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Patria, réconciliation difficile au Pays Basque

par Pierre Magnetto
Fernando Aramburu, né à San Sebastian dans la province du Guipuscoa a reçu en 2017 en Espagne le prix national de littérature narrative pour Patria.DR
Fernando Aramburu, né à San Sebastian dans la province du Guipuscoa a reçu en 2017 en Espagne le prix national de littérature narrative pour Patria.DR
Patria, paru en 2016 en Espagne le roman s’est vendu à plus de 700 000 exemplaires.
Patria, paru en 2016 en Espagne le roman s’est vendu à plus de 700 000 exemplaires.
Livre Roman Publié le 24/04/2018
L’ETA annonce sa dissolution définitive le 5 mai prochain, après des décennies de lutte armée qui a divisé jusqu'au cœur des familles. Patria de Fernando Aramburu plonge le lecteur au cœur de ce conflit à travers le destin de deux familles. L'oeuvre romanesque aborde dans toute sa complexité la question qui se pose désormais, celle du pardon et de la réconciliation.

Euskadi Ta Askatasuna (Pays basque et Liberté en euskera), plus connue sous l’acronyme ETA, annoncera officiellement début mai sa dissolution complète après près de soixante années de lutte armée (l'organisation a été créée en 1959). Ses responsables l’ont fait savoir le 20 avril dernier, dans un communiqué publié par le seul quotidien s’exprimant entièrement en langue basque dans la Communauté autonome d’Euskadi, Berria. L’organisation a demandé « pardon » aux victimes de ses attentats et violences, reconnaissant le « mal qu’elle a causé au cours de sa trajectoire armée ». « Nous sommes conscients que dans cette longue période de lutte armée, nous avons provoqué beaucoup de douleur, et beaucoup de dommages qui n’ont pas de solution. Nous voulons montrer respect aux morts, aux blessés et aux victimes qu’ont provoqué les actions d’ETA », ajoute le communiqué par lequel ses responsables font acte de repentance.

Octobre 2011, l’annonce de la fin de la lutte armée, le début du roman. Cette dissolution décidée unilatéralement et sans conditions par les instances dirigeantes est l’aboutissement d’un processus qui aura duré sept ans. En avril 2017, l’ETA avait déposé les armes, ces dernières ayant été remises aux autorités françaises par un Comité de vérificateurs internationaux. Mais c’est le 20 octobre 2011 qu’elle avait annoncé la fin de ses activités militaires. C’est précisément à cette date que débute Patria, roman du basque espagnol Fernando Aramburu paru en 2016 en Espagne, tout juste traduit en français par Actes Sud. Patria raconte l’histoire de deux familles originaires d’un même village, sur les hauteurs de San Sebastian. L’une porte le deuil du mari et du père, chef d’entreprise assassiné plus de vingt ans auparavant pour avoir refusé de payer l’impôt révolutionnaire, l’autre pleure l’absence d’un fils, membre du commando responsable de ce meurtre, emprisonné à vie en Andalousie.

Le retour au village. A l’annonce de la fin de la lutte armée, Bittori qui depuis la mort de son mari s’est installée à San Sebastian, décide de rentrer au village où sa famille a toujours vécu, malgré les réticences de ses enfants. Dans ce village où tout le monde se connaît, son retour ne passe pas inaperçu, notamment auprès de Miren, la mère du terroriste. Ce retour va réveiller les vieilles rancoeurs, rouvrir les plaies qui n’ont jamais vraiment cicatrisé, faire remonter à la surface les souffrances jamais oubliées. Elle va poser la question qui avec le renoncement de l’ETA concerne aujourd’hui la société basque tout entière, celle du pardon et de l’oubli. A lire Patria, nul doute que le chemin sera long et difficile. « Au village il y a beaucoup de gens tourneboulés par la politique. Des gens qui t’embrassent aujourd’hui et qui demain, pour un truc qu’on leur aura raconté, ne t’adressent plus la parole », confie Arantxa, la sœur du tueur à Nerea, la fille de la victime. Ce témoignage anodin décrit la manière dont la société s’est fissurée, sous le poids des rumeurs, du qu’en-dira-t-on ; comment un individu se retrouve livré à la vindicte.

La haine des uns nourrit la haine des autres. Le récit d’Aramburu progresse par petits bonds en arrière, remonte le temps sur plus d’un quart de siècle, jusqu’à l’époque où les deux familles vivaient une amitié quasiment fusionnelle : les parties de cartes au bistro du coin et les randonnées à vélo des deux maris, les sorties à la ville et les goûters gourmands, churros et chocolat chaud, des deux femmes, les jeux partagés des enfants des deux couples… Puis l’histoire se déroule, l’engagement politique de Joxe Mari, aveuglément soutenu par sa mère Miren, les graffitis calomnieux à l’encontre de Txato qui fleurissent sur les murs des maisons du village et de son entreprise avant son assassinat, les manifestations auxquelles chacun est tenu de participer sous peine d’être dénoncé comme collaborateur de l’Etat espagnol, les arrestations et tortures de la Guardia Civil, les enlèvements et assassinats perpétrés par les Groupes antiterroristes de libération, ces commandos de la mort pilotés par Madrid dans les années 80… Tout le village qui tourne le dos à la famille de Bittori, les voisins et amis d’autrefois qui changent de trottoir, n’adressent plus la parole, parfois juste parce qu’ils ont peur d’être à leur tour pris pour cible : « Même si je ne lui parlais plus, il était toujours mon ami. Si je ne lui parlais plus, c’est qu’on ne pouvait plus lui parler » dira Joxian, le père de Joxe Mari. L’atmosphère devient de plus en plus  lourde, oppressante. La haine des uns, nourrit la haine des autres, et réciproquement.

Sur la voie de la réconciliation. En Espagne, le livre s’est vendu à plus de 700 000 exemplaires. Un roman qui vaut mieux qu’un cours d’histoire en cette période où de part et d’autre de la barrière, la douleur reste vive. L’ETA disparue, il faudra bien construire une mémoire collective pour vivre ensemble, en paix. Voilà sans doute ce qui explique le succès de ce roman non-partisan, qui multiplie les points de vue, libère la parole autour d’un conflit fratricide hérité de l’ère franquiste, qui a tué 829 personnes. Reste que pour faciliter le travail de mémoire, la seule dissolution de l’ETA n’y suffira peut-être pas. L’apaisement passera aussi par une forme de repentance de l’Etat espagnol, ou du moins de reconnaissance des souffrances infligées aux nationalistes basques. Il se fera aussi au prix d’une révision des conditions d’incarcération des prisonniers, éloignés de leur famille et détenus dans des conditions d'exception les empêchant par exemple, d’accéder à des libérations anticipées comme les prisonniers de droit commun (280 personnes sont incarcérées en Espagne, 80 en France). C’est du moins ce qu’ont demandé le 6 avril au premier ministre espagnol toutes les forces politiques et syndicales présentes ou représentées au Pays Basque, à l’exception du Parti populaire de Mariano Rajoy. 43 ans après la mort du dictateur Franco il est sans doute temps pour l’Espagne de mettre un point final aux années noires pour avancer sur la voie de réconciliation."Elle poussa le fauteuil sous la voûte végétale des tilleuls de la place et se dirigea vers le fronton, depuis des années tartiné de slogans en faveur de l'ETA et de symboles de la gauche abertazale, d'un vert immaculé maintenant que les attentats avaient cessé et que la mairie avait fait repeindre en vert les murs, écrit Aramburu, car il faut tourner la page, regarder l'avenir, il n'y  plus ni vainqueurs ni vaincus."

Patria, Fernando Aramburu, Actes Sud 2018.

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