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« Transit » de réfugiés entre deux époques

par Jacques Moulins
"Transit" de Christian Petzold avec Franz Rogowski et Paula Beer. DR
Cinéma Film Publié le 25/04/2018
"Transit", le nouveau film de Christian Petzold est construit sur une double narration, celle du scénario de 1940 repris du roman d’Anna Seghers, et celle des images de 2017 dans une Marseille sublimée. Sans lien entre les deux, si ce n’est les réfugiés.

Sacré défi. Une histoire narrative, d’une part, une histoire en images d’autre part. Le dernier film de Christian Petzold ose ce décalage surprenant. D’une part l’adaptation à l’écran du roman Transit d’Anna Seghers qui situe ses personnages à Marseille en 1940 lorsque de nombreux Allemands, principalement des opposants politiques des milieux culturels, se retrouvent acculer à la mer par l’avancée des troupes nazies et cherchent désespérément un visa pour le Mexique, une place sur un bateau pour les États-Unis. Parmi eux, Walter Benjamin, Alma Mahler ou Anna Seghers elle-même.

Exilée au Mexique, l’écrivaine, juive et communiste, publie dès 1944 ce roman qui conte une histoire d’amour impossible dans une situation extrême, où l’on ne sait parfois plus qui est qui. Les dialogues, les mots mêmes du roman dit par une voix off, constituent le récit narratif dans lequel entre d’autant plus le spectateur qu’il connaît quelque peu ce moment tragique de l’histoire. D’autre part, le décor. Car Christian Petzold a choisi une distanciation extrême en superposant deux époques, 1940 et 2017. Mais non pas en mêlant les dates selon un procédé déjà largement utilisé et très lisible par le spectateur, mais en situant l’histoire de 1940 dans un décor de 2017, sans qu’aucune allusion à aujourd’hui ne transparaisse dans le scénario.

 

Une distanciation déroutante. Dès lors, les émigrés allemands passent d’hôtels en cafés dans la ville de Marseille d’aujourd’hui. Les forces d’occupation sont les forces de police actuelle, avec brassard du RAID, voitures et armements conséquents. Marseille est contemporaine avec ses passants vêtus comme aujourd’hui, les voitures que l’on voit tous les jours dans nos rues et tous les éléments de notre modernité. Le bateau qui part du port est un superbe paquebot de croisière de six étages, les familles qui vivent dans les quartiers populaires sont maghrébines et les posters de l’OM ornent la chambre d’un jeune homme.

En refusant toute reconstitution historique, Christian Petzold fait de Transit un film à part même si l’on y retrouve quelques thèmes des précédents longs métrages de  (son chef d’œuvre Barbara en 2012, Phœnix en 2014), et notamment la question de l’usurpation d’identité ou l’angoisse que crée la répression. L’intention est évidente : un parallèle entre ces réfugiés traqués par les nazis et les réfugiés qui errent aujourd’hui à la recherche d’un point d’accueil en Europe. Cela crée une atmosphère singulière qui paraît d’abord déroutante, mais peut séduire si l’on se laisse entrainer dans cet été où la cité phocéenne se charge d’une tension accentuée par les sirènes de police et les arrestations musclées de sans-papiers. L'interprétation de Franz Rogowski y aide grandement.

 

Transit, film de Christian Petzold (Allemagne) d’après le roman de Anna Seghers (1944). Avec Franz Rogowski, Paula Beer, Godehard Giese, Barbara Auer. Sortie le 25 avril 2018.

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