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« Colo » : Teresa Villaverde donne voix au désespoir des Portugais

par Stoyana Gougovska
Le spectateur vit l’histoire de Colo, le dernier long-métrage de Teresa Villaverde, à travers les yeux d'une adolescente, Marta. DR
Le spectateur vit l’histoire de Colo, le dernier long-métrage de Teresa Villaverde, à travers les yeux d'une adolescente, Marta. DR
Cinéma Film Publié le 10/05/2018
Dans son dernier long métrage "Colo", la réalisatrice portugaise Teresa Villaverde met le public face à la réalité douloureuse, qui se généralise, des difficultés économiques incessantes dans son pays natal, et dont les conséquences psychologiques sont désastreuses sur la population. "Colo" transmet ce désespoir dans toute sa lourdeur, sans jamais ménager le spectateur.

Colo met en scène l’escalade du malaise et de l’aliénation au sein d'une famille portugaise composée de trois personnes, le père, la mère et leur fille adolescente. Le point de départ du film est la perte de l’emploi du père. Face aux difficultés du présent, à un avenir incertain et menaçant, chacun se retrouve envahi par un mal-être profond et intime, mal exprimé et incompris des autres. Alors que le père chômeur est en profonde souffrance, confronté au sentiment d’être inutile et de ne pas pouvoir assurer la protection des siens, la mère se trouve dans un état d’extrême épuisement, travaillant jour et nuit. La culpabilité de l’un, l’usure de l’autre créent une situation infernale, où les deux parents sont privés de la capacité à remplir leurs devoirs basiques – transmettre à leur enfant les clés de la vie future, ni même assurer concrètement leur propre survie physique.

 

Tout remettre en question. « Il y a quelques jours, relate Teresa Villaverde, un psychiatre m’a fait part de l’angoisse qui venait de l’étreindre encore une fois. Il sortait d’une consultation avec un patient très déprimé et me dit recevoir de plus en plus de personnes comme lui, des personnes qui ont besoin de travailler, pas de prendre des antidépresseurs, et face auxquelles il se sent donc totalement démuni ». L’époque actuelle fait voler en éclats les valeurs de l’ancienne génération, remet en cause les rôles établis et rend pratiquement impossibles les modèles de vie qu’ils connaissent. « Dans mon pays les gens parlent peu de ce qu’ils ressentent. Vu de l’extérieur, on pourrait croire que le Portugal est un pays gorgé de soleil et peuplé de gens heureux, mais ce n’est vraiment pas comme ça que je nous vois. On a tendance à cacher ce qui ne va pas tout comme ce qui compte vraiment à nos yeux. On s’exprime très peu » Pour la réalisatrice, il était indispensable de parler de cette réalité, aussi pessimiste que son discours puisse être, de tout mettre sur la table et trouver un moyen de tout remettre en question. « Quand on a de l’espoir, on a encore la force de se battre, de protester. Quand l’espoir disparaît, la force de crier s’évanouit en même temps : à quoi ça servirait ? Ça ne changerait rien. (…) Par ailleurs, la plupart des maux qui nous accablent sont de notre fait. On s’est endormis. On a cru que la démocratie c’était voter de temps en temps. On pensait que tout nous était acquis, or ce n’était pas le cas. Cela dit, en réfléchissant bien, on n’avait pas grand-chose, en fait ».

 

La rage des adolescents. Le spectateur vit l’histoire à travers les yeux de l’adolescente, Marta, que Villaverde met au centre de la narration, comme elle le fait d’ailleurs très souvent dans ses films. Devant la confusion des adultes, c’est aux jeunes que la réalisatrice fait totalement confiance pour représenter l’avenir : « Je place tous mes espoirs en eux. Ils n’ont aucune garantie, ils n’en ont jamais eu, mais ceux qui ne renonceront pas, devront trouver de nouvelles façons de vivre. Ils devront tout repenser. Je crains qu’ils ne se pencheront pas beaucoup sur le passé, ce qui peut être dangereux, mais je suis sûre qu’ils trouveront le moyen de nous sortir de ce merdier. (…)  La réalisatrice a d'ailleurs confié la musique de son film à un adolescent de 17 ans. Et les jeunes protagonistes de Colo ne sacrifient en rien leur irresponsabilité, leur rage envers ce monde hostile et envers leurs parents. Aussi douloureuse à porter qu’elle puisse être, cette rage est la seule arme que la nouvelle génération possède pour rendre possible son avenir.

 

Derrière le titre… L’espoir est peu perceptible dans Colo, mais il est discrètement induit au tout premier contact avec le film, son titre. Il ne sera traduit dans aucune langue, et reste mystérieux même pour le peuple portugais. Theresa Villaverde explique son choix : « En portugais, quand on tient un bébé dans ses bras, par exemple, on le porte sur son « colo ». On peut donner un « colo » symbolique à un ami qui se sent triste. On peut aussi dire de quelqu’un qu’il a besoin d’un « colo » ou d’un autre qu’il a trop de « colo » : qu’il est trop gâté. « Colo » est un mot riche, abstrait, vague. Ici, je pense qu’il veut dire quelque chose comme « filet » : le filet qui sauve de la chute quand on tombe d’un trapèze. Le filet est peut-être encore là, mais invisible, alors ça fait peur. »

 

 Colo (Portugal - France 2017). Scénariste / réalisatrice : Theresa Villaverde. Avec : João Pedro Vaz, Beatriz Batarda, Alice Albergaria Borges, Clara Jost, Thomàs Gomes, Denis Gomes, Ricardo Aibéo, Simone de Oliveira, Rita Blanco. 8 nominations à la Berlinale, dont l'Ours d'Or. Colo est programmé au Festival de Cannes le 12 mai dans le cadre de l'ACID TRIP#2. Prochainement en salles.

 

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