espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > Cannes : Rafiki, une histoire d’amour censurée au Kenya

Cannes : Rafiki, une histoire d’amour censurée au Kenya

par Stoyana Gougovska
Ziki (Sheila Munyiva) et Kéna (Samantha Mugatsia), les deux héroïnes du film Rafiki, premier film kenyan sélectionné à Cannes. DR
Ziki (Sheila Munyiva) et Kéna (Samantha Mugatsia), les deux héroïnes du film Rafiki, premier film kenyan sélectionné à Cannes. DR
Cinéma Film Publié le 17/05/2018
Pour son premier long métrage, Rafiki (Amie), la réalisatrice kényane Wanuri Kahiu raconte dans une belle simplicité l’histoire d’amour entre deux jeunes filles vivant dans un environnement très traditionaliste à Nairobi. Avant celle du public, la réaction du gouvernement n'a pas tardé. Le film, accusé de « promouvoir le lesbianisme », a été interdit au Kenya.

Avec Rafiki, la réalisatrice Wanuri Kahiu a pris en toute lucidité le risque de provoquer les pouvoirs kényans, toujours très conservateurs envers la question des droits des homosexuels. Le scénario, au premier abord léger, fait évoluer une histoire d’amour entre deux adolescentes, qui sont également les filles de deux opposants politiques. Kéna (Samantha Mugatsia) passe son temps avec les garçons du quartier, Ziki (Sheila Munyiva) joue les pop-stars avec ses copines. Après leur rencontre, elles deviennent vite intimes, bravant l’hostilité ambiante envers l’homosexualité qu’elles ressentent au quotidien dans leur entourage. Comme tous les jeunes, elles ont des rêves, qu’elles aimeraient vivre ensemble. Mais la réalité va vite les rattraper : dans une société traditionaliste où l’influence de l’église est forte, leur amour est impossible.

 

Au Kénya, la peur du changement. La première réaction du ministère de la culture kenyan, avant que tombe la décision officielle de censure, avait été positive sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, Jambula Tree, la nouvelle que Rafiki adapte, n’a pas été censurée, elle a même valu à son auteure Monica Arac de Nyek un grand prix de l'écriture africaine. Toutefois le Comité national kenyan de classification des films a déjà interdit des films sur le même sujet par le passé. Kahiu pouvait donc s’attendre à une réaction violente, à la condamnation irrévocable des propos du film. D'autant que dans Rafiki les provocations vers l’intolérance de la société et de l’église sont très directes, comme dans la scène où un prêtre essaie d’exorciser Kéna pour lui faire oublier son homosexualité… La réalisatrice confie à Télérama : « Malgré tout, j’ai été prise de court parce que j’espérais que mon pays avait un peu évolué, qu’il avait amorcé un tournant progressiste. C’est aussi très difficile de ne pas se sentir blessée personnellement, en tant qu’artiste, même si cet affrontement concerne une cause plus vaste. On m’attaque au cœur de ce que je suis, dans mon droit de créer. On a cherché à nous intimider, on nous a menacés d’arrestation, tout ça pour avoir exercé notre art, raconté une histoire, qui, de plus, a une portée universelle : elle concerne deux filles, mais ce qui m’intéressait par-dessus tout c’est le beau récit d’un passage à l’âge adulte. » Les risques que la jeune réalisatrice a pris en essayant de faire évoluer l’opinion publique sur l’homosexualité sont loin d’être vains puisque Rafiki est le premier film kényan, sélectionné au Festival de Cannes, lui donnant une belle visibilité devant le grand public et les associations LGBT. Bien qu’il soit banni au Kenya, le film  jouit d’un grand soutien à l’international et son succès ne fait que commencer.

 

La force de l’art et de l’amour. Rafiki est une histoire d’amour pur et romantique, qui se confronte aux préjugés politiques, religieux, sociétaux et familials. Par ses codes, le film s’adresse clairement au jeune public, à ceux qui vivent le même combat, tentant d’affirmer leur identité contre une certaine oppression. L’alchimie entre les deux actrices principales donne à l’histoire une authenticité sincère et touchante. Rafiki est plein de moments de tendresse entre les deux filles, mais aussi entre Kéna et son père, le personnage le plus tolérant qui désire le changement et le bonheur de sa fille, même si ce dernier remet en cause sa victoire aux élections de sa ville. C’est grâce à la force de l’amour que Wanuri Kahiu espère provoquer l’évolution des mœurs, comme elle l’affirme : « Le cinéma est un outil politique, et c’est mon art, mon travail. Mais les réactions que mon film suscite me transforment, par la force des choses, en militante. Je voulais juste montrer une image belle, colorée, joyeuse et chargée d’espoir, de mon pays et de l’Afrique, une représentation différente de celles que l’on voit habituellement. Je voulais juste défendre l’amour. Qui aurait cru que l’amour était une forme de rébellion ? »

 

Rafiki, long-métrage réalisé par Wanuri Kahiu. Scénario : Wanuri Kahiu et Jenna Bass. Adaptation de Jambula Tree, nouvelle de Monica Arac de Nyeko. Avec : Samantha Mugatsia, Sheila Munyiva, Neville Misati, Jimmy Gathu, Nini Wacera, Nice Githinji, Muthoni Gathecha, Patricia Amira, Dennis Musyoka, Patricia Kihoro. Rafiki est présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2018. Prochainement en salles.

Partager sur
Fermer