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« La Nonne Sanglante » retrouve son effroi

par Véronique Giraud
La Nonne sanglante de Gounod est sortie de l'oubli  à l'Opéra Comique, dans une mise en scène de David Bobée. Ici Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue (la Nonne), et le chœur accentus.© Pierre Grosbois
La Nonne sanglante de Gounod est sortie de l'oubli à l'Opéra Comique, dans une mise en scène de David Bobée. Ici Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue (la Nonne), et le chœur accentus.© Pierre Grosbois
Arts vivants Opéra Publié le 07/06/2018
L’opéra de Gounod n’avait été joué que onze fois. Le metteur en scène David Bobée et la directrice musicale Laurence Equilbey ont redonné sa dimension amoureuse et spectrale à ce drame gothique, sur la scène de l’Opéra Comique.

En retrouvant la splendeur de ses ors, la salle Favart a renoué avec la singularité de l’opéra comique. Chanté, parlé, spectaculaire. La première de La Nonne Sanglante de Charles Gounod promettait une découverte de tous les sens. L’œuvre, qui n’a pu être jouée que onze fois à sa création en 1854 à l’opéra de Paris, a été composée à une époque où le roman gothique flamboyait, avec ses amants emmurés, ses revenants ensanglantés et ses châteaux hantés. Tout ce qui fait aujourd’hui le charme des séries anglo-saxonnes. Mais la mise en scène de David Bobée et la direction musicale de Laurence Equilbey ne se limitent pas aux clichés du genre. Ils ont pris goût à cette œuvre du passé qui rentre dans notre temps. Grâce à leur duo.

 

Parangon du roman gothique, The Moon (Le moine) de l’anglais Matthew Gregory Lewis sert de trame au livret de l'opéra, qui reprend la légende médiévale de la Nonne de Thuringe. Mais dans sa grande majorité le public a découvert l’adaptation morale d’Eugène Scribe. Sa composition musicale avait d’abord été commandée par l’Opéra à Berlioz pour qu’il en fasse un « grand opéra », elle fut achevée par le jeune Gounod, alors âgé de 36 ans, son célèbre aîné y ayant renoncé cinq ans auparavant. Mais l’œuvre tant attendue fut jouée onze fois seulement, le nouveau directeur de l’Opéra ayant déclaré qu’il ne laisserait pas jouer plus longtemps « pareille ordure ». Malédiction, fantôme, serment aux esprits, c’était plus que n’en pouvait tolérer un Second Empire très lié à l’Église. Malgré l’accueil enthousiaste de critiques comme Théophile Gauthier, l’opéra fut oublié et ne réapparaît sur la scène de l’Opéra Comique qu’en ce 2 juin 2018.

 

Un duo créatif. Si Olivier Mantei, directeur de l’institution a confié la création au duo David Bobée et Laurence Equilbey, c’est pour sa capacité à « créer un univers visuel fort dans le respect de l’œuvre ». Tous deux artistes engagés, tous deux promouvant la singularité de l’interprète, tous deux décidés à apporter leur pierre à l’édifice de la diversité et de l’interdisciplinarité. Leur complicité, une réussite, rend cette Nonne hors norme. On attendait ces deux créateurs dans leur interprétation de l’œuvre. Leur attention a été de cerner des personnages confrontés à autant de considérations religieuses, de morale familiale, d’étrangeté, sans gommer le romantisme et le drame amoureux. Laurence Equilbey, dont c’est la quatrième prestation à l’Opéra Comique avec l’Insula Orchestra, formation qu’elle a créée en 2012, à cherché à donner une teinte psychologique à la magnifique partition de Gounod : « N’étant pas familière de l’univers gothique, j’avais besoin de donner du sens à cette histoire de spectre ». La musicienne a sollicité la psychanalyste lacanienne Anaëlle Leibovits-Quenehen, François Angelier, animateur de l’émission Mauvais Genres sur France Culture, et l’historienne de la littérature Martine Lavaud.

 

Conserver la surprise et l’effroi. Pour le metteur en scène David Bobée, c’était en revanche une première. Le directeur de centre dramatique national de Normandie, que le gothique, le fantastique et l’incarnation de femmes hors normes sont loin d’effrayer (comme en témoigne son poignant Lucrèce Borgia), a produit des images très riches. « J'ai réfléchi avec Corinne Meyniel à une lecture publique et aux échos de l’œuvre avec le théâtre et le cinéma que je produis, avec mes expériences de Shakespeare et d’Hugo », explique-t-il.
De ce long travail en commun, résulte un spectacle intelligible, servi par des chanteurs acteurs de grand talent. Le ténor Michael Spyres donne à Rodolphe ses accents doux et amoureux que se disputent la soprano Vannina Santoni (Agnès) et Marion Lebègue (La Nonne). Une distribution également bien servie par le basse Jean Teitgen (L’ermite) et Olivia Doray (Anna). Loin d’être étouffants ou accessoires, le décor de David Bobée sert la narration. On se souviendra longtemps de la chorégraphie de ses batailles qui, dans une brume onirique qui ne quitte pas la scène, évoquent les compositions de Paolo Uccello et soulignent admirablement la musique. Ou de l’arrivée fantastique de la nonne immaculée, surgie des ombres. Au troisième acte, les références cinématographiques se font plus précises. Les images filmées vacillent, auréolant le désespoir de Rodolphe d'une atmosphère glaçante.
La Nonne Sanglante, opéra de Gounod. Mise en scène et décors de David Bobée, direction musicale Laurence Equilbey, Insula Orchestra. Avec Michael Spyres, Vannina Santoni et Marion Lebègue, Jean Teitgen, Olivia Doray. Opéra Comique, les 2, 4, 6, 8, 10, 12 juin 2018.

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