa en 2000, nous a habitué à l’inhabituel, célébrant des cultures populaires lointaines, des contrées imaginaires ou des artistes mésestimés. Avec Évasions, l’art sans liberté, le MIAM vient témoigner de l’expression artistique d’êtres démunis et enfermés. Leurs œuvres, la plupart présentées pour la première fois, tracent le chemin spirituel de l’homme qui a tout perdu, mais qui trouve dans l’art l’ultime ressource pour inventer un ailleurs.
L’ailleurs est ici exploré de différentes manières. Pour ceux qui ont fui la guerre ou les persécutions, l’ailleurs réside dans la mémoire des paysages et des visages et avec elle la nostalgie de moments de la vie quotidienne, banals au premier abord. En réalité ils donnent une consistance, forment une trace de vie commune à ceux qui sont niés, ignorés, figés dans l’attente. Eux qui ne maitrisent souvent pas la langue du pays dans lequel ils sont arrivés témoignent avec leurs crayons de ce que fut leur vie, et avec les couleurs ravivent les éclats d’un bonheur passé. D’autres racontent le long chemin de dangers et de terreurs qui les ont menés en Europe. Regarder ces dessins c’est un peu les écouter.
L’attente, une dominante. Attendre que la porte s’ouvre, qu’une lettre arrive, qu’un repas soit servi. D’un pays à un autre, les règles sont celles d’une communauté qui se crée derrière les grilles. D’un pays à un autre, d’une époque à une autre, des pratiques sont repérables. Peut-on parler de tradition ? Les Mexicains des prisons américaines du XXe siècle, comme l’explique Pascal Saumade l'un des trois commissaires de l'exposition et compagnon de route des premières heures du MIAM, étaient illettrés, ils n'avaient ni stylo ni papier. " Pour communiquer avec leurs proches, ils inventent cette technique qui date des années 20". Sur leur mouchoir, ils se mettent à dessiner et à peindre avec ce qu’ils trouvent, du café, de l’herbe broyée, du sang, etc. "Ils envoient ces "panos" à leurs copains de gang, dans lesquels ils planquent des messages, et à leur famille". Pour leurs mères, ils composent de sages représentations religieuses, pour leurs fiancées des scènes érotiques trahissant leur désir, et pour leurs enfants des reproductions de leurs personnages préférés. Cadeaux affectueux, les Panos servaient parfois de monnaie d’échange, pour une soupe ou du savon. Pascal Saumade a parcouru les Amériques du Nord au Sud à la recherche des manifestations d'arts populaires. L'amoureux du Folk Art a pu acquérir quelques exemplaires de cet art "qui a quasiment disparu, il n'existe plus que dans deux ou trois prisons".
De Grecs emprisonnés sous la dictature des colonels, on retrouve des croix et même une maquette d’église orthodoxe confectionnée avec des allumettes. Des prisons de Sofia en Bulgarie, ce sont des peintures de nus féminins, des prisons du Midwest aux Etats-Unis des accessoires confectionnés en paquets de cigarettes tressés. D’un Cubain, délinquant mais fils d'un des premiers compagnons de Fidel Castro, une dizaine de portraits réalisés sur papier au stylo bille sont de belle facture. Ils sont souvent minutieux, emplis de détails dans lesquels se glissent des messages. Deux artistes n'ont pas connu la prison mais l'enfermement psychologique. Les dessins de l'un, qui a vécu un isolement volontairement dans sa cave de la guerre à sa mort, ont été repérés par le collectionneur Bruno Decharme. L’autre, un Montpelliérain que Pascal Saumade a découvert, est devenu artiste par désœuvrement et par amour, inventant au feutre des motifs décoratifs à l’infini. Il vit reclus chez lui depuis la mort de sa femme.
Artiste et prison, liaison contemporaine. Sollicité par la prison de Saint-Maur de Châteauroux, Hervé di Rosa a encadré un atelier d'art pour les détenus. Plusieurs de leurs toiles ont pu être exposées, témoignant d’une esthétique maîtrisée et laissant percevoir le plaisir de créer une œuvre aboutie. Si les auteurs sont toujours derrière les barreaux, leurs œuvres donnent un aperçu insoupçonné de leur personnalité. Un film, réalisé dans la prison, fait résonner dans le musée la parole rare de ces prisonniers, interrogés non pas sur leurs méfaits mais sur leur pratique artistique et ses effets perceptibles. Dehors imaginaires de détenus sera projeté intégralement le 18 mai au cinéma Le Palace. De Hervé di Rosa, une série de dessins noirs et blanc sont affichés. Il s'agit du carton d'une œuvre en Azulejos réalisée à Lisbonne, elle orne les parloirs destinés aux enfants dans la Maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone. Plus loin, une installation de Nicolas Daubanes témoigne d'une façon dont l’art contemporain s'empare de l’univers carcéral, ici de la résistance du prisonnier au désir. L'installation Prohibition est composée de bouteilles dans lesquelles macèrent des mélanges alcoolisés élaborés selon une méthode de fermentation mise au point par des détenus et fermées par des préservatifs. La fermentation produisant de l’éthanol et du dioxyde de carbone, ces gaz remplissent les préservatifs, parfois à la limite de l’éclatement.
Une pratique ancienne. Le troisième volet de l’exposition exprime combien l’art carcéral est une pratique ancienne. À l'instar d'élégantes boîtes en coques de noix de coco ou en marqueterie soignée, de cahiers dessinés et d'habiles caricatures de bagnards relégués sur des îles lointaines. Plus surprenants, les Festins imaginaires composés par ceux qui se sont retrouvés enfermés dans des camps de travail chinois ou russes, ou déportés dans des camps de concentrations nazis. Ces recettes, rédigées par des êtres affamés, sont inspirées de traditions de leurs localités, de souvenirs heureux. Cette littérature et ces dessins nourrissaient l’esprit et apaisaient la faim. Faire resurgir les ingrédients, rappeler le nom de plats gourmands, étaient à la fois un moyen de suggérer le bonheur et une façon de convoquer le vivant dans un univers déshumanisé. Les carnets retrouvés, fabriqués avec des matériaux récupérés subrepticement, écrits et dessinés avec des moyens de fortune, étaient soigneusement cachés. Le film documentaire Festins imaginaires, réalisé en 2014 par Anne Georget, également commissaire de cette partie, donne la parole à quelques-uns des survivants de ces camps.
Évasions : L'art sans liberté, exposition au Musée International d'Arts Modestes (MIAM) à Sète du 7 avril au 13 septembre.