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Cannes et les cinéastes victimes de censure

par Stoyana Gougovska
Kirill Serebrennikov est empêché par son pays de se rendre à Cannes où son film
Kirill Serebrennikov est empêché par son pays de se rendre à Cannes où son film "Leto" est présenté. DR
Cinéma Film Publié le 07/05/2018
La 71ème édition du Festival de Cannes s'ouvre avec trop d'absents. Des cinéastes que leurs pays ne veulent laisser sortir, des films qui sont interdits de diffusion. Petit rappel d'une triste constante de la censure.

Qu'un film ait suffisamment de qualités esthétiques pour avoir un impact à l’international n'est pas toujours salué comme un succès national par les gouvernements ou les opinions publiques des pays où il a vu le jour. Régulièrement, des films qui ont été sélectionnés au Festival de Cannes, ont entraînés de sérieux problèmes à leurs auteurs. En 1978, les autorités polonaises ont tenté d’empêcher le réalisateur Andrej Wajda, déjà distingué d’un Prix spécial du Jury en 1957, de présenter son film L’homme de marbre au festival. Wajda a réussi à voler les bobines et le film a été présenté à Cannes, mais en absence du réalisateur. En 1982, le cinéaste turc Ylmaz Güney est contraint de s’exiler en France pour terminer le montage de Yol (La permission) qui remporte la Palme d’Or ex aequo avec Missing de Costa Gavras. Le réalisateur mourra d’un cancer deux ans plus tard sans pouvoir retourner en Turquie. En 2006, le cinéaste chinois Lou Ye est victime d’une lourde sanction de la censure de son pays : une interdiction de tournage pendant cinq ans pour avoir présenté Summer Palace. Son film traitait des évènements de la place Tienanmen, occupée par des étudiants en 1989 et de la répression sanglante qui s’en est suivie.

 

Le cinéma iranien adulé, mais censuré. En mai 2010, l’iranien Jafar Panahi est invité pour faire partie du jury officiel du Festival de Cannes. Six mois après, il est condamné à 10 ans de prison et il lui est interdit de tourner des films et de quitter le pays pendant vingt ans, sous prétexte qu’il a participé à des manifestations contre le régime. L'auteur de Taxi Téhéran s'est une fois encore débrouillé pour déjouer cette sanction (en 2011, assigné à domicile, il avait dicté à son collègue Mojtaba Mirtahmasb son This is not a film qui a été discrètement envoyé de l'Iran jusqu'à Cannes dans un gâteau d'anniversaire !) Le cinéaste participe cette année à la sélection officielle Trois visages, mais n'ayant pas l'autorisation de quitter l'Iran il ne sera donc pas présent au festival. En 2017, un autre Iranien, le lauréat du prix Un certain regard Mohammad Rousoulof présente le film Un homme intègre, critique féroce de la corruption qui ronge l'Iran, ce que le gouvernement ne lui pardonne pas. Cinq mois plus tard, il se fait retirer son passeport à l’aéroport de Téhéran et est placé sous surveillance policière.

 

Les « intolérables » histoires d’amour africaines. Dans la compétition Un certain regard 2018 est sélectionné Rafiki de Wanuri Kahiu, une histoire d’amour entre deux filles de politiciens, qui tentent de défendre leur identité devant une société conservatrice. Très vite après la joie que cette première sélection d’un film kényan au Festival de Cannes a provoqué dans le pays, le film a été interdit de toute forme de distribution au Kenya, accusé de promouvoir l’homosexualité. La réalisatrice, qui réside actuellement aux États-Unis, a pu se rendre à la première de son film ce soir à Cannes, accompagnée des deux actrices principales Samantha Mugatsia et Sheila Munyiva.  « Nous sommes très heureuses, parce que ce soir nous célébrons l’amour et nous sommes venues de si loin pour vous raconter cette histoire, et même si nous ne pouvons pas la montrer au Kenya, nous pouvons vous la montrer à vous » a remercié avec une grande émotion Wanuri Kahiu ajoutant : « Et même si parfois ce qui se passe dans notre pays nous brise le cœur, nous sommes si fiers d’être Kényans. »

Cela rappelle le destin du film sud-africain Les initiés de John Trengove qui traite également du thème de l’homosexualité, toujours tabou sur le continent africain. Après avoir fait la fierté des cinéastes professionnels du pays dans les festivals internationaux, ainsi qu’aux Oscars en 2017, il était montré également devant le public sud-africain en mars 2018, mais pas sans avoir affronté la résistance de la "monarchie". Le film a valu aux acteurs des menaces de mort, car le roi des Xhosas lui reprochait d’associer homosexualité et « Ulwaluko », le rite au terme duquel les jeunes Xhosas sont censés devenir des hommes.

 

Pas de festival pour Serebrennikov. Le Festival de Cannes a confirmé une autre triste nouvelle : Kirill Serebrennikov, tenu sous surveillance en Russie sous des accusations de corruption, n’accompagnera pas son film Leto (L’été) qui sera présenté dans la sélection officielle 2018. Le délégué général Thierry Fremaux a annoncé devant le public que, suite à ses démarches auprès du ministère des affaires étrangères de Russie, il venait de recevoir une réponse négative de la part du président Poutine : « Vous avez invité Serebrennikov au festival, or il a des ennuis avec la justice de mon pays, la Russie, et bien que je sois président, notre justice est indépendante et je ne peux rien faire. » Il n’a rien pu faire non plus pour sauver en 2015 la distribution de la version intégrale de film Leviathan de Andrei Zviaguintzev, qui s’était attiré les foudres pour avoir représenté la Russie comme un pays de « désespoir existentiel », avec « pas un seul héros positif », des « protagonistes qui ne sont pas des vrais Russes ». Zviagiguintzev fait partie cette année du jury officiel, présidé par la star australienne Cate Blanchett.

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