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Avignon : Tartiufas résolument populiste

par Pierre Magnetto
Tartiufas mis en scène par le lituanien Oskaras Korsunovas au festival d'Avignon. © Raynaud de Lage
Tartiufas mis en scène par le lituanien Oskaras Korsunovas au festival d'Avignon. © Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 19/07/2018
Avec Tartiufas, le metteur en scène lituanien Oskaras Korsunovas signe une version transposée de Tartuffe, dans laquelle il dénonce le populisme et ses leaders, comme les nouveaux visages du personnage principal de l'oeuvre la plus jouée de Molière.

Ils arrivent en perruque, référence obligée à l’auteur et à son époque, mais dans son monologue qui ouvre la pièce, s‘écartant momentanément du texte, Pernelle ne tarde pas à jeter sa coiffure par dessus son épaule, prétextant qu’il fait trop chaud. La voici vêtue d’un tailleur au motif cul de poule, Orgon, lui, est en costume cravate avec col de chemise ouvert, Marianne porte un jean aux jambes déchirées, Damis un survêtement Adidas, Tartuffe un costume et un polo noirs… indiscutablement, l’intrique se passe bien aujourd’hui, pas dans les années 1660 où le Tartuffe de Molière fit l’objet de la censure et, dut connaître plusieurs versions pour avoir de nouveau droit de cité.

Un personnage contemporain ? « Les grands textes sont toujours d’actualité. » A force de se l’entendre dire, on finit pas le croire, mais ce n’est pas si simple, encore faut-il que la personne qui les adapte et les met en scène sache en saisir la quintessence, mettre en lumière tout ce qu’il y a de contemporain en eux. C’est justement ce pari souvent renouvelé depuis la première représentation il y a trois siècles et demi, que relève le lituanien Oskaras Korsunovas en présentant Tartiufas (Tartuffe) au festival d’Avignon, dans sa langue maternelle sur-titrée en français. Mais où réside sa contemporanéité ?

« Le théâtre doit avoir une dimension politique » « J’ai souhaité faire de Tartuffe une satire de la société dans laquelle nous vivons », explique le metteur en scène. « Le théâtre doit avoir une dimension politique. Tartuffe est un mal qui se réinvente constamment, l’image d’un populisme radical qui se propage partout en Europe et dans le monde entier. Ce mal n’a rien de commun avec la foi et les valeurs humaines mais il a su maîtriser la rhétorique de la propagande et prendre racine dans les valeurs immuables comme Dieu, la mère patrie, la famille, la nation », poursuit-il. Par ailleurs, dans une interview au journal Avignon en scène(s), Oskaras Korsunovas va plus loin. Il les désigne les Tartuffe. « En ce moment, dans toute l’Europe de l’Est les Tartuffe défilent triomphalement. La Pologne a Jarosclav Kaczynski, la Hongrie Victor Orban. Les autres pays attendent leur tour. Nous savons que le populisme n’est étranger ni à Poutine ni à Trump ».

Un langage théâtral se voulant plus contemporain L’intention de l’artiste est servie par un décor qu’on croirait dessiné par Le Nôtre, autre référence à l’époque de Molière. Un enchevêtrement de haies formant un labyrinthe dans lequel s’égare un Orgon manipulé, dupé et abusé. Elle est servie bien sûr par le jeu d’une troupe d’acteurs semblant remontés à la source de la comedia dell’arte. Un jeu non dépourvu de drôlerie mais qui utilise aussi d’autres codes, un langage théâtral qui se veut contemporain, avec notamment l’utilisation de la vidéo. Gros plans sur les personnages sur le plateau, mais surtout et plus surprenant, scènes plus intimistes filmées en coulisses ou dans les rues d’Avignon, et projetées sur grand écran en fond de scène. Cela permet au metteur en scène d’imaginer des scènes sans texte, non inscrites dans le manuscrit, d’approfondir la dimension psychologique des personnages, comme ce travelling sur leurs visages montrant leur désarroi lorsqu’ils comprennent qu’ils ont été dépossédés après qu’Orgon ait légué tous ses biens à Tartuffe ; comme cette pérégrination de Tartuffe en ville, jouant les bons citoyens, se mêlant à la liesse des supporters de l’équipe de France de football en fixant la caméra d’un regard hypocrite sourire figé aux lèvres.

Korsunovas en a-t-il trop fait ? « Nous n’avons pas besoin de changer ou d’abréger le texte. Celui-ci, avec son rythme, ses références ouvertes ou cachées au jeu d’acteur, devient notre point de départ », assure Oskaras Korsunovas qui, malgré tout, se permet quelques digressions qui se fondent dans le texte. Son Tartiufas, c’est aussi une bande son, comme au cinéma, musique baroque ou franchement techno, venant rehausser l’action, surligner le texte. Certains diront peut-être que le metteur en scène en a trop fait, qu’il est allé trop loin dans la transposition, qu’il tend parfois vers le burlesque. Il est vrai qu’ici, on est loin de la version la plus policée de Tartuffe ou l’imposteur ; pas de gendarme du roi pour venir embastiller l’escroc au final. Tartuffe au faite de sa gloire, se dresse sur un piédestal, gratifiant le public d’un salut nazi répété tandis qu’Orgon et les siens, tels des robots, viennent l’un après l’autre glisser dans un banc transparent figurant une urne, les pages du contrat de donation par lequel il a reçu tous les pouvoirs.

 

Les prochaines représentations de Tartiufas : Festival d’Avignon jusqu’au 21 juillet. Festival les Boréales à Caen du 14 au 16 novembre. Next Festival de Lille du 20 au 22 novembre.

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