espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > Avignon : Chloé Dabert impose « Iphigénie »

Avignon : Chloé Dabert impose « Iphigénie »

par Jacques Moulins
Benedicte Cerutti, Victoire Du Bois, Servane Ducorps et Arthur Verret dans
Benedicte Cerutti, Victoire Du Bois, Servane Ducorps et Arthur Verret dans "Iphigenie" mis en scène par Chloé Dabert. © Renaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 09/07/2018
Chloé Dabert a ouvert le festival d'Avignon au Cloître des Carmes par une version épurée et intelligemment contemporaine de "Iphigénie" de Racine, servie par des acteurs qui maîtrisent et passionnent le texte.

Les Atrides ont ouvert cette 72e édition du festival d’Avignon. Avec le père Atrée et l’oncle Thyeste mis en scène par Thomas Jolly à la Cour d’honneur. Avec Agamemnon, son épouse Clymtemnestre et sa fille Iphigénie mis en scène au Cloître des Carmes par Chloé Dabert. Mais les pièces diffèrent du tout au tout. Nous ne sommes plus chez le richissime Sénèque, précepteur, « plume » et conseiller de Néron qui le condamnera au suicide, mais chez Racine qui avait tant à cœur la gloire du Roi Soleil qu’il consacra les vingt dernières années de sa vie à rédiger l’histoire de son règne. Là où l’auteur latin décrit dans le détail le démembrement des fils de Thyeste, l’auteur français ménage la pudeur de son public en sauvant au dernier moment Iphigénie. Il reconnaît lui-même « quel plaisir j’ai fait au spectateur (…) en sauvant une princesse vertueuse » et en sacrifiant à sa place sa cousine Ériphile qui ne prétend pas à autant de vertus.

S’il est un poète qui maîtrise la métrique, c’est assurément Racine, étudié dans les universités comme modèle d’art poétique classique. La beauté de ses vers met en valeur le conflit intime de ses personnages entre la raison qui commande de suivre son devoir et la puissance des sentiments qui exige d’écouter son cœur. Chaque personnage de la pièce est porteur de cet antagonisme mortel, et Chloé Dabert, qui dirigera en janvier prochain la Comédie de Reims, a d’abord voulu affirmer sa fidélité au texte et le respect qu’en ont les acteurs en faisant sortir des mots seuls la puissance du drame. Un décor chaste symbolise un camp de guerre, celui des Grecs en Aulide attendant les vents favorables pour traverser la mer Égée et combattre Troie. Un échafaudage pour tour de guêt, quelques plantes sèches, des bâches de camouflage pour masquer le beau cloître. Les costumes sont à l’avenant, pantalon de treillis et blousons pour les hommes, robes unies ceinturées de cuir pour les femmes. Le texte donc.

 

Et nous en revenons aux Atrides et à la questions du pouvoir face aux dieux tribaux et aux lois des hommes. Atrée, monstre et tyran, a conquis le pouvoir absolu dont hérite son fils Agamemnon. La puissance de ce dernier est telle qu’il est désigné comme commandant en chef de l’armée grecque qui part récupérer Hélène, épouse de son frère Ménélas, enlevée par le troyen Pâris. Cela avec l’appui d’Achille, fier guerrier, fils d’un mortel et d’une nymphe, qui s’est épris d’Iphigénie, la fille d’Agamemnon et de Clytemnestre. Tout est donc passion dans ces liens, passion partagée des parents pour leur fille, passion partagée d’Iphigénie pour Achille. Quand les dieux, antiques, exigent le sacrifice d’Iphigénie pour guider victorieusement les Grecs vers la victoire, ces passions, modernes, sont mises à mal. Car aux passions amoureuses s’opposent les passions pour le pouvoir et la renommée. La passion d’Agamemnon qui n’envisage pas de céder son rôle de « roi des rois », la passion d’Achille qui n’entend pas salir son prestige et son courage, la passion de Clytemnestre qui ne veut céder ses droits de mère à un époux traité de barbare. Et celle d’Iphigénie pour sa place de princesse, fille des Atrées, qui ne serait renier son sang en s’opposant à son père, à l’armée, aux dieux. Et à Calchas, l’oracle qui exige le sacrifice mais que Racine n’a pas voulu mettre en scène comme si ce personnage central, étant l’oreille des dieux, ne pouvait souffrir sa contradiction.

 

Le drame est moins anachronique qu’il n’y paraît. Évoquant les séries comme Game of Throne où un homme est contraint de sacrifier sa fille pour gagner le trône, Chloé Dabert explique combien la résonnance de cette thématique lors de ses ateliers avec des adolescents et des jeunes hommes a été « une source de réflexion, d’inspiration ». La metteuse en scène entend poser ces questions qui ne nous sont pas étrangères, du sacrifice d’humains en mer pour l’apaisement des sociétés, du harcèlement et du meurtre d’une jeune fille. L’art de Chloé Dabert est d’y parvenir par un respect méticuleux du vers racinien dans une scansion légèrement distanciée qui conserve la violence des passions en leur ôtant le ridicule d’une déclamation. La metteuse en scène explique son travail par une première phase de prise de possession du texte, suivie d’une seconde phase d’incarnation des personnages. Cela perturbe si l’on refuse d’entrer dans le jeu. Mais si l’on en prend possession, cela fait aimer aujourd’hui Racine.

 

 

Iphigénie de Jean Racine. Festival d’Avignon. Mise en scène de Chloé Dabert avec Benedicte Cerutti, Victoire Du Bois, Servane Ducorps, Arthur Verret. Cloitre des Carmes du 8 au 15 juillet.

En 2019, successivement à Genevilliers, Angers, Lyon, La Chaux-de-Fonds, Saint-Brieuc, Tremblay-en-France, Martigues, Vannes, Saint-Quentin, Chelles, Saint-Ouen, Toulouse, Cherbourg, Fouesnant et Rennes.

Partager sur
Fermer